Catalogne

Les relents d’un procès stalinien

Le seul verdict qui pourrait rendre sa dignité à la justice espagnole serait l’acquittement ! Sinon elle rejoindra le cortège des Cours de Justice définitivement condamnées par l’Histoire, de Moscou à Prague, de Varsovie à Pékin.

Quand les gens intègres et droits, comme le sont les membres du gouvernement catalan qui passent aujourd’hui en procès à Madrid, sont sur le banc des accusés, c’est que la justice est instrumentalisée au travers d’un procès politique. Un tel procès est une aberration en démocratie.

Le jeu démocratique est simple, et le précédent du referendum écossais de 2014 en éclaire les règles. La décision d’organiser le referendum d’autodétermination y a été le fruit d’une négociation entre Londres et le Scottish National Party qui avait gagné l’élection au Parlement écossais avec une majorité absolue de sièges sur la base de la revendication d’autodétermination. Les deux Exécutifs ont négocié sur la date, le contenu de la question posée, puis ils ont engagé la campagne en s’opposant fermement, mais en acceptant l’essentiel: accepter le résultat sorti des urnes. Ce qui a été fait dans des conditions démocratiques irréprochables quand le «non» l’a emporté, même si les conditions politiques, depuis complètement chamboulées par le Brexit, remettent aujourd’hui en cause la décision du peuple écossais qui s’est prononcé majoritairement contre l’indépendance avec l’argument de rester dans l’Europe. Puisque le Royaume Uni quitte l’Europe, il y a motif sérieux à interroger à nouveau le peuple écossais, ce que demande le SNP.

Car c’est dans les urnes que se décide l’avenir d’un peuple, pas devant les Tribunaux qui deviennent aussitôt des tribunaux d’exception, en charge de trancher par la répression un problème politique qui, selon les valeurs essentielles de la démocratie, doit se régler par les urnes.

Les champions historiques de l’instrumentalisation de la Justice au service de la défense d’un ordre politique contesté ont été les pays de l’ex-Europe de l’Est.

Le procès lui-même n’était alors qu’une mise en scène de jugements prononcés avant même qu’il n’ait commencé.

Manifestement le même malaise est ressenti à Madrid aujourd’hui. Déjà, chacun a bien compris que le verdict sera différent selon le résultat des élections législatives du 28 avril qui éliront un nouveau gouvernement à Madrid. Il sera d’une sévérité extrême si la droite et l’extrême droite l’emportent, plus mesuré si le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez revient au pouvoir, et encore plus mesuré s’il a besoin des voix des députés catalans pour y parvenir.

Les juges, forcément embarrassés de devoir rendre un jugement politique dont le quantum sera extérieur à ce que le procès détermine, s’accrochent alors au moindre détail pour essayer de valider la thèse d’une sédition/rébellion, ce qui suppose d’argumenter sur une violence des accusés que tout dément. Un exemple caricatural parmi d’autres : au moment des événements faisant l’objet du procès, une dignitaire venue de Madrid a été bloquée par une manifestation indépendantiste dans un bâtiment.

Son escorte a alors jugé préférable de l’exfiltrer en passant par les locaux d’un cinéma attenant plutôt que par la porte d’entrée principale devant les manifestants.

Dans ce cinéma passait un film pornographique : le traumatisme de cette dame a été présenté lors des débats comme une violence des manifestants à son égard. Autre argument cocasse qui est donnée par le Tribunal pour argumenter l’accusation de violence : quand la Guardia Civil a chargé contre un bureau de vote, les militants avaient répandu au sol du savon noir, provoquant la chute d’un policier qui s’est blessé durant l’assaut.

Sa blessure est présentée comme une preuve de la « violence » des manifestants.

Et tout à l’avenant…

La mise en scène du tribunal est déjà en elle-même symbolique, où l’on voit les accusés assis dans une sorte de « fosse aux lions », entourés de toute part par les juges et les accusateurs qui les accablent.

Parmi les accusateurs, il y a la représentation officielle de Vox, le parti pro-franquiste qui mène campagne pour l’occupation policière et militaire de la Catalogne. Ses représentants ont le droit de prendre la parole, et de tenir contre les dirigeants catalans emprisonnés les pires accusations surgies des tréfonds franquistes de l’Espagne. Imaginez en Corse les plus enragés de la CFR lancer, du haut des bancs du Tribunal, les pires insultes contre Edmond Simeoni et ses amis lors de leur procès au lendemain des événements d’Aleria. Voilà ce à quoi on assiste aujourd’hui à Madrid, alors que les dossiers sont vides, et que les condamnations seront purement politiques.

En fait, le seul verdict qui pourrait rendre sa dignité à la justice espagnole serait l’acquittement ! Sinon elle rejoindra le cortège des Cours de Justice définitivement condamnées par l’Histoire, de Moscou à Prague, de Varsovie à Pékin.

François Alfonsi.

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