Emmanuel Macron

Le bras de fer

Les deux journées du voyage présidentiel en Corse ont tourné au bras de fer entre la représentation élue de la Corse et la Présidence de la République. Ce bras de fer se joue sur trois terrains : l’opinion corse, l’opinion française et l’opinion européenne et internationale.

 

Dans ce bras de fer avec l’État, gardons à l’esprit qu’un nouveau point a été marqué autour de la « feuille de route » adoptée par l’Assemblée de Corse en 2013. Collectivité unique : cela a été fait sous François Hollande ; reconnaissance par la Constitution de la Corse comme un « territoire à part » : cela a été acté durant ce voyage officiel d’Emmanuel Macron.

On avance, difficilement certes, mais on avance !

Le durcissement médiatique opéré par le chef de l’État a en fait pour premier objectif de faire passer au second plan cette nouvelle reculade des principes jacobins de l’État dans le dossier corse, ce énième « petit pas » depuis le statut particulier de 1982. En affichant un profil autoritaire en Corse, autour de la figure emblématique de Claude Erignac, le chef de l’État a tout d’abord voulu donner le change face aux franges les plus jacobines de la société française dont il est manifestement très proche, et, surtout, il a voulu dresser un mur pour en limiter l’impact à une modification de l’article 72, et pour écarter catégoriquement les autres avancées demandées sur la coofficialité, le statut de résident et l’amnistie pour les prisonniers politiques.

Pour Emmanuel Macron, fini le bla-bla sur un prétendu « pacte girondin », place à une «mission sacrée» au service de la République jacobine, avec la bénédiction de son pape Chevènement, et une complicité affichée avec les revenants corses Aline Castellani, Emile Zuccarelli et autres François Tatti, balayés par le suffrage universel.

Mais ce positionnement suffira-t-il pour conjurer la fulgurante ascension du mouvement nationaliste sur l’île ? Rien n’est moins sûr ! L’opinion corse, aux élections de décembre dernier, a basculé. Face à ce basculement démocratique massif, l’État n’a pu faire autrement qu’avancer une proposition de modification de la Constitution. Encore faut-il savoir comment elle sera formulée, et ce qu’elle permettra vraiment.

C’est le premier objectif d’Emmanuel Macron : en limiter la portée, si possible l’annihiler, et éviter qu’elle n’ouvre la porte à de nouvelles avancées. Pour cela il doit affaiblir la majorité nationaliste face à son opposition, engranger le soutien de l’opinion hexagonale, et convaincre au plan européen et international qu’il est le maître du jeu corse.

Côté corse, son ton provocateur, à la limite du supportable pour les interlocuteurs présents, a soulevé un grand malaise. Il a d’abord causé la rupture avec nombre de ceux qui avaient cru à son discours sur le « pacte girondin », à commencer par celui qui a conduit la liste Andà per dumane en décembre dernier, Jean Charles Orsucci. Les caciques de la politique corse ont applaudi, mais cela masque difficilement la réprobation générale que le discours présidentiel a soulevée. Pour autant la majorité territoriale doit faire face à ce raidissement de l’État qui, nécessairement, inquiète l’opinion insulaire. Il lui faut maintenir un lien de confiance que seuls des résultats concrets dans la gestion du pays pourra conforter. L’opposition s’est mise dans le sillage d’Emmanuel Macron sans sourciller, pensant trouver là une planche de salut. Le bras de fer engagé devant l’opinion corse et bien sûr vital pour la majorité nationaliste. Il faudra le gagner.

Sur le plan hexagonal, les réactions ont été finalement moins monocordes que prévu. Certes le fonds de commerce jacobin continue de prospérer dans les forces politiques ou médiatiques de droite et de gauche, des Républicains au Parti socialiste. Mais des voix discordantes se sont malgré tout exprimées. On citera pêle-mêle le Président de l’Association des Régions de France, Hervé Morin, certains éditorialistes comme Laurent Joffrin de Libération, ou même l’inattendu Jean Luc Mélenchon. Impossible de les citer tous car ils sont finalement nombreux, beaucoup plus que prévu, à porter le message résumé par Hervé Morin : la victoire démocratique du mouvement nationaliste en Corse est un fait politique qu’il faut prendre en compte à sa juste mesure. Il ne faut surtout pas sous-estimer l’intérêt de ces prises de position qui soulagent la chape de plomb qui a pesé toutes ces dernières années sur la question corse.

Côté international et européen, Emmanuel Macron, qui manifestement veut jouer un rôle en Europe, sait qu’il est observé sur le dossier corse.

La crise que traverse la Catalogne, exacerbée par la gestion post-franquiste de Mariano Rajoy, fait écho aux revendications corses d’autonomie dont toute l’Europe sait qu’elles n’ont rien de déstabilisant car elles sont la règle pour les îles européennes, comme l’a montré une étude récente réalisée par les services du Sénat. Le jacobinisme n’est pas populaire en Europe, et en s’affirmant comme le Président des Jacobins, Emmanuel Macron ne peut qu’hypothéquer ses ambitions de leadership.

C’est un bras de fer politique qui est engagé désormais. Il nous faudra être performants sur tous les terrains pour l’emporter.

François Alfonsi.

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