Fabiana Giovannini

« Il faut sortir du dogme jacobin »

Tombée toute jeune dans la marmite du militantisme, avec l’Unione di u Populu Corsu, dirigée par  Max Simeoni, Fabiana Giovannini y a puisé une énergie phénoménale, portant à bout de bras et  sans jamais faiblir, à toute heure du jour et de la nuit, sur plus de trois décennies, un mouvement  au sein duquel elle a tout fait : éditorialiste dans Arritti, colleuse d’affiches, à l’écoute et en  soutien des militants de toutes les sections, élue d’opposition à Bastia, élue d’opposition à  l’Assemblée de Corse, puis membre du premier Exécutif nationaliste de Gilles Simeoni, et  désormais conseillère territoriale Femu a Corsica, Présidente de l’Office Public de l’Habitat  Territorial. F.A.

 

Quel sentiment sur votre expérience au sein des institutions corses depuis 2010 ?

En 2010, nous étions dans l’opposition, c’était une toute autre expérience, je dois dire enthousiasmante ! Je découvrais l’institution, nous étions un groupe en pleine ascension, très impliqué, nous avions « faim et soif » de responsabilités. Je crois que cela s’est très bien ressenti. Nous avons influencé la mandature sur tous les dossiers forts du moment, notamment sur la question de l’énergie et du Padduc.

En 2015, c’était euphorique, après 50 années de combat du nationalisme contemporain nous arrivions enfin aux responsabilités d’une institution qui existe par nos luttes. J’aurais toujours en mémoire le regard sur nous d’Edmond et Lucie Simeoni et de tant de militants depuis la tribune du public. Avec eux, c’était tout l’investissement et les espoirs de tant d’années de sacrifices qui nous avaient porté jusque-là. Nous pouvions enfin concrétiser nos revendications. Les entraves ont été nombreuses, les 100M€ de passif, les difficultés avec Paris… Mais je crois que nous avons été à la hauteur et les Corses nous ont à nouveau plébiscité en 2017 avec cette fois-ci une majorité absolue. L’épreuve des responsabilités est difficile. Un État hostile, des collectivités locales et une administration souvent réticente à l’application des délibérations de l’assemblée, une fusion de trois collectivités radicalement différentes à mettre en place en quelques mois à peine, et un retard considérable à rattraper, sur des dossiers lourds, comme les transports ou les déchets. Tout est à construire et l’attente est forte. Il nous faut être très solidaires, organisés, le travail est colossal.

 

Vos responsabilités au sein du groupe ?

Avec la Présidence de l’Office Public de l’Habitat, j’ai hérité de l’outil qui a la plus mauvaise image de ce que nous avons qualifié comme « la Corse du passé ». Cela concentre l’essentiel de mon investissement pour parvenir à redresser cette image et à répondre à l’immense attente qui pèse sur nous, mais je suis aussi investie dans d’autres organismes, pour ne citer que la Commission du Développement économique, l’agence de l’Aménagement, de l’Urbanisme et de l’Énergie, l’Observatoire Régional de la Santé, la Commission de préservation des terres agricoles, le Conseil des sites, le Conseil de Famille… Chacun de nos élus siège dans de nombreuses commissions ou organismes, cela fait partie de notre travail et cela réclame un gros investissement.

 

Après deux ans à la présidence de l’OPH2C, quel bilan faites-vous ?

D’abord le constat : une image dégradée, de mauvaises habitudes ancrées, dans son administration interne comme dans la perception de ce que doit être son rôle par les locataires ou les partenaires, de grosses difficultés budgétaires, un patrimoine à l’abandon avec un énorme retard d’entretien et un public généralement dans la précarité et qui forme une grande partie de notre peuple (près de 90% des Corses sont éligibles au logement social).

Rattraper le retard d’entretien de plusieurs décennies, rebâtir la confiance, normaliser le fonctionnement, cela ne peut pas se faire en 2 ans. De fortes attentes pèsent sur nos épaules et la tension est quotidienne. Mais nous serons au rendez-vous pour peu qu’on nous laisse le temps d’y travailler.

En termes de bilan, je dirai pour l’heure plus de 400 attributions à des personnes ou familles qui attendaient un toit depuis des années, 150 locataires sortis de l’endettement, 2200 réclamations traitées, plusieurs réhabilitations attendues depuis des décennies  enfin lancées comme aux Pléiades, à St  Antoine, à Lucciana, à San Fiurenzu, à Cànari…  170 logements neufs réceptionnés ou qui le seront avant la fin de l’année à Bastia, Furiani,  Fulelli, Viscuvatu, près de 13M€ investis en  travaux et près de 64M€ de travaux programmés  dans les 10 prochaines années.

Tout ceci grâce surtout à un fort soutien de la Collectivité de Corse, désormais notre collectivité de rattachement. Le président du Conseil Exécutif vient de nous octroyer une Convention d’Objectifs et de Moyens de 28M€ sur 5 ans qui va changer véritablement le destin de cet outil.

 

La crise sanitaire a été éprouvante, craignez-vous davantage la crise économique et sociale ?

Bien évidemment, la Corse est déjà très lourdement impactée au niveau de la dynamique des entreprises et donc de l’emploi. Le Conseil Exécutif a été heureusement présent bien audelà de ses compétences. Mais il va falloir faire davantage. Le groupe Femu a Corsica apporte une contribution importante à l’élaboration de mesures à mettre en oeuvre. Mais ça restera insuffisant. Il nous faut nous serrer les coudes au-delà des clivages politiques.

Et il nous faudra davantage de compétences pour faire face, notamment au niveau fiscal.

La France ne pourra pas se relever de cette épreuve si elle ne mise pas sur le potentiel économique des territoires. Sa force est dans les régions, leur identité, leur capacité à innover, notamment en termes de dispositifs de solidarité. Il faut sortir du dogme jacobin en tout point. Or quand on voit avec quel mépris sont traitées nos demandes, c’est très inquiétant. Le Green pass par exemple n’est pas un caprice c’est un outil pour nous permettre de sauver la saison touristique tout en préservant la fragilité de notre système de santé. Pourquoi est-il envisagé en Outremer et rejeté en Corse ? Ça n’a pas de sens. La Corse est une île et doit pouvoir prendre ce type de décision par elle-même.  Il lui faut une autonomie de plein exercice et de plein droit.

Propos recueillis par F.A.