Jean-Jacques Lucchini, éleveur et conseiller territorial Femu a Corsica

« C’est le moment de repenser notre modèle alimentaire »

La richesse du groupe Femu a Corsica est dans la diversité du parcours et de l’investissement quotidien de ses élus. Jean-Jacques Lucchini est éleveur à Munaccia. À la tête de cheptels bovin et porcin il vit la crise de plein fouet. Il est aussi un ardent défenseur de l’autonomie alimentaire. C’est vital pour le peuple corse. Il parle avec l’expérience de l’homme de terrain et de bon sens.

 

Avant d’être un élu, vous êtes à la tête d’une exploitation agricole, comment vivez-vous la crise ?

Je voudrais avant tout avoir une pensée pour tous ceux qui souffrent encore dans leur chair et pour tous ceux qui ont perdu un de leur proche de ce terrible virus.

J’élève des porcs de race nustrale en AOP et quelques bovins. Ma production charcutière était essentiellement vendue pendant la période estivale, lors de dégustation en Agrotourisme, ou bien à des restaurateurs. La clientèle locale est aujourd’hui confinée et achète surtout des produits de premières nécessitée et donc très peu de charcuterie. Actuellement il y a donc très peu de ventes, pourtant il nous faut nourrir les bêtes et payer les charges.

 

Quelles mesures préconisez-vous ?

Notre majorité, par le biais de la Collectivité de Corse, de l’Odarc et du Smac, a pris immédiatement des mesures financières pour soutenir la profession. Mais la crise est critique pour de nombreux agriculteurs. Il faut revoir notre modèle agricole et touristique. Pour survivre à cette crise, nous devons avoir deux niveaux d’actions.

Le premier, c’est ce que nous faisons actuellement : soutenir financièrement les exploitations pour qu’elles ne disparaissent pas. Mais il est difficile de savoir jusqu’à quand la Collectivité pourra faire face.

Le deuxième, qui est tout aussi urgent, est de penser à un nouveau projet de société pour tendre rapidement vers l’autonomie alimentaire. En 1903, les Corses produisaient 90% des denrées alimentaires qu’ils consommaient, aujourd’hui ce chiffre est de seulement 4%. Nous devons réinvestir nos villages, remettre en valeur nos terres agricoles (ESA du Padduc). Si la crise sanitaire perdure, des milliers de Corses risquent de se retrouver sans travail et sans revenu. Nous aurons le devoir de les nourrir.

 

Le travail de structuration des filières, des foires rurales, des appellations d’origine, de promotion de nos métiers agricoles… tout ceci est mis à mal. Comment protéger ces acquis ?

En temps normal, les filières végétales sont assez bien structurées et ont appris à fonctionner collectivement. Malgré cela, elles sont, elles aussi, frappées durement par la crise, comme par exemple les viticulteurs.

La filière animale est beaucoup moins structurée et il y a un gros travail de fond à effectuer.

Nous devons, avec le nouveau Plan de Développement rural (PDRC), favoriser le travail et les investissements collectifs. Il faut flécher prioritairement les aides à l’investissement pour le matériel et les locaux communs. Il est impératif d’apprendre à travailler ensemble par le biais de Cuma, de GAEC, de coopératives, de magasin de producteurs, etc. Il faut également continuer à favoriser et valoriser nos races locales et nos savoir-faire dans une démarche identitaire, mais surtout vitale pour l’avenir. Ces races sont adaptées aux terroirs et les savoir-faire sont issus de millénaires d’expériences.

 

N’est-ce pas une occasion à saisir pour remettre le potentiel agricole au cœur de nos choix de développement ?

Notre groupe à l’assemblée, dans le sillage du président de l’Exécutif Gilles Simeoni, est en ordre de marche et travaille au soutien des plus en difficultés. Mais il faut penser aussi à l’avenir. Grâce à la mise en place d’ateliers, nous travaillons sur de grands sujets de sociétés comme l’autonomie alimentaire qui sera un axe majeur de la construction du monde de demain.

 

Quelles orientations faudrait-il prendre ?

C’est le moment de repenser notre modèle alimentaire et de réorienter notre production. Il faut amplifier les liens entre nos territoires ruraux et la Collectivité de Corse, développer des jardins solidaires, favoriser l’installation de jeunes agriculteurs avec ce nouveau concept, et contribuer à la mise en valeur de nos terres. Les Corses ont besoin d’être rassurés, on doit produire chez nous.

Les systèmes de distribution doivent être revu afin d’aller directement du producteur aux consommateurs, en développant à la fois les circuits courts et les magasins de producteurs.

Beaucoup de ceux qui attaquaient en permanence les Espaces Stratégiques Agricoles du Padduc comprennent maintenant leur importance pour notre production alimentaire. Il est devenu vital de mettre ces ESA en culture, c’est une question de survie pour notre peuple.

 

Vous présidez le Lycée agricole de Sartè. Quelles orientations donnez-vous à nos jeunes ?

Avec le soutien des présidents Simeoni et Mortini, nous allons construire deux nouveaux locaux de 600 m2, chacun pour un coût de deux millions d’euros. Ils vont servir à former nos jeunes à la fabrication de la charcuterie et du fromage. Ils vont aussi permettre aux agriculteurs de vendre leurs produits en direct grâce à la construction d’un atelier de découpe et de mise en caissette. Les deux lycées agricoles de Corse, avec leurs formations, sont des outils majeurs pour l’installation des jeunes agriculteurs. Ces jeunes vont nous permettre de tendre vers l’autonomie alimentaire et un nouveau modèle de société. Nous avons le devoir de le construire. Nous avons tout pour réussir, les hommes, la terre, le soleil, l’eau…

Steti sani, steti in casa è manghjeti i pruduti di l’agricultura corsa.