Padduc

Attention danger !

L’hémicycle de l’Assemblée de Corse s’est enflammé ce 25 avril 2019. La cause ? Les récents propos et attitude de la préfète de Corse, concernant le Padduc. La majorité nationaliste a fait entendre sa colère face aux nouveaux signaux négatifs renvoyés par l’Etat en Corse. Reste que cet épisode laisse entrevoir un jeu dangereux, confirmé encore récemment par le rapporteur public lors de l’audience de la Cour Administrative d’Appel de Marseille. Attention danger !

La seconde venue d’Emmanuel Macron, président de la République, a renvoyé le signal très net d’une nouvelle aggravation des relations entre la Corse et Paris. Refus de recevoir les élus de la Corse (ou d’être reçu par eux, au sein de l’hémicycle) ; exclusion des conseillers territoriaux au débat de Cuzzanu où seuls les maires étaient conviés [on verra par la suite que cette invitation n’a pas eu grand succès, et qu’il a fallu au dernier moment convier d’autres représentants pour combler les chaises vides laissées par les maires] ; invitation aux présidents de l’Exécutif et de l’Assemblée de Corse, mais en les avisant que l’échange était uniquement réservé aux maires. Pire. Lors du débat, un autre signe de mépris a été affiché par le Président de la République. Outre les propos démagogiques concernant les questions d’urbanisme, de la part des maires présents comme du président lui-même, la mise en place, hors cadre légal, d’une « Conférence des maires », venant se poser en contre-pied de la Chambre des Territoires et du travail conduit par la Collectivité de Corse dans le cadre de ses compétences, interroge.

Le fait que les élus de la Collectivité de Corse aient été volontairement exclus de cette «Conférence des Maires » est déjà la démonstration d’une volonté de perturber le bon fonctionnement des institutions de la Corse. Le fait que des propos de remise en cause des délibérations de l’Assemblée de Corse y aient été tenus, est le summum de cette volonté affichée par l’État aujourd’hui.

« Depuis plusieurs semaines, nous sommes en train d’entrer dans une séquence nouvelle qui m’inquiète beaucoup.

Je voudrais vous le dire solennellement pour prendre date et pour que, peut-être ensemble, nous évitions un certain nombre d’engrenages qui risquent de nous conduire là où je suis certain que, tous, nous ne voulons pas aller » a dit le Président du Conseil Exécutif, Gilles Simeoni, aux élus de l’Assemblée.

« Portés par la légitimité du suffrage universel, nous demandions plus de compétences, on nous a dit « Non » !

Aujourd’hui, nous en sommes réduits à chercher à défendre celles qui nous ont été données par le législateur en 1982, 1991 et 2002 (…) Depuis quelques semaines et avec éclat depuis quelques jours, l’État est en train d’organiser un conflit de légitimité au sein de la société corse entre les élus de l’Assemblée et les maires. Ce piège-là, nous n’en voulons pas ! Nous n’avons pas à opposer nos légitimités dont les périmètres sont définis par la loi ».

«Ne comptez pas sur nous pour revenir sur les fondamentaux du Padduc qui sont un point d’équilibre ! Ils sont consubstantiels de notre engagement »

a poursuivi le président du Conseil Exécutif.

« Il est hors de question pour nous de déroger au Padduc, que ce soit dit et entendu du côté de l’État et de ceux qui s’organisent pour y déroger. Ils nous trouveront sur le chemin… » avait préalablement martelé le président du groupe Femu a Corsica, Hyacinthe Vanni. Affirmation également assénée par le président de l’Agence d’Urbanisme, Jean Biancucci.

L’ensemble des membres de la majorité nationaliste a fortement monté le ton pour dénoncer l’attitude sournoise de l’État et sa volonté de troubler le jeu démocratique, voire de saboter le travail patient de la majorité pour bâtir un développement durable.

 

Le Padduc est le fruit de 50 années de luttes et de sacrifices. Il est le résultat d’une confrontation politique issue de revendications incessantes de notre peuple dans toutes ses forces vives depuis le schéma d’aménagement de la Corse de 1992. Et de la confrontation permanente avec l’État depuis le rapport de l’Hudson Institut baptisé alors Schéma de déménagement des Corses en 1971. Il est enfin une oeuvre collective au terme de 5 ans de débats, d’échanges et de concertations, menés au sein de la société corse, et même s’il n’est pas la panacée, il a été conçu, pensé, bâti « par et pour le peuple corse ».

Il y a donc un jeu dangereux à revenir sur tout ce passé sans même tenté d’en appliquer correctement les préconisations, à épouser des discours démagogiques d’élus ultra minoritaires pour tenter de fédérer l’ensemble des maires qu’on essaie par ailleurs d’abuser face à leurs difficultés en ingénierie, bref, il est dangereux à vouloir opposer les Corses entre eux. D’autant que l’attitude des services de l’État n’a pas été claire durant toutes ces années. Rappelons sa passivité, certains diront complicité, en matière de contrôle de légalité.

Rappelons aussi son application parfois à la carte de ce contrôle de légalité, avec un deux poids deux mesures qui irrite les communes.

Comment comprendre en effet les permis accordés sur le littoral, hors continuité de l’existant, sur des plaines agricoles de lotissements entiers pour un tourisme de masse hors toute réflexion cohérente en matière d’aménagement et de besoins réels pour le peuple corse, ou encore de villas luxueuses de 1000m2 aggravant le déséquilibre entre résidences principales et résidences secondaires d’une part. Et d’autre part les multiples tracasseries mises à l’octroi de permis de construire pour installer une famille à l’année dans des communes de l’intérieur où il n’existe pas ou peu de pression foncière ?

Comment comprendre qu’un préfet avant de quitter la Corse signe l’autorisation de quatre permis de construire que l’on sait illégaux ou encore qu’il valide de façon totalement scandaleuse en paraphant – même si c’est de façon symbolique dans une sorte de discussion de marchands de tapis – la proposition d’un maire souhaitant rendre constructibles des dizaines d’hectares sur un site remarquable de la côte ouest ?

 

Femu a Corsica rappelle que la loi SRU adoptée en 2000 demande aux maires d’élaborer des Plans Locaux d’Urbanisme. Depuis 19 ans donc, deux décennies, pourquoi n’a-t-on pas eu de « conférence des maires » pour les rappeler à leur devoir ou pour les accompagner dans cette tâche ardue ?

Femu a Corsica rappelle que les Plans d’Occupation des Sols (extrêmement consommateurs d’espaces) sont caducs depuis 5 ans ; qu’il a été demandé aux maires concernés, dès 2014 et la loi ALUR, de s’y préparer. Où sont les conférences des maires de l’État pour les y accompagner ?

Femu a Corsica rappelle que le Padduc a été adopté à une large majorité en 2015, qu’une loi le consacre, qu’une période de mise en compatibilité de 3 ans a été accordée.

Où sont les « conférences de maires » de l’État pour accompagner les communes à cette mise en compatibilité ? Femu a Corsica rappelle enfin que depuis l’adoption du Padduc, des centaines d’hectares d’ESA ont été consommés. Qu’en pense le contrôle de légalité ?

Au lieu de cela on organise aujourd’hui, hors la présence de la Collectivité de Corse et de ses compétences, des réunions sur on ne sait quelles bases, avec on ne sait quels objectifs, mais en tous les cas avec une affirmation totalement démagogique : « c’est la faute au Padduc ! »

U Levante comptabilise pas moins de 132.641 m2 d’Espaces Stratégiques Agricoles menacés par des projets immobiliers déposés à la Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement (Dreal). Si la cartographie et les dispositions réglementaires des ESA devaient être annulées, pour sûr, les brides seraient lâchées

En réalité, le Padduc intègre les lois qui lui sont supérieures, et intègre une méthodologie permettant aux maires de faire valoir leurs prérogatives. C’est eux qui définissent leur propre zonage, c’est eux qui justifient ce zonage, c’est eux qui peuvent établir des sousséquençages de plages (dans le cadre de la délivrance des AOT par exemple). Le Padduc cadre, assure l’avenir du peuple corse par des grandes orientations stratégiques, et l’Agence de l’Urbanisme a toute l’expertise pour accompagner les maires dans l’élaboration de leur PLU (cf. rapports adoptés ce 25 avril, présentés par le président de l’AUE Jean Biancucci).

L’État, lui, doit instruire les dossiers et doit veiller à l’application des textes. Il ne saurait se poser en pourfendeur des délibérations de l’Assemblée de Corse et inciter à des modifications qui mettent en péril l’équilibre général.

Le bon sens politique doit commander aux responsabilités de chacun. Il n’y aura pas de réussite du Padduc sans cet état d’esprit commun, de la part de l’État, service instructeur et contrôle de légalité, et de la Collectivité qui veille et accompagne tous les acteurs.

Remettre en cause cet important document cadre que s’est donné la Corse de manière démocratique, c’est remettre en cause la construction d’un développement durable pour la Corse.

 

Gilles Simeoni était présent à l’audience de la Cour d’Appel de Marseille pour défendre les dispositions du Padduc en matière d’Espaces Stratégiques Agricoles, ce qui souligne l’extrême gravité du moment.

Ce 29 avril donc, la Cour examinait les 11 derniers recours déposés, laissant planer la possibilité d’une annulation de toutes les dispositions relatives aux Espaces Stratégiques Agricoles du Padduc. C’est à dire non seulement la cartographie, mais également les dispositions réglementaires. Les plaignants (Association Cap Nostrum) réclament par cette fenêtre une annulation totale du Padduc ! Heureusement, il y a peu de chance d’aboutir à ce scénario.

Rappelons que le Padduc a été validé par le Conseil Constitutionnel.

Cependant, une annulation de l’ensemble des dispositions sur les ESA serait une très mauvaise nouvelle. Cela conduirait l’Assemblée de Corse à une nouvelle délibération, mais aussi à lancer une enquête publique puis à délibérer encore après enquête publique. De très longs mois sans document de cadrage pour instruire les permis de construire et/ou valider les Plans Locaux d’Urbanisme en ce qui concerne la protection des terres agricoles. Une accélération donc inévitable de la consommation de ces espaces ô combien précieux et nécessaire pour bâtir un développement durable. «Certains pourraient avoir la tentation de s’engouffrer dans cette brèche pour délivrer des autorisations de lotir des permis, sur des terrains qui sont des ESA, ce qu’a reconnu par ailleurs la cour administrative d’appel », s’est inquiété le président du Conseil Exécutif de Corse. Disons le tout net, c’est déjà le cas de manière illégale. Alors, sans plus aucune parade juridique !…

Souhaitons que la justice ne cédera pas aux chants des sirènes. souhaitons qu’elle notera que les maires les plus virulents contre le Padduc et les dispositions des ESA, sont des maires de communes importantes, comme Grossetu Prugna ou Portivechju, qui ne disposent toujours pas de PLU, deux décennies après l’adoption de la loi SRU qui les y engagent ! C’est bien là que réside tout le problème !

La Cour d’Appel a mis sa décision en délibéré d’ici trois semaines. Sur son site, U Levante comptabilise pas moins de 132.641 m2 d’Espaces Stratégiques Agricoles menacés par des projets immobiliers déposés à la Dreal, et s’interroge « Les maires/l’Etat délivreront- ils des permis de construire pour ces projets immobiliers en dépit de leur illégalité manifeste ? »

Si la cartographie et les dispositions réglementaires des ESA devaient être annulées, pour sûr, les brides seraient lâchées !

Fabiana Giovannini.

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