Après la journée du 4 avril à Cuzzà

Gilles Simeoni répond à Emmanuel Macron

Le Président du Conseil Exécutif était interrogé sur CNEWS ce vendredi 5 avril, au lendemain de la venue en Corse du Président de la République Emmanuel Macron. Extraits.

 

CNEWS: Est-ce que vous ne regrettez pas après tous les échanges du Président avec certains élus, d’avoir opté pour la politique de la chaise vide ?

 

Gilles Simeoni : La politique de la chaise vide est toujours insatisfaisante, surtout lorsque, comme c’est notre cas, nous sommes attachés à l’échange et au débat. Mais y compris après avoir suivi avec attention l’ensemble du débat, je suis conforté dans la conviction que le choix était le bon, tout simplement parce que malheureusement le format de ce débat tel qu’il était organisé n’a pas permis véritablement de situer les échanges à la hauteur de ce que nous considérons être les enjeux.

 

Le Président de la République a appelé à la raison car, dit-il, les Corses méritent mieux. Quels que soient les différends, les revendications, est-ce que cet argument n’est pas le plus important ?

C’est la raison de notre engagement en politique, au nom de valeurs, au nom d’une vision, au nom d’un idéal. Des valeurs d’ailleurs qui sont universelles.

Nous faisons tout, chacun à notre niveau, pour que les citoyens vivent mieux. En ce qui nous concerne, ce sont les Corses puisque nous sommes chargés des affaires de la Corse. Maintenant reste à trouver ensemble le meilleur moyen de faire que les choses aillent mieux. C’est en tout cas la volonté du Conseil Exécutif de Corse et de la majorité territoriale. J’espère que cela se concrétisera très vite par l’ouverture d’un véritable dialogue.

 

Certains vous reprochent d’être enfermés dans vos revendications locales, territoriales, nationalistes, et ne pas tenir compte d’autres aspirations, d’autres enjeux, comme le pouvoir d’achat, tous les thèmes que nous évoquons dans ce grand débat national ?

Je m’inscris totalement en faux contre cette affirmation. Au contraire, et je dirais même que ce qui s’est passé aujourd’hui en Corse et ce qui se passe y compris dans notre incapacité, que je regrette, à obtenir l’ouverture d’un véritable dialogue de la part du chef de l’État et du gouvernement, est en fait un raccourci insulaire de ce qui se passe à l’échelle française. Puisque ce soir c’était le dernier épisode du grand débat, et j’y retrouve en fait trois difficultés ici en Corse que l’on retrouve sur le continent.

Première difficulté, c’est le rapport à la question sociale. Elle est extrêmement prégnante en Corse. Il y a eu ici aussi une crise des gilets jaunes, et je suis obligé de constater, qu’y compris physiquement, le Président Macron tient à distance cette question. Les gilets jaunes étaient présents, ils espéraient pouvoir parler, ils ont été écartés. Et sur le fond, il n’y a eu, malgré les questions des maires, aucune réponse satisfaisante à cette question.

La deuxième problématique qui est laissée de côté, c’est le rapport aux territoires.

On sait qu’il faut aller vers une meilleure articulation entre l’État et les territoires, ça peut prendre une forme de différenciation entre les régions. En ce qui concerne la Corse, nous souhaitons construire progressivement un statut de véritable autonomie, qui n’est pas l’indépendance, il faut le dire avec force. Une autonomie qui existe dans le droit constitutionnel et qui est la règle dans toutes les îles de l’Union Européenne, et notamment en Méditerranée.

Et le troisième point, qui fait écho avec ce qui se passe sur le Continent, c’est le rapport à la démocratie. Je crois que ce qui est en jeu dans le grand débat et que les citoyens français en général, et y compris les Corses, attendent, c’est une démocratie qui respire, une démocratie qui vit, une démocratie qui fonctionne.

Et lorsque le Président de la République nous dit que, malgré les 56 % de voix qui se sont portées sur notre démarche, sur la liste que j’avais l’honneur de conduire, sur notre projet politique, ce projet ne peut pas être mis à l’agenda politique des discussions, alors même qu’il respecte les règles constitutionnelles fondamentales. Je considère, nous considérons, les Corses, de façon très majoritaire y compris au-delà des nationalistes, considèrent qu’il s’agit d’un déni de démocratie.

Le Président de la République n’a pas choisi par hasard de tenir cette dernière étape de ce grand débat en Corse, il a voulu envoyer un signal fort, celui de dire la Corse est dans la République ?

La Corse est aujourd’hui dans la République. La revendication dont la majorité territoriale nationaliste est porteuse, est une revendication d’autonomie de plein exercice et de plein droit. C’est aussi une forme d’appartenance à la République. Mais ce que je trouve particulièrement inquiétant à l’issue du débat de ce soir, c’est la réponse qu’a opposé le Président de la République à une interpellation qui d’ailleurs venait d’un maire qui l’a soutenu à l’élection présidentielle et qui l’exhortait à aller sur un chemin de paix et de dialogue, y compris avec les nationalistes, il a répondu en quelque sorte que le moment n’était pas venu parce qu’il n’y avait pas eu suffisamment de regret et de condamnation de l’assassinat du préfet Erignac, de la part des Corses en général, et de la part des nationalistes en particulier. Je crois que c’est un argument qui est injuste, qui est inexact, et surtout qui est dangereux, parce qu’il tend à faire peser une sorte de responsabilité collective sur tous les Corses, sur tous les nationalistes, pour un acte à propos duquel les auteurs ont été jugés, lourdement condamnés, ont eux-mêmes d’ailleurs exprimé leurs regrets pour ceux qui ont reconnu leur participation.

Un acte que pour ma part j’ai aussi condamné très clairement.

J’ai participé en ma qualité de Président du Conseil Exécutif de Corse, c’est-à dire en ma qualité de premier responsable politique de l’île, au nom de la majorité territoriale que je conduis, à toutes les cérémonies d’hommage au préfet Erignac. Donc dire aujourd’hui “je n’ouvre pas le dialogue avec les nationalistes parce qu’il y a cette tâche entre nous”, c’est en quelque sorte, 20 ans après, continuer à faire peser une sorte de responsabilité collective qui se transmettrait de décennie en décennie, de génération en génération. C’est aux antipodes du droit d’abord, droit français, droit européen. Et c’est à mon avis aussi aux antipodes de la politique telle qu’il faut la voir. C’est-à-dire la capacité bien sûr à toujours garder en mémoire les drames que la Corse a connu. Il y a eu l’assassinat du préfet Erignac, mais je rappelle qu’en 50 ans il y a eu malheureusement des dizaines de morts et des centaines de personnes en prison. Il y a des douleurs terribles des deux côtés. Notre responsabilité c’est de ne rien oublier de ces douleurs, mais en même temps de tourner la page de la logique de conflit et de s’engager ensemble sur une construction qui respecte les deux parties et qui permette de trouver les points d’équilibres qui soient acceptables par tous.