Pandemìa

La Collectivité de Corse sur le front du Covid-19

La CdC a mobilisé ses propres laboratoires d’analyses pour fabriquer du gel hydro-alcoolique.

C’est dans les épreuves collectives que se révèle la vérité des institutions politiques.

Vendredi 24 avril, après déjà six semaines de confinement et de paralysie de la vie économique dans l’île, tandis que les inquiétudes sont grandissantes sur les conséquences sanitaires et économiques de l’épidémie Covid-19 qui a particulièrement impacté la Corse, la Collectivité de Corse a fait le point de son action lors d’une session « hors normes », tenue via la visio-conférence, en dehors de l’hémicycle habituel.

Gilles Simeoni y a présenté un rapport complet et détaillé.

 

En l’absence d’une autonomie réelle, qui serait fondée sur des ressources conséquentes et des compétences directes comme en disposent les autres grandes régions autonomes d’Europe, les länders en Allemagne ou les autonomies institutionnelles dans plusieurs autres pays, c’est par la force de son engagement quotidien auprès des Corses que la Collectivité de Corse a pris sa place dans le dispositif de lutte contre la pandémie du coronavirus-19 et ses conséquences sanitaires, sociales et économiques.

Cet engagement est total, pour tous et avec tous, malades, publics fragiles, soignants, acteurs économiques lourdement impactés et menacés de devoir fermer leurs entreprises, leurs commerces ou leurs exploitations agricoles. Les fronts sont multiples et tous plus urgents les uns que les autres.

Même si la Corse est particulièrement touchée, Aiacciu ayant été identifié comme un des tous premiers « clusters » de la pandémie en France, elle peut se féliciter d’avoir résisté avec des résultats probants durant la «phase 1» du combat, pour encaisser la « vague épidémique » qui s’est levée et que l’île a finalement réussi à surmonter sans que soient menacés les fondements de son système de santé.

 

Sur le front sanitaire. La période a été particulièrement stressante. Comme le rappelle le rapport de l’Exécutif, « la Corse a été happée dans ce malstrom qui a, en quelques semaines, bouleversé nos vies individuelles et collectives. (…) La Collectivité de Corse, en tant qu’institution garante des intérêts matériels et moraux de la Corse et des Corses, s’est efforcée de comprendre les mécanismes épidémiques à l’oeuvre, et d’anticiper leurs conséquences, dans tous les domaines de notre vie collective. »

Dès février, pressentant que « la crise du coronavirus allait avoir des conséquences majeures », le Conseil Exécutif de Corse a mobilisé son institution et 4.500 agents pour qu’elle soit présente aux côtés de tous les Corses impactés par l’épidémie.

Le 3 mars, les hôpitaux insulaires ont enregistré leurs premiers décès, le 11 mars, l’OMS déclarait la situation de pandémie mondiale, et, au moment du déclenchement du confinement en France, le 17 mars, le «plan de continuité de l’activité » de la CdC a été opérationnel : protection sanitaire des personnels, sécurité des lieux publics dépendant de la CdC, continuité du service public et des missions essentielles telles que l’entretien des infrastructures, l’action sociale, les paiements aux tiers, la prise en charge des situations d’urgence, la continuité de l’exercice des missions exercées dans l’intérêt des publics les plus fragiles, etc.

L’action politique s’est alors portée sur trois aspects. L’aspect sanitaire a été la première priorité, pour suppléer et faire pression sur un Etat qui détient les leviers des décisions. Principal front celui des traitements proposés, par une mobilisation avec l’ensemble du corps médical insulaire, pressant l’État de faire en sorte que la Corse soit territoire d’expérimentation du traitement par hydrochloroquine selon les préconisations de l’Institut Hospitalier Universitaire du Dr Raoult à Marseille. L’État est resté sourd aux sollicitations venues de toute la France pour la généralisation de ce traitement, mais la Corse sera quand même territoire d’expérimentation dans le cadre des campagnes d’évaluation menée par le Ministère de la Santé.

Autre carence de l’État que la CdC a participé à résorber : la carence en masques et en matériels de protection, jusqu’à mobiliser ses propres laboratoires d’ana lyses, qui effectuent habituellement le contrôle de la qualité des eaux potables, pour fabriquer du gel hydro-alcoolique au rythme de 300 litres par jour.

Avec l’aide de la diaspora, et notamment d’un opérateur corse exerçant en Chine et fidèle lecteur d’Arritti, la CdC a réussi à concrétiser un marché d’importation de deux millions de masques, dont plus de la moitié ont été livrés mi-avril, au moment le plus crucial de la pénurie au niveau des services de l’État. Le stock approvisionné par la CdC permettra de faire face à plusieurs mois de besoin des milieux hospitaliers. Mais il faudra encore faire davantage : les seuls besoins pour fournir les personnels de la CdC dès l’instant que le déconfinement sera possible est estimé à 188.000 masques par mois.

Moins «médiatiques » que la question des masques, mais tout aussi nécessaires, ont été les mesures d’accompagnement social mises en place comme «Aiutu in casa » qui permet aux foyers ne pouvant faire face à une échéance de loyer ou EDF de bénéficier d’une aide ponctuelle de 150€, d’aider les établissements scolaires à donner les outils informatiques, nécessaires pour ne pas décrocher, aux élèves les plus démunis, d’accorder une prime exceptionnelle de 1.200 € aux stagiaires en formation dans les filières médico-sociales, très impliquées pour aider leurs établissements d’accueil au plus fort moment de la crise, ainsi qu’aux internes des hôpitaux.

 

Sur le front économique. Les inquiétudes sont grandes pour l’économie. En France, c’est 32% de la richesse qui ne peut être produite chaque jour de confinement, chaque mois 3% de déficit annuel de PIB. Mais, dans le contexte de l’économie corse, les impacts vont plus loin, particulièrement pour les secteurs du tourisme et des transports, qui emploient 56% des salariés insulaires, qui sont impactés à 80%. L’arrêt total des activités du bâtiment impacte 20% des emplois sur l’île. Dans l’agro-alimentaire, les carnets de commande ont chuté de 90% pendant que les stocks ont gonflé de 30% du fait des invendus.

Pour le tourisme, on comptait au 5 avril 5% des établissements ouverts, et 83% de demandes de report, et le plus souvent d’annulation, des réservations pour la saison à venir.

Face à ce cataclysme économique annoncé, la CdC a engagé immédiatement un plan de 30 M€ pour proposer des solutions complémentaires là où les mesures générales décidées par l’État (chômage partiel, report d’impôts et de charges, etc., presque 400 millions d’euros pour la Corse selon le Premier Ministre en visio-conférence avec les élus corses le 22 avril dernier) ne suffisent pas.

Certaines démarches ont consisté à coordonner les acteurs économiques pour qu’ils organisent l’entraide. Ainsi, les Grandes et Moyennes Surfaces ont été engagées à donner la meilleure place aux produits agricoles corses dans leurs rayons. Les industriels de la filière laitière ont cessé toute importation de lait pour pouvoir absorber la production des producteurs fermiers qui ne peuvent plus écouler leur marchandise, car leurs clients, souvent des restaurateurs, sont fermés. La CdC a pris en charge les écarts de prix que ce dispositif générait. Pour les viticulteurs, la production 2019 restera largement invendue pour cause d’absence de débouchés cet été. La CdC les aidera à s’équiper de nouvelles cuves pour pouvoir faire face aux besoins des vendanges 2020, et pouvoir stocker leur production pour l’écouler les années suivantes.

Le marché des agneaux et cabris s’est effondré avec l’annulation des festivités de Pâques : la Collectivité de Corse s’est portée acquéreur d’une partie de la production.

Les pêcheurs, dont la production trouve ses plus grands débouchés dans la restauration, sont nombreux à laisser leur embarcation à terre: ils seront aidés à hauteur de 30% de leur chiffre d’affaire perdu.

Les titulaires des marchés des lignes de transport interrompues pour raison de confinement seront quand même défrayés à hauteur de 50% des conventions passées pour assurer leur trafic.

 

Voilà plusieurs exemples de ce que la CdC a pu apporter, en complément des aides d’État pour faire en sorte que le tissu économique de la Corse ne soit pas détruit par la période actuelle. Il reste beaucoup à faire car la crise économique ne fait que commencer, et nul ne sait si le retour à la normale pourra véritablement intervenir pour des activités telles que le tourisme avant la fin de la saison. La relance de l’économie est conditionnée par un redémarrage de la demande une fois le confinement levé.

Mais cela sera fait au rythme des progrès sur le plan sanitaire, sans garantie sur les délais. Encore faudra-t-il faire en sorte que les consommateurs de demain trouvent des producteurs encore capables de leur proposer des produits. C’est une stratégie coordonnée structuration de l’offre/relance de la demande qu’il faut organiser, malgré les incertitudes puisque le risque existe d’une seconde vague épidémique qui remettrait encore tout en cause si elle intervenait.

Et cette reconstruction de l’économie corse devra être aussi l’occasion de la réorienter, pour qu’elle soit plus résiliente au plan écologique et social, pour qu’elle veille à relocaliser la production, pour assurer aussi la transition numérique.

Le rapport conclut : « la crise qui vient doit inciter l’ensemble des acteurs à surmonter les blocages actuels et à initier une nouvelle voie, confirmant irréversiblement le caractère pionnier et massif de l’engagement de l’île dans la révolution écologique. »

 

François Alfonsi.