France-Corse

Le déni historique

Il y a deux mois, jour pour jour à la publication du présent numéro d’Arritti, Edmond Simeoni disparaissait le 14 décembre 2018, laissant derrière lui un immense vide tant son action a marqué 50 années de luttes pour la défense du peuple corse. Un an auparavant, le 14 décembre 2017, il publiait cette réflexion* que nous voulons rappeler à l’adresse du Président de la République, Emmanuel Macron, à la veille de sa nouvelle possible venue en Corse.

« Errare humanum est, perseverare diabolicum» rappelait aussi Edmond Simeoni. Il est temps, grand temps de tourner la page de 50 années de conflit larvé, de rendez-vous manqués, de drames et de déni pour la Corse. Edmondu Simeoni ferma per sempre à fiancu à noi.

 

«La litanie est connue, rabâchée, mais il n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Dans la création de la France moderne, – les mille ans des Capétiens qui l’ont construite – faite de guerres, d’onctions, de conflits avec les religions, d’annexions, de mariages…; la Corse occupe une place très modeste par rapport à la «grandeur » et au prestige de la tutelle française, mais significative pour notre Peuple.

En effet en 1769, la nation corse de Pasquale Paoli a perdu la liberté à Ponte Novu, face à une armée royale surpuissante ; puis la répression terrible a suivi jusqu’en 1812 où des lois douanières iniques ont littéralement garroté et asphyxié pendant un siècle, la Corse, notre pays. Tandis qu’une francisation forcenée, systématique, habituelle était à l’oeuvre; un rouleau compresseur assimilationniste dont le talent est reconnu car prouvé dans le monde. « Nos ancêtres, les Gaulois » en étaient la Bible.    Les guerres de 1870 et surtout de 1914-1918, puis de 1939-1945, ont saigné la Corse, hypothéqué son développement mais aussi créé une symbiose, des liens et un patriotisme insulaire, enraciné et vivace. Le retard de développement a été majeur jusqu’en 1950, majoré par une émigration continue, 1950 où sont nés les premiers signes de la contestation insulaire.

Paris y a répondu par le PAR de 1957 (Plan d’Action Régionale), dont les principales orientations ont à la fois, sur le plan de l’agriculture et du tourisme, alimenté les injustices et amorcé la spoliation.

Dès lors, le Peuple Corse a retrouvé le chemin naturel et multiséculaire de la résistance.

 

Depuis 1960, la Corse a vécu une histoire tourmentée, jalonnée à partir de 1981 de trois statuts imposés, insuffisants et frileux, et elle en prépare actuellement un quatrième qui souffre des mêmes lacunes. Le rejet de l’identité, l’aliénation de la terre ont généré et alimenté la révolte ; la seule réponse apportée par l’État a été le refus de prendre en compte la situation politique, d’utiliser la répression, avec les justices d’exception et même l’utilisation scandaleuse des polices parallèles de Francia qui nous ont, en toute impunité, infligé plus de 60 attentats. Mais la France, pays profondément cartésien et démocratique, dit que cette révolte n’est pas de nature politique et que les prisonniers corses ne sont pas des prisonniers politiques. Tous ces faits sont donc des faits de droit commun ! Ce cynisme la déconsidère totalement sur le plan international, aggrave le fossé avec la Corse et notamment sa jeunesse ; elle compromet l’avenir commun et partagé que nous devrions construire ensemble.

L’État gère la crise corse de manière dilatoire, car il est persuadé que le temps joue contre le Peuple corse ; une fois de plus, il se trompe et les conséquences pourraient être dommageables pour les deux parties, qui ont des intérêts légitimes. Rien n’y fait : ni la ténacité et la durée de la lutte de résistance, ni les victoires démocratiques (Mairie de Bastia en 2014 ; CTC en 2015; législatives en 2017 et surtout les élections territoriales de décembre 2017) ; ni l’élection à l’unanimité du Président du Conseil Exécutif de Corse à la présidence de la Commission des Iles (Conférence des Régions Périphériques Maritimes), ne semblent infléchir le refus de Paris d’instaurer un véritable dialogue.

 

Les exigences démocratiques et répétées de notre Peuple (reconnaissance du Peuple corse, coofficialité de la langue, statut de résident, maîtrise fiscale, autonomie de plein exercice avec un pouvoir législatif encadré, dans le cadre du strict respect des compétences régaliennes de l’État et aussi de l’Union Européenne pour l’Euro, l’amnistie), avec l’indispensable révision de la Constitution française, sont rejetés avec mépris, un cynisme et une mauvaise foi rarement égalés.

Sans doute Paris espère-t-il que les militants nationalistes vont s’extrêmiser, pour nous précipiter dans une fuite en avant incontrôlée, tant au point de vue de nos revendications politiques que de nos choix d’action. Il se trompe lourdement : nous avons choisi, approuvé, appliqué et aujourd’hui confirmé, le choix des moyens de lutte exclusivement démocratiques, la revendication d’un statut d’autonomie de plein exercice au sein de la République française et dans le cadre de l’Union Européenne et de la Méditerranée.

Mais le caractère responsable et raisonnable de notre démarche ne doit pas conduire à une conclusion erronée : nous ne renoncerons à aucun de nos objectifs et à la panoplie fournie et considérable des moyens de lutte démocratique, non-violents. Nous poursuivrons la tâche qui a été initiée à la CTC au mois de décembre 2015 : la remise en ordre, le fonctionnement transparent, impartial et équitable de l’institution, le choix d’un projet de développement durable, social et solidaire dont le socle est ferme : la démocratie et les principes de l’humanisme.

Nous ne sommes ni surpris, ni stressés, ni aigris par le refus de dialogue de l’État ; il a mis en place unilatéralement et après des concertations-alibi, quatre Statuts inadaptés, sur près de quarante ans ; aujourd’hui, il se prévaut de ses propres turpitudes pour refuser, avec dédain, le vrai statut d’autonomie dont nous avons besoin et nous suspecter de surenchère et de fuite en avant. Nous affirmons nos revendications sur ce plan depuis 1973, inchangées.

 

La différence fondamentale avec hier, c’est que depuis Décembre 2017, l’Assemblée de Corse est dirigée par un mouvement national, démocratique, libre de ses décisions au service du Peuple corse et que l’État n’a plus les moyens, ayant perdu sa courroie de transmission, – le clanisme – de nous empêcher de progresser, d’enraciner la démocratie, de nouer des contacts internationaux, de présider une instance européenne internationale, de choisir des voies de développement adaptées, de commercer, de dialoguer et de passer des accords avec des pays étrangers comme la Sardaigne par exemple.

Nous avons de facto une autonomie de gestion dans de nombreux domaines.

Il faut renforcer cette évolution, réhabiliter la démocratie, renforcer l’économie, faire rayonner la culture, vivre avec et dans le monde et bien entendu, maintenir nos revendications politiques dans un esprit de dialogue ferme, mais mesuré.

Simultanément, nous allons amplifier notre action internationale sur tous les plans, par les échanges économiques et culturels, par l’information, par la recherche de solidarités. La France fait semblant d’oublier qu’il existe une opinion publique et une conscience internationale. Nous sommes adossés à un consensus populaire démocratique ; nous avons l’Histoire et le droit de notre côté.

Les murailles partisanes se déliteront inévitablement avec le droit des peuples à choisir leur destin et donc avec l’accession à la liberté. Demain, la coopération remplacera la confrontation.

Le chemin est ouvert pour un avenir paisible dans le concert à un échelon modeste, des Peuples du monde.

L’évolution est inéluctable. »

 

Dr Edmond Simeoni,

Aiacciu le 14 décembre 2017.

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