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Femu Quì, 25 ans après

Quand, avec le support du journal Arritti, nous avons été quelques-uns à lancer le projet de Femu Quì en 1990, en réussissant à mobiliser plus de mille souscripteurs d’actions et à rassembler 3 millions de francs pour créer, en 1992, la première société de capital risque en Corse, nous avons réussi une démarche exemplaire. Femu Quì a tenu sa vingt-cinquième Assemblée Générale ce week-end au Parc Galea à Folelli.

Nous étions au départ inspirés par le modèle élaboré par nos amis basques d’Hemen/Herrikoa, invités à la Ghjurnata d’Arritti d’août 1990 dans le Fium’Orbu, et motivés par la volonté de structuration d’une démarche collective de la société civile corse sur le terrain économique.

25 ans après, Femu Quì est toujours là, bien présent dans le paysage économique de la Corse. Elle a accompagné de nombreuses entreprises, souvent innovantes, dont certaines particulièrement emblématiques : le lancement de la bière Pietra, le sauvetage de l’entreprise Gloria Maris menacée par une attaque mafieuse, la réouverture du Village des Isles à Tagliu Isulacciu.

Pietra, largement aidée par Femu Quì à sa création en 1994, compte aujourd’hui cinquante employés, et elle exporte un quart de sa production. Femu Quì a retiré de confortables plus values de cet investissement audacieux, car Dominique et Armelle Sialelli avaient à l’époque toutes les peines du monde pour crédibiliser leur projet de faire en Corse une bière à base de farine de châtaigne.

Gloria Maris, société d’aquaculture établie à Aiacciu et Campomoru avait eu sa production ruinée en janvier 2007 par un attentat sur son stock de poissons prêts à être commercialisés à Aiacciu.

Un collectif solidaire d’entrepreneurs corses regroupés par Femu Quì a alors trouvé les fonds nécessaires, plusieurs centaines de milliers d’euros, pour renflouer sa trésorerie et relancer son cycle de production. Gloria Maris s’est redressée, a remboursé les prêts qui lui avaient été consentis, et est devenue ensuite le premier groupe aquacole de France en reprenant des sites de production à Gravelines, à Noirmoutier et même à Stentino en Sardaigne. 200 emplois en tout, dont un tiers et le siège basés en Corse : l’implication de Femu Quì a joué un rôle clef dans cette réussite.

Le village des Isles à i Fulelli a gardé dans la mémoire locale son ancien nom, le CNRO, du nom du Comité d’entreprise des ouvriers du bâtiment qui l’avait construit dans les années 60, et qui a fermé le centre au début des années 2000 : une centaine d’emplois supprimés, et un patrimoine touristique à l’abandon. Femu Quì a largement participé à sa réouverture après des travaux de mise aux normes réalisés avec l’aide de fonds publics. Après quinze ans, l’opérateur Touristra, un des leaders du tourisme social, a trouvé une rentabilité suffisante pour proposer à Femu Quì le remboursement de ses avances avec une plus value : le pari économique est donc réussi malgré la crise qui frappe l’ensemble du secteur du tourisme social en France et en Europe, rétablissant cent emplois dans la microrégion, sur une saison de six mois, et 15 à l’année. Les retombées économiques locales sont considérables.

Ces trois exemples montrent l’importance de l’outil Femu Quì. Ils côtoient d’autres plus modestes, et même des échecs qui ont généré des pertes. Mais, 25 ans après, Femu Quì est toujours là, bien présent sur le marché corse du financement de l’économie locale.

Pour cela, il a dû s’adapter aux mutations des métiers de la finance, évoluant vers un rôle d’opérateur pour des fonds d’investissement. Le modèle de départ a dû être totalement repensé, en scindant la structure économique en deux :

Femu Quì SA qui gère les fonds recueillis auprès des actionnaires de Femu Quì, et sa filiale Femu Quì Ventures, structure de gestion agréée par l’AMF (autorité de régulation des marchés financiers).

En se scindant ainsi, Femu Quì peut accueillir la gestion de fonds issus des FIP (Fonds d’Investissement de Proximité) souscrits par des particuliers qui bénéficient alors d’importants avantages fiscaux, notamment si ces investissements sont effectués en Corse (crédit d’impôt de 38% au lieu de 25% dans le reste de la France).

En élargissant les sommes gérées à 20M€, dont 5M€ sont ceux de Femu Quì SA, et 15M€ souscrits grâce aux FIP, la société arrive à générer suffisamment de plus-value entre ses prises de participation et leur revente avec plus-value, pour faire vivre sa structure de quatre salariés.

Cette adaptation aux nouvelles conditions du marché financier, conforme aux directives européennes, s’est faite en privilégiant le créneau de l’économie productive, plus difficile bien sûr que celui du simple accompagnement d’investissements immobiliers, commerciaux, touristiques ou résidentiels, auxquels ses principaux concurrents continentaux, qui eux aussi mobilisent des « FIP Corse », ont donné la priorité, faisant notamment « fleurir » le parc des grandes surfaces en Corse. Désormais ces investissements immobiliers ne seront plus éligibles, et Femu Quì Ventures sera donc mieux placé pour la suite des FIP qui seront collectés à partir de 2018.

 

Femu Quì, grâce aux équipes dirigeantes qui en ont assuré la gestion, est resté en ligne avec les objectifs que nous avions formalisé dans notre charte éthique d’origine. Sa structure s’est adaptée aux évolutions des métiers de la finance, vers un rôle d’opérateur pour des fonds d’investissement, en privilégiant le créneau de l’économie productive.

Elle dispose du label ESUS (Economie Solidaire d’Utilité Sociale) et l’AG de Folelli a procédé aux adaptations statutaires nécessaires pour cela. Car le développement de son « projet sociétal », celui qui a inspiré Femu Quì à l’origine, conçu pour créer du partage et de la solidarité au sein du monde économique corse, est primordial. C’est à cette ambition qu’il faut s’atteler à nouveau, car son besoin est toujours aussi prégnant.

Autour de l’association Femu Quì Inseme, et de « l’esprit Femu Quì », dont la société corse a tellement besoin, et qu’il est si important de maintenir et de transmettre, il est possible d’engager une nouvelle étape pour le développement d’une économie corse honnête, productive, solidaire et partageant une même vision d’avenir. Un paese da fà.

 

François Alfonsi.

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