Martin Tomasi, avocat d’U Levante

« Ce sont pratiquement 1.900 hectares d’espaces stratégiques agricoles qui ont été artificialisés »

Martin Tomasi, avocat d’U Levante
Martin Tomasi, avocat d’U Levante
La carte des Espaces Stratégiques Agricoles est enfin rétablie! Après deux ans de procédures, la carte d’illustration des ESA qui avait été invalidée en mars 2018, vient d’être rétablie par l’Assemblée de Corse par 42 voix pour et 21 abstentions. Il était temps, près de 1.900 hectares ont été artificialisés depuis l’annulation de la carte, et ce malgré le maintien des dispositions du Padduc, annulation qui a provoqué une envolée des dépôts de permis de construire sur ces espaces, avec la complaisance d’un contrôle de légalité fermant trop souvent les yeux, notamment sur les ESA proches du littoral, et de trop nombreuses communes profitant de même de l’absence de cartographie pour ouvrir des zones constructibles sur ces espaces lors de l’élaboration de leur document d’urbanisme! Au total, ce sont plus de 3.000 hectares d’ESA que le Padduc a perdu, la nouvelle cartographie sécurisant 101.850 hectares sur les 105.000 initialement prévus. Avec, c’est à noter, un point positif dans la clarification sur la pentologie. Les ESA sont désormais des terres identifiées à fort potentiel agricole ou équipées pour l’alimentation hydraulique, quelle qu’en soit la pente.
Le message est clair: il faut que l’ensemble du peuple corse comprenne que ces 102.000 hectares sont indispensables à bâtir l’autonomie alimentaire de la Corse et doivent impérativement être mis en valeur agricole. La préservation de ces terres est donc indispensable. • France 3 Via Stella interviewait Maître Martin Tomasi, avocat de l’association de défense de l’environnement U Levante, la veille du débat à l’Assemblée. Extraits.

 

Pour le grand public d’abord, qu’est-ce que les ESA?

Très schématiquement, ce sont les meilleures terres agricoles de Corse. Ce sont des terres cultivables qui soit ont un fort potentiel agropastoral, soit son dotées d’équipements d’irrigation. Le Padduc en 2015 a identifié 105.000 hectares d’Espaces Stratégiques Agricoles à préserver. Ce sont des terres qui sont vouées à l’agriculture et sur lesquelles on ne peut pas construire, sauf des bâtiments en lien avec l’activité agricole ou alors des infrastructures publiques.

«Vouées à l’agriculture», est-ce que ce sont des surfaces qui sont déjà exploitées par des agriculteurs?

Pas nécessairement. Les ESA ont été identifiés en fonction d’un certain nombre de critères objectifs, et en particulier en fonction de leur potentialité agropastorale. Il faut comprendre que le Padduc, Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse, est un document de planification à moyen et long terme, à l’horizon 20 ou 30 ans. Adopté par l’Assemblée de Corse en 2015, il est le document des sols fondamental, le document stratégique avec lequel les documents d’urbanisme communaux ou intercommunaux doivent être mis en compatibilité.

La carte des ESA de 2015 a été annulée, pour quelle raison?

La carte a été annulée en mars 2018 par le Tribunal Administratif de Bastia, pour un motif assez stupide, en raison d’un vice de procédure au moment de l’organisation de l’enquête publique sur le projet de Padduc. La carte qui a été présentée au public n’était pas la bonne, le Tribunal a estimé que le public avait été privé de s’exprimer de manière éclairée sur ce document. En revanche, sur le fond, sur le principe, cette carte n’a pas été remise en cause. Toutes les demandes qui visaient à contester le classement en ESA de tel ou tel secteur ont été rejetées, à l’exception d’une seule, pour un tout petit périmètre.

L’Assemblée de Corse examine le 5 novembre un rapport de l’Exécutif avec une modification de cette carte, quel est l’enjeu, qu’apportera cette modification, sur quelle base?

Le choix de l’Exécutif a été de profiter de cette situation malheureuse pour actualiser la carte des Espaces Stratégiques Agricoles, notamment en tenant compte de l’évolution de la tâche urbaine, c’est-à-dire de l’urbanisation sur les espaces stratégiques agricoles. Ce qui en soit n’est pas illogique, un champ qui est recouvert de béton ne peut pas être exploité par un agriculteur, il est perdu définitivement pour l’agriculture. Il n’a donc pas vocation à figurer sur la carte. On a souhaité mettre à jour la cartographie sur les mêmes critères.

Ça signifie que certaines zones qui étaient dans les ESA ont disparu? Lesquelles? Parce qu’on a entendu parler de zones qui étaient à proximité des routes ou sur les voies rapides.

Il y a finalement deux modifications majeures. Une modification de portée technique. On a effectivement retiré de la cartographie tout ce qui était linéaire routier ou infrastructures publiques qui n’avaient pas de vocation agricole affirmée. Et puis surtout on a voulu actualiser la carte en fonction de l’évolution de l’urbanisation. Et à cette occasion, les services de la Collectivité ont constaté – et c’est assez effrayant – qu’entre 2015 et aujourd’hui, ce sont pratiquement 1.900 hectares d’espaces stratégiques agricoles qui ont été artificialisés. C’est-à-dire qu’on a construit sur ces espaces. C’est un chiffre absolument ahurissant. On peut y construire assez de villas pour loger l’équivalent habitants d’une ville de Bastia. Et ça en dit long sur cette frénésie immobilière qui s’est emparée de la Corse.

Cette urbanisation supplémentaire, c’est ce qui explique le fait que l’on soit passé de 105.000 à 102.000 hectares d’ESA?

En grande partie ça explique le différentiel, puisque les ESA artificialisés représentent grosso-modo un peu moins de 2000 hectares, le reste étant les ajustements techniques dont je parlais tout à l’heure. Evidemment c’est une situation regrettable qui n’est pas intrinsèquement imputable à la carte mais qui est le reflet de cette dégradation de la situation sur les espaces stratégiques agricoles.

Rapidement pour conclure, qu’apportera cette modification pour l’association que vous représentez, mais peut-être même au-delà pour l’ensemble de la société corse?

Cette carte va avoir un rôle fondamental. Quand elle a été annulée, elle a ouvert une brèche dans la règlementation, brèche dans laquelle beaucoup se sont engouffrés et on a assisté à un déferlement de permis de construire sur ces espaces stratégiques agricoles. Notre espoir c’est que l’adoption d’une nouvelle carte permettra de combler le vide juridique qui a été créé, de sécuriser les choses au plan juridique et règlementaire, et surtout c’est un outil qui devrait permettre en tout cas à U Levante, nous l’espérons, de mieux maîtriser le phénomène d’urbanisation galopante, en particulier sur les espaces agricoles. •