Continuité Territoriale

Les ratés de la DSP maritime

La ligne de crête est difficile à tenir entre une procédure d’appel d’offres scrutée à chaque instant par les autorités judiciaires, avant, pendant et après, et les réalités sociales et économiques, directes et indirectes, générées par les sommes en jeu. Le mouvement de grève, dure et soudaine, sur les ports principaux de l’île en a apporté la preuve.

 

L’éviction pure et simple de la compagnie La Méridionale, pour une durée de 15 mois, des lignes de service public qu’elle partageait jusqu’à présent avec Corsica Linea, est le motif qui a fait exploser la colère des salariés. En effet, le rapport d’analyse des offres qui est soumis à l’Assemblée de Corse au moment de l’attribution des lignes fait état, pour les trois principales, Aiacciu, Bastia et Ile Rousse, de la supériorité de l’offre de Corsica Linea, laissant présager que la Méridionale n’aurait plus aucune activité commerciale sur la Corse à compter d’octobre prochain, pour les quinze mois du marché de cette DSP.
Cette DSP particulièrement courte, car quinze mois pour une ligne maritime qui nécessite de lourds moyens navals c’est bien sûr difficilement concevable économiquement, est la résultante d’une application stricte des textes à compter de la décision de justice qui en 2016, suite à une plainte de Corsica Ferries, a rendu caduque la concession accordée l’ex-SNCM et à la Méridionale pour dix années, de 2011 à 2021.
Corsica Linea, qui a pris la suite de la SNCM, et la Méridionale ont d’abord été « co-délégataires provisoires » pour un an, jusqu’à septembre 2017. Puis une « DSP de raccordement » allant de juin 2017 à juin 2019 a été décidée pour permettre la mise en place du dispositif adopté par les nouveaux élus de l’Assemblée de Corse, à savoir une « compagnie régionale maritime » bâtie à base de sociétés d’économie mixte, une SEM propriétaire de flotte, et deux SEM opérationnelles (SEMop) constituées par la Collectivité de Corse avec le ou les armateurs privés retenus, après un appel d’offres, pour entrer au capital, et devenir gestionnaires, des deux SEMop, l’une pour les deux ports principaux, l’autre pour les trois ports secondaires.

Mais cette mise en place ne pouvait se faire sans un long travail de préfiguration et de sécurisation au regard des règles européennes de la concurrence qui, par le passé, ont valu de substantiels déboires judiciaires à la Collectivité de Corse qui doit encore faire face à des condamnations s’élevant à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Une prolongation de gré à gré avec l’ex-attributaire toujours là, la Méridionale, et son nouveau partenaire Corsica Linea, ex-SNCM reprise par des actionnaires corses, a donc été mise en place en 2016 d’abord pour une année, puis deux années pour aller jusqu’en juin 2019, date-couperet repoussée in extrémis à octobre pour laisser s’écouler la saison touristique. Mais il a semblé impossible d’aller plus loin par le gré à gré dans le respect des textes en vigueur, et donc une DSP-croupion était devenue obligatoire.

La reprise de l’ex-SNCM par des actionnaires corses a consisté en un chassé-croisé entre le groupe Rocca, premier attributaire désigné par le tribunal de commerce de Marseille, connu pour son rôle dans la grande distribution (enseigne Auchan), rapidement évincé par le consortium d’entreprises qui a fondé Corsica Linea, dont certains acteurs là encore de la grande distribution (enseigne Leclerc).

Ce jeu de « monopoly » affecte la perception d’un dossier dont les tribunaux ont jusqu’à présent, et à plusieurs reprises, confirmé la conduite rigoureuse par les services de la CdC. Tout interrompre parce qu’un acteur apparaitrait seul vainqueur de la procédure transitoire avant la mise en place de la compagnie régionale maritime serait sujet à un inévitable recours de Corsica Linea, que la collectivité ne pourrait que perdre au vu des jugements intervenus jusque là, tant face aux recours de Corsica Ferries que face à ceux de la Méridionale.
Pour Corsica Ferries, l’échec de sa candidature ne porte pas à conséquence grave puisqu’elle ne remet pas en cause le périmètre de son activité historique. Pour la Méridionale, il en va tout autrement, puisque les lignes de Corse dont elle serait écartée pour au moins 15 mois, forment la quasi-totalité de l’activité économique de cette filiale de la STEF, leader européen du transport frigorifique, et géant du secteur des transports en Europe.
Comment réagira cet actionnaire puissant ? C’est toute l’inquiétude des salariés de la Méridionale qui exigent de garder leurs emplois malgré les vicissitudes de dossiers que leur direction a manifestement négligés.

 

François Alfonsi.

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