Les grandes surfaces face à l’autonomie catalane

 

La Corse pourrait, si elle obtenait un statut d’autonomie, mettre un terme à ces projets pharaoniques en périphérie des grandes villes de Corse qui favorisent un développement économique et urbain qui va à l’encontre des intérêts de la Corse et des Corses, comme le projet récemment dénoncé par Core In Fronte à Lucciana. Nous pourrions nous inspirer de la Catalogne qui a réussi à encadrer l’urbanisme commercial et à défendre un projet d’aménagement du territoire spécifique et en accord avec son projet de société.

 

En effet, la Catalogne connait, comme le reste de l’Espagne à partir des années 80, une extension galopante des centres commerciaux autour des grandes villes. La Generalitat de Cataluña, Gouvernement autonome, prend des mesures à partir des années 90 pour limiter leur développement et favoriser le commerce de proximité dans les centres urbains et les villages.  Pas toujours en accord avec Madrid et avec la règlementation européenne, celle-ci réussit pourtant à défendre ses intérêts et à faire prévaloir son statut d’autonomie pour obtenir gain de cause.

 

Entretien avec Josep Huguet Biosca, Député Esquerra Republicana de Cataluña (ERC) de 1995 à 2004 ; Conseiller Exécutif du Gouvernement Catalan entre 2004 et 2010 en charge du Commerce, du Tourisme, de l’Industrie, et de l’Innovation.

 

Quand et comment la Generalitat s’y est-elle prise pour limiter l’expansion des centres commerciaux en dehors des zones urbaines ?

A la fin des années 1990, le gouvernement nationaliste de centre-droit a approuvé une réglementation visant à réduire les autorisations de surfaces de ventes en périphérie afin de favoriser le petit commerce. Mais cette réglementation allait à l’encontre des directives européennes de libre concurrence et a été attaquée. C’est ensuite en 1999, que le groupe Esquerra Republicana, alors dans l’opposition, a réussi à faire approuver une nouvelle taxe sur les grandes surfaces basée sur des critères d’impact environnemental et de mobilité. Ces taxes permettent aux villes de financer des projets commerciaux et des espaces publiques dans les centres urbains.

 

Avez-vous rencontré des problèmes juridiques ?

Il faut avoir à l’esprit que pour l’État espagnol les politiques de soutien aux grandes zones commerciales périphériques ont toujours prédominé, de la part de tous les gouvernements, en particulier ceux du Parti Populaire. Les différents gouvernements ont toujours dénoncé et attaqué les lois commerciales catalanes. Ils utilisaient même leurs députés européens comme porte-paroles du grand patronat espagnol devant la Commission européenne. Les liens entre l’exécutif espagnol et les grands groupes sont avérés, et font converger leurs intérêts en faveur de ce modèle de développement pourtant très impactant en termes environnemental, paysager et urbain.

 

Avez-vous pris des mesures pour favoriser le commerce dans les centres-villes ?

Afin de dynamiser les centres urbains, nous avons adopté différentes lois. Une première sur les heures d’ouverture qui favorisent les petits commerces ; une seconde interdisant tous nouveaux projets de grandes surfaces ayant pour but la commercialisation d’articles de consommation courante (type hypermarché) en dehors des zones déjà urbanisées. Et ceci pour des raisons environnementales (empreinte carbone causée par les déplacements), urbaines (favoriser les villes compactes) et sociales (ces commerces excluent notamment la population vieillissante ou appauvrie des centres urbains qui ne peut pas se déplacer). Le regroupement du commerce sur les principaux axes commerciaux a été encouragé. La transformation de nombreux marchés et locaux municipaux a été financée pour inciter l’implantation des commerces et la dynamisation des centres villes. L’innovation commerciale a enfin été encouragée par diverses incitations.

 

Rétrospectivement, pensez-vous que ces mesures ont fonctionné ?

L’ensemble de ces mesures ont eu un impact positif car elles ont ralenti l’expansion des grandes surfaces périphériques et ont favorisé le commerce des centres urbains. On observe d’ailleurs que la tendance actuelle est celle du retour au commerce de proximité comme expérience unique, ce qui est un moyen de redonner aux villes toutes leur importance et d’éviter leur désertification. De toute évidence, de nouveaux défis apparaissent, tels que l’expansion des franchises internationales dans les zones commerciales urbaines qui doivent être abordées d’une nouvelle façon.

 

En Corse comme ailleurs, un des arguments principaux en faveur de ces zones commerciales est la création d’emplois, qu’en pensez-vous ?

Il est beaucoup plus facile d’évaluer la création d’emplois dans les centres commerciaux, que d’expliquer et analyser le nombre d’emplois perdus dans les petites entreprises qui seront forcées de fermer dans les centres villes. Mais une façon simple que nous utilisons pour faire le calcul, c’est de comparer le nombre d’emplois générés par mètre carré dans un centre-ville moderne plein d’entrepreneurs indépendants et ce que génère une grande surface similaire.

 

Quelles conséquences ce type d’urbanisme peut-il avoir sur la ville, sur la fonction sociale des villes et sur la transmission culturelle ?

Dans tous les cas, peu importe que le commerce soit petit, moyen ou grand, le plus important c’est qu’il s’établisse en continuité de l’urbanisation et en priorité dans les centres des villes, car les objectifs sont de plusieurs natures :

  1. Conserver des quartiers lumineux et animés dans une ville compacte de type méditerranéen ;
  2. Éviter la consommation d’énergie causée par les déplacements et les dépenses publiques pour financer les axes de circulation et les voies d’accès ;
  3. Garantir la pluralité sociale entre les consommateurs en évitant de tout focaliser sur les jeunes ou sur les riches qui peuvent se déplacer à l’extérieur de la ville, alors que et les personnes âgées ou les plus pauvres n’ont pas de moyen de transport.

Enfin, je pense qu’on doit utiliser la fonction commerciale des centres villes pour faire en sorte qu’ils deviennent des lieux où la concurrence et la collaboration entre différents types de commerces soient une réelle source d’innovation.

 

Propos recueillis par Antonia Luciani.

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