Cap'artìculu

L’État refusant le dialogue, quels choix nous restera-t-il ?

par François Alfonsi
L’Assemblée de Corse a retenti lors de sa dernière session d’une protestation indignée, tous bancs confondus, contre l’attitude de l’État vis-à-vis de la Corse, dans le contexte d’une crise économique dont il refuse d’admettre la dureté particulière dans une économie insulaire. Mais derrière la bataille des crédits qu’il faut dégager pour sauver le tissu économique, et celle qu’il faudra encore mener pour financer un plan de relance économique à la hauteur des enjeux, se cachent aussi des intentions politiques avec deux objectifs: réaffirmer la primauté de l’État en Corse face à la légitimité de l’Exécutif nationaliste, pour l’affaiblir en vue des prochaines territoriales.

 

De mémoire de statut particulier, on ne se souvient pas d’un gouvernement qui refuse de débattre avec un Exécutif en place, alors même que la crise bat son plein, et que la population est de plus en plus inquiète face à une épidémie qui ne faiblit pas, et qui menace même de repartir pour une «troisième vague». Or la délibération unanime de l’Assemblée de Corse proposant un plan de sauvegarde détaillé et chiffré, élaboré en concertation avec les acteurs du monde économique, est restée sans réponse ni considération de la part d’un gouvernement désormais incarné dans l’île par un Préfet tout droit sorti des caricatures de Daumier.

Les renseignements venus de Bretagne où il était en poste précédemment n’étaient pas à l’avantage du Préfet Lelarge. En six mois passés au Palais Lantivy à Aiacciu, il a largement confirmé les pronostics. Entre la Préfecture et la Collectivité de Corse, rien ne va plus, et il incarne un État rigide et sourd, selon les consignes qu’il a probablement reçues au moment de prendre son poste. Car l’enchaînement rapide de plusieurs événements montre que tout ne tient pas à la personnalité du nouveau Préfet.

Le plus cocasse est certainement le retour du «green-pass» tel que l’Exécutif l’avait proposé au sortir du premier confinement, refusé avec véhémence au printemps, mais que l’État vient de valider au moment des fêtes de Noël pour endiguer la seconde vague de l’épidémie. Le principe en est simple et ainsi formulé par la CdC dès l’origine: toute personne voulant arriver sur l’île, par air ou par mer, doit justifier d’un test négatif effectué récemment. Ce que bien sûr les agents des compagnies aériennes et maritimes peuvent contrôler par eux-mêmes au moment de l’embarquement des passagers, tout comme ils contrôlent les identités.

Mais, pour l’État profond, cette spécificité corse liée à l’insularité est une entorse insupportable au principe jacobin de l’uniformité. En effet, appliquer la même mesure aux Alpes Maritimes ou à la Normandie est impossible car on ne peut faire le même contrôle dans les trains, ni sur les autoroutes, et encore moins sur les départementales.

Aussi, l’administration a jugé bon, tout en mettant en place le «green pass» insulaire, d’imposer une procédure surréaliste pour manifester la prééminence de l’État. Le voyageur doit ainsi se munir de deux documents: son test négatif, et une attestation sur l’honneur qu’il a réalisé un test négatif. L’attestation c’est pour les agents des compagnies, le test c’est pour les CRS ostensiblement positionnés, Préfets en tête, sur les ports et aéroports. Histoire de montrer au bon peuple que, sans l’État, la mesure n’aurait pas été applicable. Un summum du ridicule kafkaien: une personne habilitée à vérifier les identités à l’embarquement ne serait donc pas habilitée à vérifier un test Covid!

Plus scabreux encore est le scandale public fait par le Préfet Lelarge reprochant à l’Assemblée de Corse d’avoir proclamé son soutien et demandé la reconnaissance de la République arménienne de l’Artzakh. Une première en bientôt quarante années d’existence de l’Assemblée de Corse durant lesquelles jamais l’État n’avait prétendu à une telle ingérence!

À ces péripéties locales s’ajoute l’éviction brutale du nouveau Garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti d’une de ses compétences les plus basiques, puisqu’il s’agit de la politique pénitentiaire. L’administration de la Justice, «gardienne des sceaux» comme son nom l’indique, doit statuer sur le statut des prisonniers et les mesures d’aménagement des peines, libérations conditionnelles, rapprochement du domicile familial, ou statut de prisonnier particulièrement surveillé. Ce n’est pas la première fois qu’un avocat est Ministre de la Justice, mais c’est suffisamment rare, et celui-ci, contrairement à Robert Badinter par exemple, n’a pas d’a priori anti-corse. Ce qui a suffi pour qu’on le dépossède aussi sec de ses pouvoirs sur le dossier des prisonniers politiques corses désormais réglé par le Premier Ministre qui perpétue, contre toute notion d’état de droit, la vengeance d’État à l’encontre du commando Erignac, toujours privé de rapprochement en Corse malgré vingt et un ans passés en détention avec un «comportement exemplaire».

Tout cette agitation répressive et hostile à six mois des élections territoriales n’est pas le fait du hasard. L’État entend manifestement mettre en difficulté la majorité nationaliste sortante, et dissuader les Corses de voter à nouveau pour elle.

Mais au-delà des postures accumulées ces dernières semaines, se pose, depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, un problème essentiel ainsi résumé par le Président du Conseil Exécutif: «Si l’État a décidé de ne pas discuter avec nous parce que nous sommes nationalistes, cela pose un problème fondamental de démocratie (…) Dès lors que nous avons décidé d’éviter la violence, (…) et que, d’un autre côté, on nous dit que la démocratie, quand elle nous met en situation de décider, ne permet pas de prendre en compte ce que nous voulons et ce que le peuple exprime, quels choix nous restera-t-il?» •