Zones commerciales et petits commerces

Le rééquilibrage n’est pas pour aujourd’hui !

Ces deux photos mises en parallèles ont vite fait le tour des réseaux sociaux. Postées avec un commentaire par Pierrot Poggioli sur Facebook et Twitter (lire ci-contre), elles illustrent une réalité qui nous revient en pleine figure. Le soi-disant «monde d’après» que tout le monde appelait de ses vœux à grands renforts d’applaudissements chaleureux pour nos soignants en mars dernier, n’est pas pour aujourd’hui, hélas! Comment en sortir?

 

ARRITTI s’en est souvent fait l’écho. Comment une île, qui est instruite par ses expériences, qui souffre tant des effets de la mondialisation, du poids des lobbies, de la mainmise des grands groupes, et qui bénéficie, tout de même – son histoire le prouve –, d’une capacité de réaction militante, avec notamment la volonté d’être du mouvement national, mais aussi des grandes luttes sociales des mouvements de gauche, ou encore d’un potentiel économique certain à partir de ses territoires et de ses savoir-faire, comment ne parvient-elle pas à imposer ses choix? C’est un échec collectif qui doit nous interpeller et pour lequel il nous faut travailler tout aussi collectivement pour contrer ces évolutions négatives.

De plus en plus oppressé par une concurrence effrénée des grandes enseignes, le petit commerce périclite. C’est une réalité qui dépasse la Corse, mais qui dans l’île annonce encore plus rapidement un désastre économique et social. Cela impacte les centres villes au détriment de leur périphérie, mais aussi le rural au détriment de l’urbain et notamment des deux grands pôles bastiais et ajaccien. L’extension toujours plus impressionnante des zones commerciales déstructure les cœurs de ville et entraîne un aménagement du territoire anarchique qui répond aux besoins de groupes privés au détriment des besoins réels de la population. Et ce en contradiction avec les choix politiques d’aménagement pourtant opérés par la Corse, à une très large majorité, notamment à travers son Plan d’aménagement et de développement durable (Padduc), ou d’autres politiques importantes comme les actions Cœur de Ville et autres démarches de revitalisation. S’y ajoutent d’autres conséquences désastreuses puisque cela entraîne une artificialisation des terres, et notamment des terres agricoles, comme sur les secteurs de Baleone, une sur-utilisation des véhicules du fait de l’étalement urbain, des zones d’habitation sans âme, avec pour seul véritable «lieu de vie» les grandes surfaces à partir desquelles se construisent les logements, et, comble, se décident les voiries et autres équipements publics. Cet étalement urbain, cette augmentation des flux de circulation sont sources d’émission de gaz à effet de serre qui ont un impact indéniable sur les problématiques de réchauffement climatique et de fragilisation de l’environnement.

 

L’exemple de l’Atrium est caricatural. Cet hyper-centre ajaccien est devenu le symbole de ce qu’il ne faut pas faire. Et pourtant, on l’a fait, on l’assume, et on s’y rue pour aller faire ses courses de Noël en plein confinement! Alors que par ailleurs les mêmes se désolent pour le commerce de proximité, crient au scandale par rapport aux mesures de restriction qui lui sont imposées, ou descendent dans la rue pour soutenir nos commerçants! Comble, ceux-ci n’hésitent pas eux-mêmes à quitter les centre-ville et réserver une place dans ces galeries commerciales attractives! La croissance est boulimique. En France, la superficie des zones commerciales augmente de 3 à 4% chaque année, soit quatre fois plus que l’augmentation de la consommation qui (avant la crise sanitaire) plafonnait à 1% dans un contexte économique déjà fragilisé, notamment par la concurrence d’internet. Ce qui traduit bien le constat que cette croissance se fait au détriment du petit commerce.

Arritti le disait dans un précédent article, 85% des extensions ou créations commerciales se font en périphérie, parfois sur des milliers d’hectares, avec un environnement attractif, des services publics, des espaces verts, des loisirs, et tout une communication contre laquelle le commerce de proximité ne peut absolument pas lutter.

Pourquoi le Padduc n’est-il pas mis en œuvre? C’est là la vraie question. La Corse a fait une part du chemin pour se protéger de ce développement anarchique avec l’élaboration de ce document cadre. La loi, la logique administrative et le simple bon sens politique désormais c’est l’élaboration de documents locaux d’urbanisme compatibles avec ses grandes orientations. Ce sont des choix politiques conformes à cette directive territoriale d’aménagement qu’est le Padduc, au sein par exemple des Commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) qui décident de la création ou non de ces zones commerciales, de leur dimension, de leur implantation. Si tous les acteurs, collectivités locales et territoriales, État ou grands groupes privés respectaient ces directives, notre île pourrait orchestrer le rééquilibrage progressif dont elle a besoin. La solution, c’est une remise en cause radicale, pas seulement un moratoire. C’est la mise en œuvre des grandes orientations du Padduc et sa territorialisation, c’est-à-dire l’application de ses grands principes sur chaque territoire.

Mais ce n’est pas le cas. La tendance est à la folle concurrence des grandes enseignes, donc au suréquipement et au déséquilibre d’aménagement qui dévore peu à peu la ville telle que nous la connaissons. Reste le peuple corse. Aura-t-il en son sein suffisamment de force pour dire fermement non? •

Fabiana Giovannini.

 

«La première image a fait le tour des réseaux sociaux… l’affluence hier à Auchan et le vide en centre-ville à Aiacciu… C’est hélas la triste réalité, mais au-delà des modes Black friday et autres, des commandes internet, les nouvelles habitudes d’achats liés au consumérisme (compulsifs parfois) des gens… c’est aussi le résultat d’une politique de décentrage (déséquilibre/désarticulation/ déstructuration des habitats et des modes de vie) de la ville d’Aiacciu, au détriment de son centre historique, grâce aussi aux autorités qui ont laissé faire (même au mépris de leurs propres lois et règlements sur ce type d’aménagements et d’installations gigantesques) et, ne l’oublions pas, aux votes d’élus de différents bords dans les diverses commissions ayant leur avis à donner aux autorités pour ce type d’ouvertures commerciales, qui ont entériné ces orientations/localisations, au mépris de toutes les règles architecturales, d’aménagement, d’urbanisation et de communications, permettant l’installation des grands centres commerciaux de distribution vers Baleone qui l’ont accepté…, mais aussi de certains commerçants, des commerces étaient fermés même le dimanche en centre-ville (voir Rue Fesch), et surtout de ceux de ces commerçants qui parfois se plaignent, protestent, manifestent et dans le même temps se sont empressés d’ouvrir des boutiques dans ces grands centres commerciaux dont les propriétaires ou relais de grands groupes financiers (monopoles/ententes/trusts) sont au nombre d’une poignée et se partagent tout le circuit, – et ses retombées économiques et financières –, de la grande distribution (importations, fret, transports, aides publiques, subventions et ventes dans leur propres structures)…» • Pierrot Poggioli.