Élections européennes

Comment la Corse a déjoué un mode de scrutin défavorable

Notre confrère Corse Net Infos s’est fait l’écho d’un article paru dans un média sarde (vistanet.it) déplorant l’absence de député pour représenter la Sardaigne, alors que l’ìsula surella compte un peu plus de 1,6 millions d’habitants et que Malte, l’Estonie, Chypre ou le Luxembourg, qui comptent tous moins d’habitants, ont élu six membres au parlement européen ! En cause, le mode de scrutin en Italie qui met en concurrence la Sardaigne avec des îles plus densément peuplée au sein d’un collège propre aux îles italiennes. « La Sardaigne, qui a une population bien plus nombreuse que la Corse, vote dans ce qu’on appelle “le collège des îles”, difficile pour cela, de gagner un siège en Europe face à la Sicile qui a une population de 5 millions d’habitants » explique Corse Net Infos. En réalité, le mode de scrutin en France n’est guère plus ouvert et devrait mettre la Corse, et ses 330.000 habitants, en situation de marginalisation sans espoir de représentation. Alors, comment la Corse a-t-elle déjoué ce mode de scrutin défavorable pour trouver une représentation à Bruxelles ?

 

En réalité, c’est un investissement politique intense sur le terrain international et le jeu des alliances qui permet à la Corse d’avoir élu un député européen le 26 mai dernier ! Il a fallu pour cela travailler durant 40 ans à l’internationalisation du problème corse, avoir structuré des forces politiques comme l’ALE (Alliance Libre Européenne), aujourd’hui parti politique européen qui fédère 45 partis nationalistes en Europe, et qui a fait ses premiers pas à Bastia, en 1979, à l’invitation de Max et Edmond Simeoni, lors d’une conférence de presse donnée par des eurodéputés flamands, écossais, gallois, basque, galicien… et sarde ! L’année suivante, l’ALE était fondée officiellement et la démarche a fait son chemin toutes ces décennies, au prix de bien des sacrifices d’investissements de la Corse auprès des nations sans État pour être reconnue parmi elles.

Quelques années auparavant avaient été mené les premiers combats écologistes en Corse, avec la lutte contre des essais nucléaires à l’Argentella, puis contre les déversements de boues rouges de la Montedison en Méditerranée qui ont valu à Edmond Simeoni ses premiers jours de prison et des manifestations monstres à Bastia pour l’en sortir. Dans les années 70 également, a été fondé le Comité anti-Vaziu, que l’on doit à deux hommes qui ont ainsi engagé les premiers pas de l’écologie politique en Corse, Norbert Laredo et François Alfonsi.

Ils ont créé dans la foulée dans l’île un parti écologiste, I Verdi Corsi, avec quelques autres comme Guy Cambot ou encore Sergue Guardiola, actuel représentant d’Europe Écologie les Verts en Corse.

Il a fallu aussi savoir impulser puis créer une Fédération de partis à l’échelle de l’hexagone, toujours sous l’égide de François Alfonsi et de Max Simeoni, très visionnaires sur ce plan, pour regrouper Alsaciens, Basques, Bretons, Catalans, Occitans, Mosellans, Savoisiens, et bien sûr Corses, sans oublier de tendre la main à d’autres opprimés comme les Berbères.

À l’époque, il fallait de l’instinct politique pour nouer des alliances entre cette Fédération des Régions et Peuples Solidaires qui lui ont donné son nom, et le mouvement écologiste naissant en France, seule force politique qui se soit montrée capable, dans la durée, d’entendre notre message et les aspirations à plus d’autonomie et à la reconnaissance de nos langues et de nos cultures.

C’est un travail de près de 30 ans qui a été mené, pour rapprocher ces deux combats, intimement liés, en partageant les problématiques, en faisant en sorte de soutenir pour être soutenus, et en structurant patiemment, ensemble, une offre politique en faisant le pari qu’un jour, elle porterait ses fruits.

 

Bref, il n’y a pas de secret. Si la Corse obtient aujourd’hui, (comme en 1989 avec Max Simeoni ou en 2009 avec François Alfonsi), un député européen pour porter ses revendications devant les institutions européennes, c’est le résultat de 40 années d’investissement sur le terrain international à bâtir cette démarche politique. Et – on le comprend par ce bref rappel historique – ce n’est pas un hasard non plus que ce soit François Alfonsi qui ait été désigné candidat à une très large majorité par la Fédération R&PS pour la représenter. Puisque cet investissement patient et obstiné, c’est en grande partie lui qui l’a porté, avec Max Simeoni, quand le nationalisme corse avait bien du mal à y croire, et à miser sur ce type d’engagement.

Le scrutin en France ne nous est absolument pas favorable. Nous avons su déjouer ce piège, envers et contre tous les obstacles et les scepticismes depuis 40 ans, et jusque durant cette campagne 2019 où les enjeux cruciaux qu’elle soulevait n’ont hélas pas été pris à la bonne mesure par l’ensemble des directions du mouvement nationaliste. Ce qui aurait probablement permis d’éviter que le Rassemblement National de Marine le Pen ne ravisse la première place dans l’île ! Heureusement tout de même, le gros de l’électorat a suivi et les défaillances ont été en partie comblées aussi par des apports nouveaux, écologistes bien sûr, mais aussi au-delà, avec l’appui de nombreux maires conscients de la nécessité de doter notre île d’un eurodéputé. La liste écologiste qui plafonnait à 4,38% en 2014 sur notre territoire, est arrivée cette fois-ci première dans 131 communes de Corse et dépasse largement les 13,47% obtenus à l’échelle nationale, dans 320 communes de l’île.

Il faut tirer un chapeau à Femu a Corsica qui a porté le message avec son candidat, et avec l’implication forte du Président du Conseil Exécutif, Gilles Simeoni. Voilà qui préserve l’image de la Corse en Europe, au sein du groupe Verts/ALE, et en France, au sein de l’ensemble des régions à forte identité qui s’illustrent toutes également avec des scores jusqu’ici inégalés pour les Verts lors d’une élection européenne grâce à l’électorat régionaliste.

Bravo donc à tous celles et ceux qui y ont cru ! C’est grâce à leur foi et à leur persévérance que la Corse et l’ensemble des Régions et Peuples Solidaires ont leur place au sein de l’hémicycle européen pour les cinq prochaines années.

 

Fabiana Giovannini.