Quand’ì a tarra brusgia, sottu à a sciappittana…

Tel une oasis inespérée, la Corse a été épargnée par la vague meurtrière d’incendies qui a sévi dans toute la Méditerranée. En Grèce, en Turquie, en Provence, en Kabylie, en Sardaigne, en Sicile, en Catalogne, l’été a été terriblement dévastateur. Par dizaines de milliers d’hectares, ces feux gigantesques ont détruit des forêts entières, des oliveraies ne s’en relèveront pas, des villages ont été touchés par les flammes, et de nombreuses victimes sont à déplorer.

 

Des centaines d’hectares en Catalogne, dans le site naturel remarquable de la pointe de Creus, sont partis en fumée. Vingt mille hectares ont brûlé en Sardaigne, dont de très nombreuses oliveraies, le feu ayant parcouru plusieurs kilomètres de distance en zone agricole sans pouvoir être maîtrisé tant la chaleur était forte. Cent mille hectares ont brulé en deux semaines en Grèce, dévastant les paysages au nord d’Athènes et dans l’île d’Eubée, des centaines de maisons détruites et trois morts à déplorer. 220.000 hectares ont été détruits par près de 200 incendies en Turquie, qui ont fait huit morts dans les flammes et huit autres dans le crash d’un avion bombardier d’eau. La Kabylie a connu l’apocalypse durant dix jours entre les 9 et 18 août les incendies détruisant des dizaines de milliers d’hectares de forêts, traversant villes et villages et causant de nombreuses victimes. Face à un record de chaleur (plus de 49°C) et à la multiplication des incendies, la Sicile a dû déclarer l’état d’urgence durant le mois d’août. Albanie, Croatie ont aussi été très touchées par des feux d’une ampleur inhabituelle. Le Var, dans le massif des Maures, a connu son plus grand incendie de la décennie, avec des victimes piégées dans leur habitation par les flammes, et plusieurs maisons isolées détruites. Les fumées de l’incendie ont même traversé la Méditerranée, et généré jusqu’en Corse un épisode d’alerte sur la qualité de l’air.

Tous les territoires méditerranéens d’Europe et de la rive sud ont ainsi été touchés, à la notable exception de la Corse. Il faut en féliciter les services de prévention, les pompiers et tous les professionnels impliqués dans ce défi permanent face aux éléments, et aussi sans doute la Providence. Mais il faut nous préparer à connaître les mêmes violences climatiques, en Corse aussi, au rythme du réchauffement climatique qui est en cours.

Car l’impact sociétal de ces catastrophes naturelles va même au-delà de l’impact environnemental que constituent les atteintes à la biodiversité et l’érosion des sols. L’agriculture est la première activité économique atteinte, notamment par la perte de production d’oliveraies millénaires, patrimoine commun de tous les peuples du pourtour méditerranéen. Le tourisme s’éloigne aussi des contrées les plus atteintes dont le patrimoine végétal forestier est détruit ou durablement dégradé.

Mais, en cette année 2021, on a pu observer que les incendies pouvaient avoir aussi des conséquences encore plus graves.

En Turquie, la presse inféodée au pouvoir a ainsi lancé une campagne ciblant les organisations kurdes en leur attribuant une stratégie pyromane. Dans ce pays surarmé et menant une politique extérieure agressive et coûteuse, les moyens de la lutte anti-incendie sont scandaleusement dérisoires. Les carences inouïes de la lutte contre les incendies lors de la vague de chaleur de la première quinzaine du mois d’août ont mis en difficulté les autorités responsables de ce désastre, et elles n’ont pas hésité à désigner les organisations kurdes comme boucs émissaires, dans le contexte de procès politiques récurrents en vue d’arriver à l’incarcération de leurs dirigeants et la dissolution de leurs organisations politiques. On est passé tout près d’un risque réel de pogrom contre les Kurdes dans certaines villes de Turquie.

Même scénario en Kabylie où le pouvoir politique défaillant en a été jusqu’à accuser le mouvement kabyle, notamment le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie et le Congrès Mondial Amazigh, de « terrorisme », arrêtant leurs dirigeants et les accusant d’avoir provoqué sciemment le chaos des incendies. Dans un enchaînement mortifère, on a vu la population kabyle lyncher un volontaire soupçonné d’être un incendiaire infiltré par le pouvoir, et le gouvernement algérien a été jusqu’à rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc voisin en l’accusant d’avoir provoqué des comportements délibérément incendiaires au sein des populations berbères de Kabylie.

À l’heure du réchauffement climatique, l’année 2021 a montré jusqu’à quelles extrémités on pourrait en arriver au sein de nos sociétés si l’action concertée des nations contre les rejets de gaz à effet de serre n’obtenait pas rapidement des résultats probants. •