Xylella Fastidiosa : Chronique d’un désastre annoncé

La responsabilité écrasante de l’État

L’inquiétude est grande après l’alerte lancée par le Sidoc, syndicat interprofessionnel des oléiculteurs de Corse le 3 avril, ayant détecté l’infection sur cinq plants d’oliviers et de chênes verts à Aiacciu et Vintìsari, par la Xylella fastidiosa.

 

Vous dites que l’État porte la responsabilité de cette crise sanitaire ?

Lionel Mortini président de l’Odarc :

Une fois de plus, malgré l’expérience douloureuse du cynips, de la fièvre catarrhale, du charançon du palmier, de nombreux parasites destructeurs (varroa, metcalfa pruinosa, cochenille du pin, etc.), nous ne pouvons que constater que l’État n’exerce pas la compétence sanitaire au bénéfice de la Corse.

Nous n’avons jamais cessé, par des interventions répétées en Cropsav, par des courriers et des échanges avec le préfet et les ministres concernés, d’alerter sur les risques majeurs liés à la bactérie, quelle que soit la sous-espèce.

Aujourd’hui encore, le Draaf conteste le résultat des tests effectués à la demande du Sidoc, alors qu’ils proviennent d’un laboratoire de l’Inra dont la compétence scientifique est unanimement reconnue !

François Sargentini, président de l’Office de l’environnement :

L’Assemblée de Corse avait demandé dès septembre 2014 la suspension de l’entrée de plants (délibération du 25 septembre 2014) prise à notre demande suite à la découverte de Pauca dans les Pouilles.

Le préfet avait alors pris en mai 2015 un arrêté interdisant les introductions de plantes hôtes, sauf dérogation expresse au cas par cas. Or l’entrée massive et continue de plants d’espèces sensibles à Xylella, tant à vocation ornementale qu’agricole a rendu cet arrêté totalement inopérant. L’État a dévoyé la fonction première de cet arrêté : appliquer le principe de précaution en évitant l’entrée d’autres sous-espèces de la bactérie Xylella fastidiosa.

 

C’est-à-dire ?

François Sargentini :

Lorsque les revendeurs introduisent des plants, ils le font effectivement en conformité. Par contre, l’État sait parfaitement que les tests homologués n’assurent pas un niveau de détection de la bactérie Xylella fastidiosa scientifiquement acceptable, puisqu’ils ne la détectent qu’à partir d’un seuil de présence très élevé, et que par conséquent le passeport phytosanitaire européen (PPE) n’apporte aucune garantie d’absence de la bactérie dans les plants introduits (c’était déjà le cas pour le cynips !) En entraînant un nombre important de « faux négatifs », il « autorise» de fait la dissémination légale de la bactérie.

Lionel Mortini :

L’État sait qu’il existe un test bien plus fiable de la bactérie (test Nested PCR réalisé notamment par le laboratoire de l’Inra d’Angers, qui détecte la Xylella dès la première bactérie – test utilisé pour les analyses des échantillons du Sidoc), mais son homologation est retardée depuis trop longtemps ; cela lui permet de masquer les résultats réels et donc la gravité de la situation.

 

Avec quelles conséquences ?

François Sargentini :

 l’identification de plusieurs sous-espèces de Xylella fastidiosa dans d’autres régions d’Europe, notamment en Espagne (Baléares et région de Valencia, octobre 2016), d’où proviennent de nombreux plants introduits (oliviers) en Corse, n’a pas conduit à une nouvelle analyse de risque, malgré les engagements pris par le préfet.

Pire, la Draaf a accordé des dérogations même quand il y a une filière locale de production ! C’est le cas des oliviers, des agrumes, des plantes aromatiques (et la filière en cours de développement pour les amandiers et les figuiers).

 

Mais il est dit que la multiplex n’est pas aussi ravageuse que la pauca ?

François Sargentini :

la sous-espèce multiplex présente aux Baléares a bel et bien détruit des oliviers : on ne peut plus affirmer que cette souche est «moins dangereuse » que la pauca.

Lionel Mortini :

Malgré cette nouvelle alerte, ainsi que l’identification d’un cas de Xylella fastidiosa pauca à Menton, l’État n’a rien changé à son protocole, bien au contraire. Il a pris sciemment le risque d’une destruction de notre agriculture et de notre milieu naturel, malgré les très nombreuses interventions communes de l’Odarc et de l’OEC depuis notre arrivée aux responsabilités.

La crise est donc là: elle menace lourdement nos filières agricoles -oléiculture, agrumes, plantes aromatiques, vigne, amandiers notamment, ainsi que notre biodiversité: espèces endémiques, espèces rares, zones protégées…

 

Est-il trop tard pour agir ?

François Sargentini :

il est toujours impératif d’essayer de nous protéger de l’introduction de nouvelles sous-espèces :

l’OEC/Conservatoire botanique et l’Odarc sont en contact permanent avec les chercheurs les plus reconnus au niveau international et leur avis est unanime : le risque majeur pour la Corse est la recombinaison des différentes sous-espèces, mais aussi la combinaison potentielle avec d’autres agents pathogènes (champignons, algues, parasites ou insectes) qui pourraient amener à une crise de type « californien » et entraîner un effondrement des filières agricoles et de la biodiversité.

Lionel Mortini :

Le risque de super-vecteurs est à prendre très sérieusement en considération, à la lumière de ce qui s’est notamment produit en Californie pour la maladie de Pierce (sous espèce de Xylella fastidiosa qui a ravagé le vignoble de Californie) : c’est l’introduction accidentelle d’un nouvel insecte qui a accéléré l’épidémie.

La sensibilité insulaire particulière doit être impérativement prise en compte : fragilité des filières agricoles, fragilité et spécificité de la biodiversité – présence d’un nombre exceptionnel de plantes sensibles à Xylella dans le maquis (sur près de 600 0000 ha selon la cartographie établie par le Conservatoire botanique de Corse).

 

Que peut-on faire à ce stade ?

François Sargentini :

 Au regard de l’aggravation de la situation en Europe, les risques liés à politique actuelle d’octroi de dérogations ne sont pas acceptables : ils mettent en danger l’avenir des filières agricoles et ne sont pas compatibles avec la fragilité et la richesse de notre milieu naturel. Au vu de la gravité de la menace, nous demandons que soient prises plusieurs mesures au niveau local :

– la suspension des dérogations concernant les plantes ornementales sensibles présentes dans la flore indigène et/ou figurant dans la liste des plantes sensibles, notamment le laurier rose.

 

– la suspension des dérogations pour l’entrée des plants agricoles et horticoles lorsqu’une filière locale existe (agrumes, oliviers, plantes aromatiques)

 

– l’examen au cas par cas pour les autres entrées, en sécurisant au maximum la traçabilité et les conditions de production en amont ;

 

– la transparence en matière de données et de gestion (résultats d’analyses, liste des plantes qualifiées « d’autres » dans les introductions doivent être communiqués) et le renforcement des contrôles ;

 

– la réorientation de la demande vers d’autres espèces ornementales (il en existe des milliers, pour 200 à 300 espèces sensibles à Xylella) et un soutien massif aux pépiniéristes qui sont engagés dans une démarche de production locale (Corsica grana) et aux nouvelles installations

Lionel Mortini :

au niveau français et européen, nous demandons également l’homologation au plus vite du test Nested PCR et son utilisation systématique pour la détection afin de sécuriser la circulation des végétaux au regard de Xylella. Et la mise en place de moyens importants de recherches pour la connaissance et l’expérimentation.

 

De son côté, quelles mesures la Collectivité de Corse peut-elle prendre ?

Lionel Mortini :

Dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons suspendu toute végétalisation sur les routes territoriales (seuls les marchés déjà attribués ont dû être finalisés).

De même, l’Odarc apporte un soutien au développement de filières de productions locales de plants.

François Sargentini :

le Conservatoire botanique de l’Office de l’environnement développe la marque Corsica Grana, pour encourager la production de nos propres essences, évaluer et suivre la présence de Xylella fastidiosa et ses dégâts potentiels sur le plan environnemental. De même, nous assurons le montage et la prise en charge financière (pour 386 000 €) d’un programme de recherches sur l’éco-épidémiologie des insectes vecteurs, avec notre Conservatoire botanique, l’Inra, l’Università di Corsica et en partenariat notamment avec l’Université de Montpellier : les premiers résultats sont particulièrement significatifs.

 

Peut-on encore garder l’espoir de préserver nos filières et notre richesse végétale ?

François Sargentini :

L’État doit revoir immédiatement sa politique de dérogations et prendre en compte le risque lié à l’introduction de nouvelles sous-espèces. Et tenir enfin compte de la délibération de l’Assemblée de Corse.

Lionel Mortini :

Si la Collectivité de Corse avait eu la compétence dans ce domaine, des mesures auraient été prises, en appliquant simplement les mesures indispensables de précaution. La Xylella montre une nouvelle fois l’impérieuse nécessité d’une reconnaissance de la fragilité particulière de nos filières agricoles et de la biodiversité insulaire et de la mise à disposition de la Collectivité de Corse de documents cadre et de règlementations adaptées.

Nous continuerons à formuler des propositions en ce sens: elles devront être entendues.

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