Que faire pour sauver le Peuple Corse ?

Attendre la fin des haricots ?

par Max Simeoni
Lundi 14 mai, le suspense des listes du 1er tour des Territoriales vient de se terminer. On connaît le nombre de listes, une dizaine, avec leurs noms. Sur 4 qui sont nationalistes, 3 sont les composantes de leur coalition « majoritaire » à l’Assemblée de Corse. Pour toutes, il faut en bonne logique électorale faire campagne pour avoir un maximum d’élus à ce 1er tour du 20 juin.

 

Je ne m’hasarderai pas à faire un pronostic pour ce 1er tour des Territoriales. Je n’en ai guère fait même quand j’ai été moi même candidat. J’ai toujours considéré que ce qui importait le plus c’était le niveau et  la qualité du combat que le Parti nationaliste avait mené en amont, les élections n’étant que des figures imposées par le système des clans asservis à une République des jacobins, le but étant d’obtenir la reconnaissance du Peuple Corse par la loi. Donc casser le système pour s’imposer à cette République par la force démocratique de notre Peuple et  non le cautionner en acceptant les entraves de Statuts spéciaux. Nos combats tous azimuts et électoraux cherchant en permanence à convaincre les Corses dans inévitablement une longue marche pleine à la fois d’urnes et de luttes de terrains…

 

Quelques hypothèses sous formes de questions. Gilles Simeoni majoritaire « absolu » à lui tout seul au 1er tour ? Improbable ! Mais alors quels résultats pour le 2e ? S’il arrive en tête, aura t’il une avance suffisante pour faire à l’aise sa liste ? Peu probable car il lui faudra faire un cocktail délicat d’autres nationalistes et d’ouvertures sur lesquelles il a commencé à miser. Tout dépendra du score des autres composantes nationalistes dont chacune cherchera à ne pas faire les frais de ces ouvertures. Où donc sera placé le curseur entre nationalistes ? De lui dépendra les cartes de chacune et la place dans la configuration de la nouvelle Assemblée, à son Exécutif et aux Offices.

On est donc dans un cheminement électoraliste sans fin dans lequel il est difficile de faire un pronostic à court terme mais dont il ne faut pas négliger les déviances graves qu’il peut entraîner par rapport à notre but « historique », le sauvetage du Peuple Corse qui passe par l’inscription dans le marbre de la Constitution, la reconnaissance du Peuple Corse et de l’autonomie.

 

S’il est difficile de faire un pronostic électoral à ce 1er tour, les mécanismes mal connus de l’électoralisme sans un Parti organisé de terrain pour catalyser leur prise de conscience par le Peuple Corse accélèreront son déclin. Il cherchera des solutions qui sont des impasses comme l’électoralisme ou la violence clandestine et facilitera le jeu de divisions entre Corses du pouvoir central jacobin et de tous ceux qui prospèrent dans la conjoncture actuelle, peu nombreux sans doute comme tous ceux qui par idéologie ou ignorance sont hostiles à l’appel des nationalistes.

Qui peut mettre en œuvre ce Parti populaire du sauvetage ? Les nationalistes évidemment ! Mais une fois purgés de leur électoralisme dont les dés sont jetés pour le cycle en cours d’élections à répétitions. Alors plus tard en fin de cycle ? Sans compter les pourvois en annulations et  toutes les crises générales imprévisibles possibles politiques, sociales, financières, écologiques…

Le temps perdu aggrave et peut même empêcher le sursaut pour survivre du Peuple Corse.

 

La France et la République ont toujours traité l’Île comme une colonie. De 1818 à 1913, soit 95 années, un siècle d’un régime inique, la Loi douanière étouffe toute possibilité de progrès économique de l’Île, la rend entièrement dépendante de la métropole, s’en sert comme réservoir d’hommes pour encadrer son Empire colonial et ses guerres. Elle met fin à la Loi douanière, donc en 1913, la veille de la Grande Guerre de 14-18 où 12.000 Corses meurent et des milliers estropiés grands invalides de Guerre. Non développée et vidée, l’Île ne compte que 160.000 hab. en 1960. Les Accords d’Evian en 1962 (De Gaulle/FLNA) signe la fin de l’Empire colonial avec l’indépendance de l’Algérie. L’exode massif amènera 18.000 Pieds Noirs sur l’Île et pour les accueillir, la Somivac détournera les fonds prévus pour le développement de l’agriculture corse au détriment des agriculteurs insulaires. Sans Empire et avec les perspectives de l’Europe à construire, la Datar commandite un rapport tenu secret à l’Hudson Institut pour le développement touristique en 1970. En 1971 le gouvernement rend public un Schéma d’aménagement de la Corse sur 15 ans (de 1971 à 1984 ) qui n’est qu’un des scénarios évoqués mais non retenu par l’Hudson Institut. Il le présente comme la fin de la léthargie de l’Île et le début d’une prospérité pour tous les insulaires. L’ARC* se procure ce rapport secret et le dévoile.

La preuve du mensonge et la manœuvre apparaissent au grand jour. Il s’agit d’un développement  massif touristique : 250 à 300.000 lits à créer en 15 ans et la venue de 70.000 employés pour l’étayer. Il s’agit de noyer le peu d’autochtones qui restent pour disposer à l’aise de leur Terre insulaire au profit des intérêts de la métropole. Les mots de colonie et de « génocide » ne sont-ils pas justifiés ? L’État français pris la main dans le sac ne reconnaît pas son bébé et met tout sur le dos de l’Hudson Institut qui est tenu au secret par contrat. Pitoyable.

 

Il faut selon moi bien comprendre que l’État républicain jacobin est animé par une idéologie totalitaire. Il croît être le modèle des « valeurs universelles ». Ses élites administratives et politiques en sont imprégnés. Il n’a pas la clef pour ouvrir la porte au « droit à la différence » cette formule de Mitterand. Des personnages progressistes non politiciens ni arrivistes n’y échappent pas. Badinter, qui a fait supprimer la peine de mort devenu président du Conseil Constitutionnel, n’a-t-il pas dit à un journaliste, dans une interview à la fin de ses deux présidences, que ce qu’il avait fait de plus significatif est d’avoir annulé dans la Loi pour le nouveau statut de Joxe le vocable de « Peuple Corse ». Mme Veille, qui a rendu l’IVG légale, lors de sa présidence du Parlement européen, a tenté d’empêcher une interview d’Edmond Simeoni alors que cette possibilité est reconnue dans les statuts du Parlement si cela a lieu sous la seule responsabilité d’un de ses parlementaires. Pour une magistrate comme elle, aller contre la règle il fallait qu’Edmond Simeoni lui apparaisse comme le diable !

Si le centralisme républicain à la française est condamné par l’histoire, je le crois, quelques signes peuvent le faire penser. La loi Molac sur l’enseignement des langues régionales votée à une large majorité est traduite devant le Conseil Constitutionnel. Je suis un peu sur la réserve car les députés sont dans le contexte des élections Territoriales. Ratisser large, déplaire le moins de monde possible. Attendons la suite.

Le Schéma d’aménagement (71- 84) n’est plus officiel mais il est lancé et continue camouflé. Les chiffres en témoignent. De 160.000 hab. en 1960, la population de l’Île est passée à 330.000 hab. Elle a doublé mais essentiellement par des apports d’allogènes ces trente dernières années. Son tourisme représente plus de 20% de son PIB, chiffre énorme qui ne se voit dans aucune autre région à vocation touristique. C’est dire la faiblesse des autres activités économiques. Elle est dépendante à plus de 97% pour l’alimentation et de tout ce qu’elle consomme en général. Les importations sont soutenues par la DSP nouveau nom de l’enveloppe de continuité territoriale instituée pour diminuer le coût du transport et soulager le panier de la ménagère. Or la vie est plus chère et l’île est parmi les plus pauvres. Elle compte 60.000 précaires définis par la loi et bon nombre en passe de le devenir. Entièrement vouée au tourisme, quelques rares insulaires en profitent, beaucoup en survivent. Où vont donc les profits en relation avec ces plus de 20% du PIB insulaires ? Aux producteurs extérieurs et aux financiers qui les accompagnent. Cette dépendance coloniale va de paire avec l’appropriation du sol encouragée par le biais fiscal du dégrèvement de 30% pour les constructions « à valeur locative » qui a fait de l’Île la championne en quelques années de la construction des résidences secondaires.

 

Alors quand les autonomistes initieront-ils le noyau convergeant capable de sauver le Peuple en regroupant face à l’État jacobin toutes les forces de survie dont il est encore porteur ? Après ce cycle électoral ? Après les élections présidentielles, en 2023-24 ? Perdre encore quelques années à se résigner à un électoralisme qui nous divise ? Sommes-nous des pompiers qui jouent des haricots à la belote quand le feu menace l’immeuble où dorme leur famille ? L’électoralisme n’est-il pas de l’essence qu’on jette sur le feu ? Attendre la fin des haricots en se rongeant les ongles, ne reste-t-il plus autre chose à faire ? n

 

* Autonomia en 1974 explique l’affaire de l’Hudson Institut.