Université d'été R&PS

Les relations de la Corse avec l’État, quels enseignements ?

Le premier débat de cette 24e Université d’été, tenue à Aiacciu cette année, s’ouvrait sur la question corse et ses relations avec Paris. Pour l’animer, Gilles Simeoni, Président du Conseil Exécutif de Corse, Xavier Luciani, conseiller exécutif en charge notamment de la langue, Sampieru Sanguinetti, journaliste, pionnier de la télévision régionale, Tudi Kernalegenn, enseignant-chercheur en Sciences Politiques, spécialiste du régionalisme, avec pour modératrice, Antonia Luciani, porte-parole de Femu a Corsica.

Antonia Luciani introduisait qualifiant de « rendez-vous manqué » la mise en place par l’État de la Collectivité Unique qui, bien que, actant la disparition des deux conseils départementaux, n’enregistre aucun « transfert de compétences ou d’adaptation législative » en faveur de la Collectivité de Corse.

Visites ministérielles, cycle de discussion avec la « Madame Corse» Jacqueline Gourault, n’aboutissent à rien, jusqu’aux deux venues du président de la République qualifiées de « véritables atteintes à la dignité des Corses et de leurs élus ». Antonia Luciani appelle les intervenants à réfléchir sur « comment caractériser les relations entre la Corse et l’État ? Quelles perspectives développer dans les années à venir ? Et comment la Corse peut-elle ouvrir une nouvelle page politique et institutionnelle ? »

 

Gilles Simeoni enchaînait sur les relations « denses et fortes » unissant les membres de la Fédération Régions et Peuples Solidaires. Se proposant de « construire une stratégie commune » en réaffirmant le concept d’autonomie, il dénonçait l’approche confuse entretenue à dessein par l’Etat, pour renvoyer le débat à de simples problématiques de gestion. L’autonomie est « le droit commun de beaucoup de pays et régions en Europe », « toutes les îles de Méditerranée sont soit indépendantes soit autonomes », y compris des États actuellement très fermés aux revendications identitaires, comme l’Espagne ou le Portugal, avec des compétences très larges octroyées au Pays Basque, à la Catalogne ou encore aux Açores. La revendication corse «n’est donc pas dans la surenchère, l’utopie ou le décalage par rapport à ce qui se fait ailleurs (…) nous sommes adossés à une revendication historique » a dit encore Gilles Simeoni, rappelant le 44e anniversaire des événements d’Aleria, et le demi-siècle de combat nationaliste. De même, la « légitimité du suffrage universel » est incontestable, et pourtant, « paradoxe douloureux, on nous dit aujourd’hui on ne parlera pas avec vous de l’essentiel ! » Pourtant, l’État, a su concéder l’ouverture en son temps, François Mitterrand en 1981, octroi du statut particulier, réouverture de l’Université, amnistie des prisonniers, refonte des listes électorales, dissolution de la Cour de Sûreté de l’État. Quelques années plus tard, en 1988, second statut particulier avec l’Assemblée Nationale qui reconnait de par la loi l’existence du peuple corse « composante du peuple français », bien que censurée ensuite par le Conseil Constitutionnel. 1998 encore, le processus de Matignon qui devait conduire à un pouvoir législatif, « premier jalon d’une véritable autonomie ». Même Sarkozy « était allé plus loin que ne le font les responsables politiques actuels dans la prise en compte politique du problème corse. Tout ça alors que nous étions minoritaires ».

Cette fermeture totale de l’État « avec un périmètre du refus qui s’étend de plus en plus », entraîne « une situation de blocage catastrophique », « crée les conditions pour que la démocratie soit dépréciée et disqualifiée, et cela nous ne le voulons pas » martèle encore Gilles Simeoni. Il faut continuer à progresser et construire des stratégies pour « détruire ou contourner le mur », en restant dans une logique qui ne vise pas « à fractionner la société corse ou à la cliver en termes de nationalistes d’un côté et de non nationalistes de l’autre. Nous voulons absolument chercher, trouver des points d’équilibre qui permettent à tous les Corses ou au plus grand nombre de se reconnaître dans notre action ».

C’est ainsi que le jacobinisme pliera.

«Nous voulons une société de concorde, de solidarités et de paix », dit encore Gilles Simeoni « le renoncement est interdit, inenvisageable », « il ne peut donc y avoir de réponse que celle de la démocratie ». Groupe à l’Assemblée Nationale, solidarités entre nos combats au sein de R&PS, action européenne… « il faut avancer, se renforcer, continuer de convaincre, ne rien céder sur l’essentiel, être prêts à la confrontation démocratique ferme et forte, et avoir une vision très claire de où l’on veut aller » concluait le président du Conseil Exécutif.

 

Développant la problématique de la langue, son long cheminement, l’action qui a permis de progresser, Xavier Luciani, appelait à « coofficialiser notre action » à défaut d’obtenir la coofficialité. Certes, le combat est long. «Nous sommes les militants d’une construction patiente », c’est « un processus d’autodétermination ». «On a face à nous un masque démocratique, un monolinguisme d’État qui ne veux pas dire son nom». La réponse c’est l’action. « L’immersion qui rentre dans l’école publique », le Plan média, tout ce qu’il est possible de faire au niveau de la Région. Il insiste sur « l’usage, l’usu, on sait très bien que l’école ne peut pas suppléer à tous les manquements, le maître-mot c’est la transmission ».

Renforcer en moyens, en budget (+34% d’une année sur l’autre 3M€), en actions, «mettre en place un processus immersif », «mettre le corse dans la rue », faire de la langue un outil d’intégration.

« La société doit se prendre en main, le concept de volonté politique et de volonté populaire doivent se conjuguer (…) donner les clés d’un riaquistu, une réaproppriation qui soit massive ». «A lingua face nazione » dit encore Xavier Luciani. «Nous sommes les héritiers de ce combat, nous sommes des passeurs ».

 

Sampieru Sanguinetti, pionnier de la télévision régionale et d’une lutte qui s’est imprégnée du riacquistu, fait un rappel historique du déclin de la Corse, démographique, économique, culturel, du XIXe au XXe siiècle, puis de sa volonté de se réapproprier ses éléments fondamentaux avec l’époque du riacquistu.

La revendication nationaliste et le combat pour la reconnaissance d’un peuple a fait le reste pour peser sur l’évolution de l’opinion. Même si la division a freiné entre le choix ou non de la violence clandestine, « les habitants de la Corse ont petit à petit fait la part des choses (…) ils ont compris à partir des années 2000, que la Corse était la première région de France pour le taux de pauvreté, l’une des premières régions pour le taux des inégalités, que le chômage y était très important de manière récurrente et depuis très longtemps, que les salaires y étaient parmi les plus bas de France quand les prix à la consommation y étaient parmi les plus élevés, que les fruits du tourisme ne profitaient réellement qu’à une frange de la population et qu’il pouvait se révéler parfois porteur d’autant de nuisances que de bienfaits »…

Bref, les idées nationalistes ont progressé.

L’attitude de l’État face à ces évolutions s’est enfermé dans « ses certitudes étroitement jacobines (…), le déni, la répression » jusqu’à la mise en place d’une Justice d’exception et « d’officines barbouzardes ».

En 1981, « un virage était pris » par une forme de décentralisation. Lente, incomplète, contestée par un nationalisme de plus en plus revendicatif et violent, mais qui a perduré jusqu’à il y a peu, en 2018, avec la remise en cause des acquis par Emmanuel Macron, comme s’il exprimait le reproche d’un « non repentir » des Corses par rapport à l’assassinat du préfet Erignac en votant nationaliste.

Cette résurgence du jacobinisme le plus étroit est « extrêmement inquiétante » d’autant qu’elle s’inscrit dans une conjoncture européenne de crispations des nationalismes étatiques qui la portent (Espagne, Grande Bretagne, Italie…).

Il faut donc « se préparer aux différents scenarii » prévient Sampiero Sanguinetti.

 

Tudi Kernalegenn, politologue expert du régionalisme, reprend lui aussi le contexte d’une France qui fonctionne sur une idéologie dominante d’une République Une et indivisible, formant une «Doxa » qui produit et reproduit les concepts qu’elle impose dans toutes les strates de la société, administration, médias… La France a pourtant su aussi se caractériser par sa diversité, la Corse et son statut particulier, l’Alsace et son droit local spécifique, la diversité des statuts des territoires d’Outremer, etc.

Au-delà de son analyse poussée sur le caractère « imparfait » de la France, « l’un des pays les plus centralisé d’Europe », « dominé par le scrutin majoritaire » et des contraintes posées aux régions et minorités niées dans leurs droits, il ouvre des pistes intéressantes sur la possibilité de contourner ce système fermé en développant des « opportunités » : réfléchir à l’échelle de la France (partenariats R&PS, Libertés et Territoires, écologistes) et de l’Europe (ALE), à travailler à l’échelle régionale. « Parmi les suggestions, avoir un centre de réflexion commun, un Think Tank similaire au Centre Mauritz Coppieters pour renforcer la présence intellectuelle de votre famille politique dans l’espace public français ». Avoir aussi «des groupes actifs en dehors de vos territoires, y compris à l’étranger ». «Bref se donner les moyens de peser et ainsi de faire évoluer l’idéologie française », confortés par les sondages qui disent que 79% des Français veulent un renforcement de la décentralisation. Il faut « changer le système institutionnel (…) R&PS a besoin d’une France plus démocratique», ce qui suppose «un système plus parlementaire, avec une assemblée nationale élue à la proportionnelle et un sénat représentant les régions, par exemple sur le modèle allemand », avec aussi des réformes comme « le référendum d’initiative populaire sur le modèle suisse ».

Enfin, Tudi Kernalegenn engage à «mieux investir les opportunités existantes » sur le caractère différencié de la République française, développer les compétences des collectivités territoriales notamment en matière culturelles et linguistiques, « un maire peut faire beaucoup en bien ou en mal », dans le cadre constitutionnel actuel, le politologue engage à l’organisation de « tables rondes sur les municipales » et à élaborer « une boîte à outils programmative sur ce qu’un parti autonomiste peut faire à l’échelle municipale ». Il alerte aussi sur l’élection prochaine des conseils consulaires, instances représentatives pour les Français résidant à l’étranger qui sont aussi les «grands électeurs » de 12 sénateurs, « il est relativement facile de peser à cette échelle ». Pour conclure, Tudi Kernalegenn appelle à la mobilisation « pour changer les règles du jeu », en investissant plus encore l’échelon hexagonal, « la population française est assez sensible à l’idée d’un rapprochement du pouvoir des citoyens (…) pourquoi pas sur le modèle irlandais ou islandais, promouvoir l’idée d’une assemblée citoyenne tirée au sort pour faire des propositions ». « Dans un pays aussi nationalisé, aussi centralisé, et aussi étatisé, on ne peut pas faire l’économie d’une stratégie visible et ambitieuse ».

 

Le débat approfondissait le diagnostic, et les pistes et stratégies à développer.

Des dangers et obstacles de la mondialisation, aux nationalismes d’exclusion à l’échelle des États, « nous devons être très imaginatifs » appelle Jordi Vera de Oui au Pays Catalan. « Le référendum c’est un contournement du mur » mais comment faire face aussi à une « Constitution élastique » qui invente de nouveaux crimes comme « la tentative de rébellion », invoquée par l’Espagne contre la démocratie catalane. Le constat est terrible : « Les États préfèrent discuter avec des mouvements armés ».

Gilles Simeoni salue l’idée d’une « boîte à outils très pragmatique» et réaffirme sa solidarité avec le combat catalan. Paul Molac, député breton, dénonce « l’arlésienne » de la réforme constitutionnelle et « l’enfumage » du Gouvernement avec l’article 72.5. Nous sommes bien dans un combat démocratique où il faut non seulement voir comment progresser, mais aussi « ne pas régresser ». Pour les différents intervenants suivants, « l’alternative est dans les territoires », confronté à une ville bien plus qu’un État. « Le macronisme a fait disparaître les nuances », il faut «utiliser les failles » des textes constitutionnels, et progresser politiquement dans chacun de nos partis. Pour cela s’emparer davantage des questions qui préoccupent nos peuples, parmi lesquelles la question des régressions économiques et sociales. « Nous allons avancer politiquement si concomitamment à l’effort permanent de conceptualisation et de niveau d’exigences par rapport à nos objectifs, nous sommes capables d’apporter aussi aux citoyens de nos territoires des réponses concrètes dans tous les domaines (…) social, de la lutte contre la précarité, de l’emploi, de la formation, de l’écologie, etc. Et si nous démontrons que ces réponses peuvent être apportées de façon très pertinente dans le cadre de celui que nous voulons comme la référence première, nos territoires, nos régions, notre île (…) L’État l’a compris (…) Il ne veut pas que nous réussissions là où les citoyens attendent des réponses » admet Gilles Simeoni. Et c’est le président de R&PS justement, Gustave Alirol, qui concluait ce débat en proposant de « revisiter le concept d’autonomie pour qu’elle puisse s’exercer à l’échelle européenne », « que les territoires aient l’aptitude de se prononcer sur les questions qui les concernent » et « de participer aux décisions européennes ». Sur les grandes questions comme le CETA, on sait que nos territoires « peuvent faire des choses qu’on ne soupçonne pas » et qui ont aussi leurs réponses sur nos territoires.

Même chose à l’échelle des collectivités territoriales, il y a des moyens d’action «que nous n’utilisons pas » et dont R&PS doit s’emparer.

Autant de sujets qui ont abondés les débats du Congrès le lendemain.

 F.G.