p

« Replacer les valeurs citoyennes et humaines au centre du débat »

 

« Le supportérisme en question », c’était le thème de la journée d’etudes organisee par le Collectif des victimes de la catastrophe du 5 mai 1992. Pour en debattre, des supporters bien sur, des experts de la question, des institutions. Nouvelle demonstration apportee par le Collectif, presidee par Josepha Guidicelli, que la charge emotionnelle autour de la date du 5 mai peut etre utilisee a bon escient pour debattre sur des problematiques qui pesent dans tous les stades du monde. Et pas seulement en football d’ailleurs. • Entretien avec Lauda Guidicelli, psychologue, l’une des animatrices du Collectif, en charge des questions sportives et de jeunesse au sein du Conseil Executif de Corse.

 

 

Le supporter est souvent décrié, stigmatisé… pourquoi avoir voulu mettre l’accent sur cette problématique ?

À la fois pour la cerner sous ses différents aspects, et sortir un peu des préjugés. Une façon aussi de remercier les supporters pour leur soutien et leur investissement à nos côtés depuis de nombreuses années. J’en veux pour preuve les innombrables banderoles sur tous les stades de France et messages de soutiens reçus même au-delà des frontières de la France.

 

Vous avez développé des aspects plutôt positifs que l’on montre rarement…

Il y a un décalage entre la perception négative que peut avoir la société de ces supporters et la réalité de la vie de ces groupes.

L’une de leurs facettes grandement véhiculées est la violence. L’importance des groupes de supporters et du microcosme du stade comme vecteur d’interactions sociales pour des individus, marginalisés ou non, est très souvent ignorée par le champ médiatique et par conséquent, rarement portée à la connaissance du grand public.

 

Qu’est-ce qu’être supporter ?

Le football forge des identités communautaires en dépassant les clivages sociaux.

Supporter mêle à la fois le soutien partisan à une équipe et l’intérêt pour le jeu et pour l’ambiance des tribunes. Il y a donc plusieurs définitions. Le spectateur se rend au stade pour goûter au spectacle offert par les joueurs. Il participe peu, se contente de commenter le match et d’applaudir les belles actions. Le supporter « classique» s’intéresse à la prestation de son équipe qu’il espère voir gagner. Il l’encourage mais ne participe pas à outrance. Il est fidèle au club, ce qui se caractérise par une passion exclusive, une présence régulière au stade ou encore le refus de siffler les joueurs.

L’Ultra, lui, est un supporter fervent oeuvrant dans un groupe structuré qui planifie le soutien à l’équipe. Le groupe affiche ses banderoles, les meneurs, postés au bas de la tribune, lancent les chants avec un mégaphone, les tambours soigneusement alignés rythment les slogans, des animations (tifos) colorent la tribune à l’entrée des joueurs. Les ultras se mettent en scène et créent un spectacle. Enfin, les hooligans se valorisent moins par le soutien apporté à l’équipe que par la confrontation physique avec leurs homologues des bandes adverses. Ils ne sont donc pas une modalité du supporterisme ultra.

 

Vous dîtes que « le sport permet la construction et l’expression des identités ». Précisez…

Les pratiques sportives sont des vecteurs d’unité où s’exaltent les affirmations identitaires.

Le sport a un pouvoir unificateur.

L’histoire des JO recèle d’exemples sur cette thématique.

C’est le cas du football qui a permis à la Corse d’être mieux connue et reconnue grâce notamment au Sporting Club de Bastia et à son épopée européenne.

Le repli identitaire, qui peut être perçu comme négatif, est alors un vecteur de fierté car il vient marquer la naissance d’un sentiment de différence et de développement de la pratique. Les moments d’histoire renforcent ce sentiment d’identité. L’aventure d’un club peut par ses marqueurs symboliques écrire une histoire collective et donc permettre la construction identitaire.

 

Cette « identification » est négative quand elle mène à la violence, qui n’est d’ailleurs pas que le seul fait de hooligans…

Dans les années 60 en Italie naît le supporterisme dit Ultra où des groupes de jeunes s’investissent dans le soutien à l’équipe et la vie de leur club. Ils s’opposent, de par leur radicalité et leur distance prise par rapports aux acteurs dominants du football (joueurs, dirigeants) et aux formes traditionnelles plus consensuelles de supportérisme.

Mais contrairement aux Hooligans anglais, la recherche de la violence n’est pas leur but, même s’il arrive qu’ils en fassent preuve à l’égard de leurs rivaux ou de la police. Le mouvement gagne en Espagne, au Portugal, en France. Avec aussi des drames, comme celui du Heysel le 29 mai 1985 où 39 supporters de la Juventus perdent la vie dans un mouvement de foule avant un match contre Liverpool.

 

En quoi donc, ce sentiment d’appartenance peut-il être positif ?

Les Ultras s’érigent en défenseurs du football populaire face à l’évolution du sport vers un produit de consommation (marchandisation importante et modification des publics). Et si les mesures sécuritaires remettent en cause leur survie avec la volonté d’aller vers des stades aseptisés, le mouvement supporter dans son ensemble démontre que les matchs de football se vivent en organisation communautaire, où les membres protègent une identité sociale.

À travers cette notion d’identité, le groupe de supporters peut être porteur d’enjeux : sentiment d’appartenance, attachement à la terre, utilisation de la langue comme affirmateur identitaire, défenseur de leur territoire, comme c’est le cas par exemple des Corses ou des Bretons.

 

Il y a donc un rôle social sur le territoire ?

Tout à fait, ces groupes contribuent à la construction identitaire de leurs membres.

Ils ont une fonction d’intégration sociale, en développant notamment de nouvelles formes de participation à la vie publique.

Devenir supporter c’est entrer dans un groupe où solidarité et union sont les maîtres mots. C’est adopter un cadre de vie avec des règles, des valeurs et des modèles de conduite où le membre va apprendre à collaborer avec autrui tout en y trouvant une valorisation. Cet investissement amène aussi le jeune à militer et donc à acquérir des compétences en matière d’actions collectives.

Par la passion qui l’anime, le groupe devient le gardien d’une certaine image du club et donc un bon contre-pouvoir. C’est l’exemple des Socios à Bastia.

 

Justement, que pensez-vous de cette initiative ?

Elle marque une volonté affichée, affirmée, de participer à la vie du club. Les Socios mettent l’identité corse au coeur de leur projet faisant de l’ancrage territorial une condition sine qua non de la réussite de ce dernier. Peut-être est-ce une nouvelle catégorie de supporters plus impliquée dans la vie du club au niveau de sa gouvernance et aussi une façon de réguler leur implication, sans nuire au club, et sans perdre cette passion du maillot qui est leur ADN.

L’entrée au capital de la SCIC* pour 200 000 euros récoltés par du crowfunding lors de la descente en National 3 a été approuvée à 98,7% lors d’un vote en ligne de 1500 personnes. C’est remarquable !

 

Votre bilan de cette journée d’étude du 4 mai ?

Positif ! Il y avait plus d’une soixantaine de présents. Nous espérons toucher de plus en plus de personnes et notamment les plus jeunes. Le but est de pérenniser ce genre de rencontre et de travailler sur toute thématique touchant au sport. Et bien sûr faire passer notre message : « Pas de Match le 5 Mai ». Ce qui est également important c’est l’aspect humain qui ressort de ces journées, par la rencontre de nouveaux intervenants et d’experts comme Didier Rey ou Ludovic Martel qui nous accompagnent chaque année dans ce challenge.

Le Collectif doit jouer un rôle de transmission de la mémoire, certes, mais ces journées d’étude sont également une façon de s’interroger sur les valeurs du sport et surtout de replacer les valeurs citoyennes et humaines au centre du débat.

* Société Coopérative d’Intérêt Collectif, créé pour porter le projet de renaissance du Sporting. Tout un chacun peut y investir. Les Socios ont d’ailleurs intégré la SCIC, une première en France. Arritti y reviendra.

1 Trackback / Pingback

  1. Stampa Corsa, informations corses – « Replacer les valeurs citoyennes et humaines au centre du débat »

Les commentaires sont fermés.