Catalogne

Démocratie contre légalité

L’annonce de la tenue du referendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 a été le point de départ d’un nouveau bras de fer entre Catalogne et Espagne. Sur le plan des valeurs, ce bras de fer oppose la démocratie catalane à la légalité espagnole.

La démocratie se doit de gagner, car c’est le fondement même de la liberté.

La légalité finira bien par s’adapter !

La démocratie est universelle, la légalité relative. Par exemple, quelle valeur pouvait avoir la légalité de l’apartheid ? Ou encore la légalité du régime franquiste ? Madrid sait que sa position est faible car la démocratie catalane est irréprochable, et sa légalité illégitime depuis que la Cour Suprême a attenté au «pacte d’autonomie» qui avait été accepté par les Catalans.

En effet, à l’origine, le point de rupture a été la décision prise en 2010 par la Cour Suprême espagnole d’annuler, au nom de la légalité de l’État, le nouveau statut de l’autonomie catalane qui avait été l’objet de l’accord, validé par le referendum de 2006, entre les instances élues de la Catalogne et de l’Espagne.

C’était déjà Mariano Rajoy, leader de l’opposition d’alors au socialiste José- Luis Zapatero, qui avait introduit le recours devant la Cour Suprême pour obtenir, au nom de la légalité constitutionnelle espagnole, l’annulation du compromis démocratique négocié entre les deux entités, gouvernement espagnol et Generalitat de Catalogne.

Durant les sept années qui ont suivi, la démocratie catalane a construit sa riposte à ce premier « coup d’État », à ce mauvais coup politicien de Mariano Rajoy. Le moyen qu’elle a déployé a été celui de la contestation dans la rue, en organisant de gigantesques mobilisations chaque année, tous les 11 septembre, à l’occasion de leur Diada, fête de la nation catalane. Le refus de l’autonomie catalane décidé par Madrid a amené la progression mécanique du sentiment indépendantiste passé en quelques années de 25 % à plus de 50 % au sein de l’opinion publique catalane.

Dans le même temps, l’idée de referendum a fait son chemin, et s’est installée progressivement. Une première commune s’est engagée, Arenys del Munt, dès 2009, et à partir de ce précédent des consultations se sont organisées progressivement dans toute la Catalogne. Une véritable «machine démocratique » s’est mise en branle, qui touchera en six vagues successives de consultations locales, de septembre 2009 à avril 2011, toutes les communes de Catalogne.

Les dirigeants des deux principaux partis nationalistes, Oriol Junqueras pour ERC, et Artur Mas pour Convergencia Demòcratica, signent alors un accord politique, en décembre 2012, pour l’organisation d’un referendum général en 2014. Cet accord permet l’élection d’Artur Mas à la Présidence de la Generalitat, et, en 2014, celui-ci prend en charge l’organisation d’une première « concertation citoyenne ». Plus de deux millions de catalans se rendent aux urnes, formidable participation pour une consultation sans portée juridique, plus de 80 % choisissant l’indépendance.

Une nouvelle élection de la Generalitat a lieu en septembre 2015 qui a donné une majorité absolue aux nationalistes catalans, qui s’unissent sur le projet d’un véritable referendum d’autodétermination, celui qui a été organisé le 1er octobre dernier.

Pour le gouvernement espagnol, il fallait essayer d’en empêcher la tenue par tous moyens : chasse aux urnes et au matériel de vote avant la date du scrutin, puis intervention très violente de la police dans les bureaux de vote pour tenter de dissuader les électeurs.

Le gouvernement Rajoy a sans doute imaginé qu’il pourrait apporter suffisamment de perturbation au référendum du 1er octobre pour empêcher que sa tenue et ses résultats ne soient crédibles.

Mais l’organisation patiemment mise en place depuis plusieurs années a été plus forte, réussissant le tour de force d’ouvrir les bureaux de vote, tandis que les électeurs catalans se sont rendus en masse pour voter.

La démocratie catalane a parlé, mais la légalité espagnole refuse de l’admettre.

Toutes les offres de médiation sont rejetées.

Le gouvernement engage le conflit et sa dernière décision a été de « dissoudre » la démocratie catalane en annulant le statut d’autonomie. Le « coup d’État » de Madrid est désormais mis à nu, et il faut s’attendre à une nouvelle escalade dans les semaines à venir, car, ils l’ont montré aussitôt, les Catalans sont prêts à continuer leur « longue marche » commencée il y a sept ans.

Dans les jours à venir, avant qu’elle ne soit dissoute, l’Assemblée catalane va probablement confirmer sa déclaration unilatérale d’indépendance, Madrid ayant refusé toute forme de dialogue.

La prise en main des institutions catalanes depuis Madrid va provoquer des réactions puissantes : manifestations, grèves, etc. Le fossé va se creuser encore entre l’aspiration démocratique du peuple catalan et l’autoritarisme obtus du gouvernement central espagnol. La crise ira crescendo, l’Europe en sera affectée et elle finira par regretter amèrement ses attitudes «de premier degré» et le soutien inconsidéré apporté à Mariano Rajoy durant ce mois d’octobre 2017.

Car, au bout du compte, la démocratie catalane l’emportera, d’une façon ou d’une autre. _

François Alfonsi.