Jean-Félix Acquaviva

« Ne tuez pas la paix » !

Une intervention percutante de nos députés à l’Assemblée nationale. Cette fois Jean-Félix Acquaviva, appuyé par le groupe Territoires et Libertés, interpelle une fois de plus Emmanuel Macron sur sa politique en Corse et le déni de démocratie de son gouvernement

 

« Pour nous, le mouvement des gilets jaunes est une crise sociale, fiscale, mais aussi une crise de verticalité du pouvoir. C’est la résultante d’une vision trop jacobine quasi prophétique. Certains le nient et ne veulent pas encore le voir, mais c’est une crise qui remet en cause la pensée dogmatique des hautes sphères politico- administratives qui nous dirigent.

Ces hautes sphères qui pensent que l’État peut encore apporter seul des solutions au quotidien des populations, des remèdes face à la pauvreté ou au chômage.

Nous le savons tous, cet État ne peut plus répondre d’en haut aux besoins d’innovation, de réactivité, de développement économique et social, d’enracinement et d’émancipation culturelle de nos territoires. Beaucoup d’exemples le montrent aujourd’hui, les systèmes et circuits courts décentralisés entre décideurs, acteurs et populations sont souvent – pour ne pas dire tout le temps – les plus vertueux pour trouver des solutions économiques et sociales adaptées. C’est le cas dans le domaine de la production ou de la distribution des énergies renouvelables, c’est le cas pour l’agriculture bio et l’alimentation saine, c’est le cas par exemple pour les expérimentations Territoire Zéro Chômeur. Aussi les États-Nations classiques doivent se réinventer et se recentrer principalement selon nous sur leurs missions régaliennes et donner une réalité effective, concrète, franche et structurée au principe de subsidiarité. Il est temps que l’on transfère enfin un réel pouvoir règlementaire aux collectivités, comme par exemple, la liberté d’organisation des différents degrés d’enseignement. Pourquoi effectivement la répartition arbitraire école aux communes, collèges aux départements, lycées aux régions ? Laissons les territoires sur ce point s’organiser comme ils le souhaitent.

Et bien sûr, la République doit pouvoir permettre l’autonomie législative et réglementaire pour les territoires, pour ceux qui le souhaitent, pour ceux qui en ont émis le voeu démocratiquement. Je pense à la Corse bien évidemment. Je rappelle que la Polynésie, Saint-Martin et Saint Barthélémy disposent d’un statut d’autonomie au sein de la République française. Je le dis tranquillement, l’autonomie ce n’est pas l’indépendance. J’entendais encore un journaliste français très connu sur Europe 1 hier, qui affirmait qu’il ne savait pas faire la différence. Comment peut-on encore en être là aujourd’hui ? Un lander allemand est autonome, la Sardaigne est autonome, Madère est autonome, en sont-ils pour autant des États indépendants ? Bien sûr que non. Quoi de plus naturel pour une île d’avoir un statut d’autonomie au sein d’un État ? C’est la normalité européenne ! Toutes les îles sont autonomes, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Finlande, elles émettent des règles adaptées pour répondre aux exigences de leurs contraintes et de leurs habitants.

 

À la demande pacifique et démocratique qu’ont émis les Corses, le Président et le gouvernement ont répondu jusqu’à ce jour par une négation et une forme de condescendance.

Négation et condescendance car les propositions portées par la Corse font l’objet d’un refus de principe dogmatique et à ce jour systématique. La Corse est malheureusement l’exemple le plus accompli du fossé politique et culturel existant entre une République centralisée et ses strates de pouvoir, d’une part, et les territoires, les pays, d’autre part. Nous l’avons bien vu de surcroit au travers des débats sur l’Agence de Cohésion Territoriale. Nous avons vu que le choix négatif opéré par l’Exécutif est au contraire le renforcement des prérogatives des préfets dans la mise en oeuvre des politiques publiques de proximité. Ce choix politique se fait en concurrence des régions et des collectivités en général. C’est la marque de fabrique d’une défiance généralisée vis-à- vis des élus et de la démocratie territoriale, c’est malheureusement le combat de la déconcentration contre la décentralisation.

Mes chers collègues, ce choix est celui de la rétractation, de la bunkérisation de la République, et non celui de l’oxygénation et de la libération des énergies territoriales.

Dans ce même droit fil, la différenciation qui est proposée n’est malheureusement à ce jour qu’un leurre et qu’une usine à gaz. Les conditions pour l’obtenir pour une Collectivité de l’avis de nombreux juristes sont si cadenassées qu’elle sera totalement inutilisable, voire inapplicable. Lorsqu’on lit l’article 17 du projet de loi de réforme constitutionnelle, le terme que l’on retient le plus souvent ce n’est autre que le terme « limité ». Avant même la mise en oeuvre de la différenciation, on pense déjà à la limiter, à la contraindre de manière abusive, en évoquant la sacro-sainte « égalité républicaine». Pourtant, l’Italie rompt elle son égalité républicaine lorsque la Sardaigne, jouissant de l’autonomie fiscale, vote des recettes propres, complétées par la rétribution d’une partie du produit des impôts nationaux – 70% de l’impôt sur le revenu. 90% des droits d’enregistrements. 50 % des droits de succession – ? bien sûr que non !

Nous avons cru peut-être trop naïvement avec Michel Rocard que les principes fondamentaux de la République française se voulaient, je cite, « libérateurs et non oppressifs ». Il ajoutait, dans un texte daté d’août 2000, « il serait dommageable et dangereux qu’une frilosité républicaine bornée empêche d’établir entre la France et la Corse de nouvelles relations fondées sur la confiance réciproque. La République en sortirait à coup sûr renforcée, alors que la persistance de la crise l’affaiblit gravement ». Il concluait ce texte en disant : « Jacobins, ne tuez pas la paix ! », car le processus de Matignon d’alors, opéré sous l’aile de Lionel Jospin était fragilisé par les hyper-centralisateurs.

Nous avons bien compris depuis deux ans que n’est pas Michel Rocard qui veut. Pourtant ce gouvernement dans la conduite de ses affaires en Corse ferait mieux de s’en inspirer. Pour toutes ces raisons et mille autres encore qu’il m’est impossible de développer faute de temps imparti, je serais tenté de dire : « Président Macron, ne tuez pas la paix. »

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