I messaghji d’Edmond Simeoni

Électrochoc

En 1995, dans son ouvrage «Corse: la volonté d’être» (Éd. Albiana), Edmond Simeoni rappelait un moment important de sa vie militante qu’il avait voulu comme un électrochoc au sein de toute la société corse, lorsque, huit ans plus tôt, il appellait les responsables politiques, Corses ou Français, élus de tous bords, à un examen de conscience. Il n’a hélas pas été suivi et l’Histoire n’a retenu que l’aspect autocritique de son intervention, occultant le nécessaire «aggiornamento» collectif qui se voulait démarche salvatrice par un débat franc et loyal indispensable pour relever le pays.
Aujourd’hui comme hier, ils sont rares les hommes politiques capables d’un tel courage et d’une telle ouverture d’esprit, habité par une foi inébranlable dans le peuple corse et ses capacités de dialogue.

 

«Au mois de juin 1987, très préoccupé par l’évolution de la Corse et l’absence totale de perspectives d’espoir, j’ai essayé de sensibiliser l’opinion publique par le canal d’une conférence de presse sur le thème «La Corse au bord du gouffre». J’y insistais sur le droit du peuple corse à la vie et brossais le tableau d’une économie en difficulté et d’une société corse gravement malade, en dépit d’atouts majeurs. Je proposais comme simple contribution, quelques moyens, sur la base d’une concertation démocratique, pour amorcer la recherche commune d’une solution. Mais, il m’a semblé qu’il fallait innover et créer un électrochoc dans notre communauté qui déjà à l’époque s’enfonçait dans une violence et un immobilisme suicidaires. C’est pourquoi je me suis livré à une autocritique de mon action militante depuis vingt ans. Tout en mesurant le caractère puéril et l’angélisme de certains côtés de mon propos car je m’adressais à mes compatriotes, dans les termes suivants:

«À cette contribution publique, je convie de façon fraternelle, non polémique, et suivant la même méthode, tous ceux qui depuis cinquante ans ont exercé des responsabilités en Corse, à tous les échelons de la vie publique; j’y convie aussi les gouvernants, les Corses eux-mêmes, les non-Corses et pour une période plus récente, les militants clandestins, de façon anonyme bien sûr. L’opinion pourra ainsi juger s’il y a encore des atteintes à la démocratie, si l’acculturation des Corses est une réalité; si le sous-développement économique existe, si les promesses ont toujours été tenues; si les fruits de l’expansion ont été équitablement répartis; si les droits de l’homme ont été bafoués en Corse; s’il existe des injustices sociales majeures et s’il y a eu du racisme anti-corse; si les conditions de parité et de progrès ont été créés ici; si le fonctionnement de la Justice a été satisfaisant; s’il y a eu des polices parallèles; nous saurions aussi alors quels sont les éventuels responsables.
Pour l’appréciation des périodes antérieures à la phase contemporaine, il suffit de lire les journaux et les livres d’histoire; ces derniers ont tout consigné, bien avant la période romaine et chacun peut apprécier l’évolution de la société corse, la réalisation et la qualité des tutelles successives avec, en regard, la quête permanente, éperdue, et souvent mise en échec de la communauté corse pour la liberté, pour l’identité et pour la justice… La démarche que je préconise ne relève pas d’une petite habileté et s’il en est de meilleure, je suis prêt à m’y rallier. Mon propos ne vise pas à diluer les responsabilités, à banaliser et à absoudre la violence; à renvoyer les protagonistes dos à dos. Elle ne vise pas non plus à rendre la problématique confuse et donc le problème insoluble. Mais à mon sens, elle aurait l’avantage d’instaurer le dialogue au lieu de préparer les affrontements; de montrer que les vérités sont partagées ; que les responsabilités ne sont pas unilatérales; que nul homme, nulle organisation, aucun régime ne peut s’exonérer d’une part de responsabilité, certes d’importance inégale.»

Tous les médias insistèrent lourdement, pour ne pas dire exclusivement sur la partie autocritique, avec force clichés émouvants, sur le thème du repentir, de la rédemption; par contre, ils restèrent pratiquement muets sur l’essentiel, c’est-à-dire sur l’invite à m’imiter faite aux autres responsables, démarche qui aurait pu initier un abord fructueux de notre problème. Toujours est-il qu’il n’y eut pas un seul homme, un seul mouvement, pour prendre sa part du fardeau commun. Le silence fut assourdissant si ce n’est l’observation remarquable d’un élu de premier plan qui m’exécuta, de façon lapidaire, par un: «je ne suis pas surpris car j’ai toujours pensé qu’il avait tort.» Ainsi donc la Corse était dans une situation de détresse mais la faute n’incombait à personne; décidément le courage et la dignité se raréfiaient dans l’île officielle mais restaient très présents au sein du peuple duquel émanèrent des réponses nombreuses, chaleureuses mais aussi critiques. J’avais aussi saisi tous les maires de l’île de cette démarche, en vain; j’en avais fait de même auprès de personnalités.» •