Les politiques face à la justice en pleine campagne électorale

Quand Jérôme Cahuzac, alors ministre du Budget, pourfendait la fraude fiscale…

Manifestement on assiste à un durcissement notable des sanctions contre les infractions commises par des élus au détriment des finances publiques. Il est vrai que la France a toujours été moins rigoureuse que d’autres en Europe. On se souvient par exemple qu’un tiers du Parlement britannique avait été rayé de la carte électorale pour avoir utilisé des fonds de Westminster pour de menues dépenses personnelles, de la brosse à dents aux dépenses de coiffeur. C’est d’Europe du Nord que vient ce mouvement de fond. Ce « coup de barre » judiciaire provoque désormais d’importantes retombées politiques, en Corse également.

Fillon, toujours député et favori pour devenir Président de la République doit ainsi répondre d’agissements qui s’apparentent à des « abus de biens sociaux » au détriment des finances de l’État, c’est-à-dire l’accaparement par son épouse, sans la contrepartie du travail demandé, de fonds publics. L’affaire vient d’éclater, et la condamnation définitive n’est pas encore là. Mais les faits sont caractérisés, décrits jour après jour dans la presse avec une précision telle que le doute n’est guère possible.

La nouvelle rigueur de la jurisprudence face à ces centaines de milliers d’euros qui sont venus abonder le patrimoine du couple Fillon de façon injustifiable, fait que la candidature acquise lors de la primaire de la droite et du centre en est gravement fragilisée. C’est un peu comme si en 2012 l’affaire Strauss Kahn avait éclaté après qu’il ait été désigné candidat par la primaire socialiste. Ou bien l’affaire se dégonfle très vite, mais cela n’en prend pas le chemin, ou bien François Fillon sera obligé de renoncer et devra s’attendre à des condamnations ultérieures quand il passera devant les juges.

Ceux-ci ont en effet la main lourde désormais. Après plusieurs années passées en liberté provisoire, Jérôme Cahuzac a été condamné à une lourde peine : trois ans de prison ferme et cinq années de privation de droits civiques. Claude Guéant, ancien ministre plénipotentiaire de Nicolas Sarkozy, a lui écopé de deux ans fermes et cinq années d’inéligibilité pour avoir puisé dans les fonds secrets.

En Corse Paul Giacobbi vient de subir lui aussi les foudres d’une peine maximale dans l’affaire des gîtes ruraux : trois ans fermes, c’est-à-dire un quantum qui ne permet pas de « peine aménagée » comme alternative à l’incarcération effective, une amende très élevée (100.000 euros) et, l’inéligibilité pour cinq années. La condamnation de Paul Giacobbi résonne donc comme une condamnation maximum.

L’appel est suspensif, ce qui lève le temps d’un nouveau procès l’hypothèque de la condamnation. Mais l’hypothèque politique reste totale. Et, dans le feu de la campagne électorale, c’est une vulnérabilité évidente pour ceux qui sont pris au piège des affaires judiciaires.

De ce fait, rarement période électorale n’aura été aussi incertaine. Marine Le Pen, elle aussi poursuivie par le Parlement Européen, mais profitant du « dépôt de bilan » de la gauche et des accidents de parcours judiciaire de la droite, finira-t-elle par briser le «plafond verre » qui a jusqu’ici laissé le Front National aux portes de la victoire finale? Emmanuel Macron, dont on ne sait rien de ses projets politiques pour la Corse, sera-t-il le « troisième homme » qui sortira de l’embrouillamini politicien qui domine la campagne présidentielle? Ou bien les candidats officiels du PS et de la droite finiront-ils par redresser la barre ?

Et, en Corse, qui sortira renforcé après les législatives ?

L’avenir de la gauche insulaire, dont Paul Giacobbi est le seul député sortant et qui était jusqu’à présent son leader incontesté, apparaît bien compromis. La droite insulaire, plus légitimiste que jamais, on l’a vu dans l’affaire du vote sur les ordonnances, ne peut sortir indemne des mésaventures de François Fillon. Son influence sur l’île est en effet étroitement liée à sa capacité d’établir le lien direct avec l’homme fort qui est au pouvoir à Paris.

Les nationalistes doivent jouer leurs meilleures cartes. Car face à la nouvelle donne française, quelle qu’elle soit, le mouvement nationaliste devra avoir fait la preuve de sa force dans ce scrutin.

A. Franceschi