un enjeu stratégique

La gestion de l’eau

Lors de l’inauguration du réseau de Cauria (Ortolu - Sartè - Tizzà).

Arritti poursuit sa série d’interviewes sur le bilan de la nouvelle majorité. Après le président de l’Assemblée de Corse, la semaine dernière, nous interrogeons Xavier Luciani, président de l’Office d’Equipement Hydraulique de la Corse. Il est aussi en charge de la langue corse, mais cet aspect de son bilan sera abordé lors d’une prochaine édition. La Corse a vu ses compétences renforcées dans le domaine de l’eau. La gestion de cette précieuse ressource, de l’assainissement et des infrastructures nécessaires est une priorité du Plan d’Aménagement de développement durable de la Corse. Retards en infrastructures, mauvaise gestion du passé, les problèmes ne manquent pas. S’y ajoutent aussi des grandes questions comme celles de la lutte contre les inondations, de l’aménagement des cours d’eau ou encore du réchauffement climatique qu’il faut savoir anticiper dans une approche transversale avec l’ensemble des membres de l’Exécutif concernés pour plus d’efficacité.
Xavier Luciani répond à nos questions.

Avec Jean Paul Guerrieri (OEHC Balagna) au barrage d’E Cotule.

La semaine dernière, la presse faisait état d’un rapport d’analyse financière émanant du Cercle de réflexion I Chjassi di u cumunu, qui portait sur la période 2009- 2015, sur la situation de l’OEHC que vous présidez. Quels commentaires vous inspirent ce document?

Saveriu Luciani : Tout d’abord, rendons à César ce qui appartient à César. La publication de ce rapport m’a quelque peu surpris sur la forme, car il employait le présent de l’indicatif, alors qu’il critiquait exclusivement une période antérieure à notre arrivée aux responsabilités de ce pays. Par contre, il met en lumière une situation dramatique et fustige la gestion de l’Office sous les mandatures Santini (2009) et Giacobbi (2010-2015). Je le répète: à notre arrivée, nous avons hérité d’un état des lieux catastrophique. Quelques éléments connus –diffusés lors de divers Conseils d’administration de l’Office – corroborent à l’évidence les conclusions de ce rapport : une capacité quasi nulle d’autofinancement, un investissement timide, une créance monumentale (plus de 12 M€ fin 2015), une incapacité de recouvrement chronique et, par voie de conséquence, une trésorerie critique.

Ce constat ne traduisait-il pas en fait l’inadaptation de l’outil?

En début de mandature, il a bien fallu chercher à stabiliser le navire et à indiquer le cap. J’ai donc revêtu l’uniforme de capitaine et œuvré à redresser la barre. Nous avons lancé la réflexion sur la réorganisation progressive –obsolescence de l’organigramme, des statuts, du fonctionnement intrinsèque, etc.– mais aussi sur la sécurisation du lien juridique entre la CTC et son concessionnaire l’OEHC. Au-delà du plan organisationnel, un focus sur les rendements des réseaux, secteurs par secteur, démontrait là encore des chiffres alarmants : vraisemblablement plus de 20 millions de mètres cubes non facturés, soit un manque à gagner annuel de plus de 5 millions d’euros !

Pour autant, vous avez développé un projet. Quel bilan faites-vous de cette première année?

Nous n’avons pas la prétention de dire que nous avons rétabli une situation plus que compromise en décembre 2015. Cependant, nous avons élaboré d’emblée un DOB 2016 qui proposait une profonde rupture avec ce passé récent. Notre premier objectif était de replacer l’Office au centre du dispositif d’aménagement hydraulique du territoire, lui rendant sa vocation pleine et entière et son rôle au service de ce peuple. À cet effet, nous avons donc construit le premier étage de l’alternative, en axant les efforts sur la maitrise totale de la masse salariale et la mise en place –non encore aboutie à ce jour– d’outils de pilotage et de contrôle. Tout le monde comprend que cette entreprise prendra plusieurs années.

Quels sont ces pistes du DOB 2016 qui permettent de préparer l’avenir?

J’ai déjà cité les premières. Pour le reste, il a été envisagé des orientations propres à redonner un élan, autour d’orientations visant à redéployer l’EPIC sur le terrain, en améliorant la coordination interne et le service aux usagers, en développant le service de communication, en ouvrant des perspectives de collaboration et de formation, notamment en direction de l’Università di Corti. Peut-on, à l’heure où la Terre entière s’interroge sur les conséquences du changement climatique, ignorer les champs immenses de l’innovation, de la recherche et de l’énergie? Peut-on laisser perdurer des pratiques «culturelles» désormais dépassées? Nous devons changer notre regard sur l’eau, lutter contre le gaspillage et sécuriser nos ressources. J’ai d’ailleurs demandé pour accompagner ce processus dynamique de recruter un chargé de mission qui puisse coordonner et piloter les actions de terrain sur l’amélioration des rendements.

On a beaucoup évoqué les factures…

Lorsque l’on en parle, on s’aperçoit très vite de la relation de cause à effet : c’est mathématique. Il faut savoir que la courbe s’infléchit parce que la volonté politique est extrêmement déterminée. Face au lascia corre et à la complaisance, nous avons opposé une stratégie de recouvrement.

Elle n’a pas vocation à plaire mais à être efficace pour rééquilibrer le plus tôt possible nos finances. Nous nous sommes dotés dès la fin 2015 d’un véritable agent comptable de plein exercice. Il faut savoir qu’auparavant, pendant plus de trois années, le service était assuré à raison d’un seul jour par semaine par le payeur régional de Corse. Est-il besoin d’aller plus loin dans l’explication de ce formidable gâchis ?

Y a-t-il des difficultés dans vos tentatives de recouvrement ?

Changer de paradigme n’est jamais facile, et faire de la pédagogie vers les collectivités et le monde agricole prend du temps. Nous nous y sommes attelés durant toute cette année 2016 et nous  continuons encore. Ainsi, nous pouvons dire que nos objectifs de recouvrement sont à la hausse, même s’ils ne sont pas encore satisfaisants. J’ai tenu à renouer le lien jusqu’alors distendu avec les agriculteurs. Depuis l’été, des ateliers ont été mis en place pour régler, en toute transparence et dans la concertation, cette problématique de la dette et de la tarification. Mais au-delà, nous avons aussi travaillé ensemble sur l’évaluation des besoins actuels et futurs de l’agriculture.

La même philosophie a été appliquée en direction des collectivités. Nous sommes en passe de régler bon nombre de contentieux hérités des anciennes mandatures.

Passons aux priorités 2017…

D’abord marteler notre discours en direction de l’État : l’île est sous-équipée en matière d’aménagements hydrauliques et de stockage. La Corse peut stocker environ 100 millions de m3 (dont 45 millions dans les ouvrages de l’OEHC) quand la Sardaigne dépasse les 2 milliards. Dire aussi que l’enjeu reste de développer un véritable programme hydraulique propre à garantir notre autonomie. Nous avons évalué à près de 250 M€ nos besoins futurs. Quand on regarde la part octroyée dans la 4e convention d’application du PEI, soit 20 M€, on mesure le chemin à parcourir. Ainsi, il convient d’initier des programmes dans le cadre d’une transversalité entre agences et offices, de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie et du développement durable. Un premier exemple vient conforter notre principe: la création du pôle de compétence fourrage à Migliacciaru (Odarc, OEC, OEHC). Pour poursuivre, nous allons continuer la coopération transfrontalière avec la Sardaigne, et préparer l’entrée de l’Office dans la collectivité unique.

Mais 2017 en quelques chiffres?

J’ai déjà cité le PEI, avec plusieurs chantiers en cours ou en projets. La nouveauté, qui rejoint nos préoccupations de stockage, ce sont les études programmées des barrages du Cavu, de Sambucu (Balagna), du Taravu et du Liamone. Pour le restant, précisons que le total des travaux s’élève à 20 M€, dont 14,5 M€ au titre du PEI avec cofinancement État-CTC (études et suivi des travaux par OEHC). Nous avons aussi entamé d’autres travaux, comme les réhabilitations des stations de pompage d’Alzitone et de Peri, la pose du feeder du Fiumorbu, la prise du Golu, les réserves de Guazza et d’Ocana, la construction de la station de traitement de Bonifatu, l’extension eau brute de Sarrula, le transfert Teppe Rosse- Bravona, l’amélioration des rendements réseaux du sud-est et de la plaine orientale sud, etc.

Comment appréhendez-vous la question cruciale du changement climatique?

Nous allons lancer très bientôt les bases d’un plan stratégique, Acqua nostra 2050, qui s’échelonnera en phases, de l’inventaire des ressources à l’actualisation du schéma hydraulique. Le président que je suis assume le défi politique et déclare que l’approche de la gestion de l’eau doit être repensée de manière fondamentale. C’est un enjeu stratégique qui doit prévenir les risques de pénurie et impulser un changement du rapport à l’eau, élément fondamental du développement et enjeu environnemental majeur. Face au réchauffement climatique, 2017 et les années à venir rendront à l’OEHC sa notoriété d’aménageur du territoire national Corse.

Lors de l’inauguration du réseau de Cauria (Ortolu – Sartè – Tizzà).