Retour sur l'élection Européenne

Ce que pourra faire le député de la Corse à Bruxelles

Élu député européen pour la Corse et pour la Fédération des Régions et Peuples Solidaires, ce 26 mai 2019, François Alfonsi revient avec Arritti sur la façon dont il va pouvoir faire entendre la voix de la Corse à Bruxelles.

Votre sentiment après cette élection?

Je remercie bien sûr les électeurs qui ont apporté leurs suffrages à ma candidature et à la liste conduite par Yannick Jadot en Corse. Avec 22% des voix, notre île obtient le score le plus élevé réalisé sur l’ensemble des régions en France. Les Corses se sont largement reconnus dans la candidature que j’ai portée au nom de Femu a Corsica et de la Fédération R&PS et c’est une très bonne chose dans un contexte de dialogue difficile avec le gouvernement. Cela contribue à conforter notre démarche vis à vis de Paris.

 

Quel message allez vous porter à Bruxelles?

Le parlement européen au sein de la construction européenne est un espace politique qu’il faut occuper pour faire valoir la revendication du peuple corse, sa demande d’autonomie, et aussi pour faire comprendre quels sont les intérêts de la Corse et le fait qu’ils doivent être pris en compte par les institutions européennes, je pense notamment au fait de l’insularité.

Ça n’est pas gagné d’avance, mais si vous n’y êtes pas, c’est perdu d’avance!

En y étant, on se donne un moyen supplémentaire d’obtenir des résultats et je suis d’autant plus confiant que cette présence, par rapport à mon premier mandat, se fait dans un contexte corse beaucoup plus ouvert, à travers l’engagement de Gilles Simeoni au sein de la Commission des Iles de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes, ou de Nanette Maupertuis au sein du Comité des Régions. Nous avons également trois députés à Paris, une majorité absolue à l’Assemblée de Corse, ce sont des éléments favorables pour que l’on réussisse à mener une politique à Bruxelles sans doute plus efficace que durant le mandat 2009-2014.

Par ailleurs, nous siégeons au sein du groupe Verts-ALE, qui aura davantage de poids puisque l’on atteint des scores impressionnants en Allemagne et dans d’autres pays qui fournissent de grands contingents de députés européens, nous y trouvons un soutien important pour la suite, notamment dans le débat avec l’État qui aujourd’hui reste très fermé à nos revendications.

 

Le Parlement européen est une tribune politique, mais c’est avant tout un travail patient et intense de lobbying. François Alfonsi y défendra les droits du peuple corse et des Nations sans État.

Les équilibres ont bougé au sein de ce parlement?

La vie politique au sein du parlement européen était dominée par une alliance de fait entre les socialistes et la droite du parti populaire européen qui avaient une majorité absolue à eux deux et donc des ententes sur les postes de responsabilités.

Aujourd’hui ils n’ont plus cette majorité absolue et cela change beaucoup de choses. L’importance du groupe libéral est beaucoup lié aux résultats du groupe britannique, elle est provisoire car si le Brexit est prononcé, les eurodéputés britanniques devront se retirer. Le groupe des Verts/ALE va encore se renforcer avec les discussions en cours. Son poids par rapport à cette situation nouvelle est intéressant.

C’est un groupe charnière qui va avoir un rôle important.

 

Le Rassemblement National qui sort en tête ça vous inquiète?

Il sort en tête, mais il ne fait pas beaucoup plus de voix qu’il n’en avait fait il y a cinq ans. Certes il ne faut pas relativiser mais il ne faut pas non plus tomber dans une sorte de logique absurde qui consiste à dire que si Mme Le Pen avait fait 30 points et Macron 31, ç’aurait été une victoire pour le gouvernement, et si elle fait 20 points et Macron 19, c’est une défaite extraordinaire pour la démocratie. Je pense qu’il y a une stabilité du Front National. Il y aussi un parti de gouvernement qui a mis tous ses moyens pour arracher une élection, et obtient finalement un score assez faible. Et le jonglage avec les chiffres qui tend à faire de cette élection un match Macron/Le Pen, ce qui en gros favorise Le Pen, et ne favorise pas les forces démocratiques n’est pas bon. L’électeur qui n’a pas beaucoup d’intérêt pour la cause européenne mais qui à la fin s’est dit pourquoi je ne saisirai pas cette occasion pour exprimer un mécontentement, c’est une partie de l’explication de la participation et de la montée du vote Rassemblement National. Donc attention à ne pas trop gonfler la baudruche Le Pen jusqu’à ce qu’elle ne finisse par parvenir aux responsabilités.

 

Et en Corse?

C’est un score qui montre qu’on a bien rassemblé l’électeur nationaliste sur un message un peu compliqué. Dire il faut voter écologiste pour faire un député européen nationaliste, surtout dans une campagne qui était très atone, ça n’était pas évident. Malgré tout le score est là.

Il montre qu’il y a un socle d’électorat nationaliste important autour de Femu a Corsica qui est le seul parti qui s’est engagé. La liste est première dans dans 132 communes de Corse et seconde dans bien d’autres, notamment dans les grandes communes urbaines, derrière un score RN dont on sait qu’il retombe beaucoup plus bas quand les enjeux électoraux sont locaux. Ce qui veut dire que dans les stratégies municipales à construire, notre parti, les gens qui ont soutenu ma candidature, ont un rôle important à jouer.

 

Soutenu par Femu a Corsica mais pas par les autres composantes de la majorité…                                  

Je pense que si le mouvement nationaliste s’était engagé pleinement, on aurait certainement pu sortir en tête dans l’élection, donc c’est un regret. Maintenant, je suis député européen, aux côtés de trois députés à Paris, d’une Assemblée où la majorité absolue est nationaliste, je pense très clairement que mon élection a renforcé le mouvement nationaliste dans son ensemble.

Il était important dans cette élection d’engager le maximum de moyens politiques, ce qui a été fait, puisque le résultat est là. Les électeurs ont suivi. Le Conseil Exécutif est impliqué sur le terrain européen, c’est ce que je retiens avant tout. Le maillon du député européen était très important pour consolider un dispositif efficace pour faire du lobbying, notamment sur la question des îles, au niveau de l’Europe.

 

Comment allez-vous porter cette problématique des îles ?

C’est une de mes priorités. Il y a les commissions, comme l’agriculture, les transports, qui sont les commissions organiques du parlement européen, et puis il y a la possibilité de créer des intergroupes avec des députés sensibilisés à cette question et que l’on va pouvoir fédérer, qu’ils soient grecs, italiens, espagnols, britanniques, etc. C’est un outil de lobbying qu’il faut structurer, parce qu’il faut les moyens du parlement européen pour pouvoir travailler, se réunir, avec le soutien d’interprète, etc. Ce sera un de mes premiers objectifs, créer un intergroupe des îles qui fera pression pour que les politiques européennes prennent en compte les déficits de l’insularité et faire en sorte de lui donner l’ensemble des moyens du parlement européen disponibles. Cet intergroupe n’existait plus lors de la précédente législature. Je vais essayer de le relancer malgré l’absence d’un député sarde, ce qui est un handicap.

 

Ces intergroupes rassemblent des députés de toutes tendances politiques ?

Le parlement européen n’est pas une institution qui fait ou défait un gouvernement, avec des majorités solidarisées avec un gouvernement. Il y a des majorités qui se créent qui peuvent être des majorités d’idées où des députés de différents groupes travaillent ensemble, c’est ce qui est intéressant dans le fonctionnement du parlement européen. Le député sarde avec qui j’avais l’habitude de travailler dans mon précédent mandat était au parti des libéraux, et nous avons beaucoup travaillé ensemble au sein de la commission du développement régional. C’est donc ce qu’il faut faire, intéresser le maximum de députés à nos problématiques.

 

Qu’est ce que ça peut changer un député européen pour la Corse ?

Il y a d’abord le fait d’internationaliser la question corse. Aujourd’hui, grâce à l’action menée au parlement depuis des décennies, je pense qu’il n’y a pas un député européen qui considère que la Corse est une région française comme les autres. C’est une région qui présente des revendications spécifiques qui vont au-delà de l’insularité, qui sont des revendications politiques, c’est déjà un résultat.

L’internationalisation se fait en étant au sein des instances où vous êtes en mesure de faire valoir vos revendications et votre identité politique. Le parlement européen c’est pour cela très utile. ça l’est par rapport aux langues, où vous êtes en action commune avec un Basque, un Catalan, une Galloise, des gens qui portent la même revendication. ça vaut pour les îles puisque l’on travaille avec des gens des Baléares, de Sardaigne, des îles grecques, etc. Tous ces députés se rencontrent, travaillent régulièrement et font leurs propositions à la Commission européenne.

Ensuite, le parlement européen élabore des règlements. Ces règlements doivent prendre en compte les réalités insulaires, pour le développement régional, pour l’agriculture, pour les transports, pour toute chose.

 

Par exemple ?

Dans une île, les besoins de transports ce n’est pas simplement pour faire voyager les touristes, mais aussi pour prendre en compte les besoins de désenclavement des populations résidentes. Il faut faire comprendre qu’il y a des spécificités en termes de grandeur du marché, de surcoût économique, etc. À partir de ces arguments, il faut faire en sorte que la Commission accorde une attention particulière aux besoins exprimés. On pense à davantage de fonds par tête d’habitant bien sûr, mais pas seulement. Souvent dans un règlement européen, le plus handicapant c’est le périmètre des actions autorisées, conçu pour des régions continentales comme la Bavière, comme la région Rhône-Alpes qui sont des régions qui ont des grands moyens de recherches, de grands moyens industriels, ce que nous n’avons pas. Le travail d’un député européen pour la Corse consiste à faire mettre en place au moment de l’élaboration des directives et des textes qui encadrent le versement des fonds européens, les autorisations et dérogations nécessaires pour que tous les dossiers utiles à la Corse et utiles aux îles européennes en général puissent être éligibles à davantage d’aides.

 

Un travail de lobbying donc ?

C’est quelque chose qui demande une action coordonnée parce qu’il faut faire évoluer la Commission et il faut que cette action soit relayée par les États membres concernés. Il faut que tous les États qui ont la responsabilité d’espaces insulaires soient poussés à agir et il y a donc une coordination très importante entre le travail de lobbying exercé sur la Commission européenne, et la capacité qu’a l’Exécutif en Corse d’agir pour que le gouvernement français se mobilise à son tour aux côtés des autres gouvernements européens qui comptent des îles. C’est comme ça que ça marche et que l’on arrive à des résultats.

 

Le Parlement européen a-t-il réellement du pouvoir ?

Le règlement proposé par la Commission

– puisque la Commission est un gouvernement

–, même lorsqu’il est approuvé par le Conseil qui regroupe les chefs d’États, est soumis à l’accord du parlement. Depuis le Traité de Lisbonne, il y a un pouvoir de codécision. Sur une question de lobbying très forte sur la pêche électrique, par exemple, la Commission a proposé son texte, le Conseil était très attaché à ce que ça passe, et le parlement a dit non. Il y a donc un pouvoir qui peut s’exercer. Mais c’est un combat au quotidien qui n’est pas facile, on l’a vu pour le glyphosathe. D’où l’importance de mettre toutes nos forces dans la bataille. C’est un travail sur la durée.

Concrètement comment ça se passe ?

En posant des amendements sur les textes qui vous concernent où vous demandez la prise en compte de la dimension insulaire par des ajustements sur les volumes financiers, sur les règlements, etc, de façon à les adapter. Et lorsque vos amendements sont votés, vous entrez dans une négociation où vous pouvez être appuyé.

J’ai eu des amendements lorsque je siégeais à la Commission du Développement régional sur les régions intermédiaires, qui ont été posés, votés en Commission, soutenus par certains Etats et c’est devenu ensuite une réalité. Député européen, ça n’est pas simplement une tribune politique, c’est un travail très concret.

 

Quelles seront vos autres priorités ?

La question agricole bien évidemment.

La redéfinition de la Politique Agricole Commune c’est quelque chose de déterminant.

Là encore, j’ai l’intention de me coordonner avec ceux qui sont aux responsabilités dans les instances agricoles, à commencer bien évidemment par Lionel Mortini à l’Odarc mais aussi Pierre Acquaviva, président de la Chambre d’Agriculture régionale. Nous avons besoin d’être en relation constante, souvent on peut être entendu. S’il n’y a personne pour défendre, évidemment on est à l’handicap. C’est bien la réussite de cette élection pour nous, grâce à l’ouverture faite par les écologistes, le mouvement nationaliste pourra être représenté dans les lieux où ces choses se discutent et se décident.

 

Vous siégerez dans le groupe Verts, mais de quelle autonomie vous disposerez ?

Le groupe est une alliance, et s’appelle le groupe Verts-ALE dans lequel l’ALE, Alliance Libre Européenne qui est un parti politique européen qui regroupe 45 partis nationalistes en Europe dont Femu a Corsica, a une totale autonomie de décision.

Nous prenons bien sûr en compte dans nos débats au sein du groupe les arguments qui nous sont présentés, mais au final, nous avons notre liberté de vote en tant que député nationaliste catalan, écossais, corse, etc.

C’est dans ce cadre là que j’essaierai de négocier une présence dans la commission Agriculture et la commission Énergie car il me semble que ce sont deux dossiers importants à suivre pour la Corse.

 

Lors de la mandature 2009-2014, François Alfonsi s’est fait l’avocat des langues en danger de disparition,minorées par les États-Nations.

Vous êtes aussi le candidat des régions ?

Bien sûr, je l’avais déjà fait lors de mon précédent mandat. J’avais été très actif auprès des partis membres de R&PS qui est une Fédération regroupant Alsaciens, Basques, Bretons, Catalans, Occitans, Savoisiens, Mosellans et même Berbères, et bien sûr Corses. Et c’est parce que R&PS a pu s’inscrire dans la durée et se développer que l’on a pu négocier à nouveau une présence à un poste éligible sur la liste de Yannick Jadot. Il est très important de faire vivre la Fédération. Les Corses sont considérés par tous nos amis comme le fer de lance de leurs revendications, on a leur confiance, cela nous honore et nous oblige. Nous avons des devoirs vis à vis d’eux et au parlement européen je serai aussi leur représentant.

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