«C’est Yalta»?

Selon le Corse-Matin du 18 novembre, les quatre présidents (deux conseils départementaux, deux de la CTC) ont signé un accord pour travailler de concert afin que l’amendement à la loi NOTRe instituant l’Assemblée unique, entre en vigueur dès le 1er janvier 2018. À cette occasion, Pierre-Jean Luciani lance vers les journalistes la boutade: «Est-ce un accord historique…» Gilles Simeoni reprend la balle au bond avec: «C’est Yalta»!

Cette «cacciata» fait remonter à 1933, à la déclaration de guerre contre l’Allemagne, à Gamelin le généralissime, à l’abri derrière la ligne Maginot qui avait déclaré : « Nous sommes prêts, il ne manque pas même un bouton de guêtre…» La TSF (il n’y avait pas de télévision), rabâchait ses communiqués : « à l’Est rien de nouveau…» Quand brusquement les Panzers transpercent la Belgique et foncent vers Paris et que les stukas hurlant piquent sur les convois en retraite. La déroute complète. Suivront quatre années de guerre, avec l’appui des USA et la résistance des Russes, pour libérer l’Europe du fléau nazi. Les vainqueurs sont divisés en deux camps : le capitalisme et le marxisme. Mais les intérêts nationaux traditionnels, priment. Roosevelt, Churchill, Staline partagent les zones d’occupation et… d’influence.

De Gaulle avec une volonté farouche de voir la France à égalité des symboles de la «Victoire» et avec les pieds sur terre, s’imposa. Il aura sa bombe atomique. Berlin, la capitale partagée est pour le Kremlin une source de fuites. Il fera tomber un « rideau de fer ». Entre temps la télévision née pourra traverser les frontières « Yalta », la cacciata de Gilles Simeoni peut suggérer des sentiments divers.
Diplomatie ? On traite de puissance à puissance ? Ironie, si on pense que les deux Conseils départementaux doivent disparaître ? Un héritage à partager entre personnes sans base juridique. Ou ce que je veux bien croire une volonté de détente, de dialogue pour une issue valable pour tous dans l’intérêt du peuple corse.
Chaque Corse attaché à sa terre, à sa culture doit se sentir responsable de l’avenir en commun et apporter sa contribution, celle qu’il peut, à l’espoir d’un avenir collectif au-delà des sensibilités politiques habituelles.
Personne ne peut nier que le fond corse ne soit sous la menace d’une disparition à terme pour satisfaire des intérêts qui n’ont rien à voir avec ses valeurs. Du temps de Pasquale Paoli, nous avons été une avant-garde de la modernité et de la démocratie. Un peuple réaliste prêt à accepter une tutelle d’une grande puissance si elle respectait « nos libertés », celles forgées en résistant aux dominations. Ponte Novu est la preuve. Capables il y a deux siècles d’un tel exploit de dignité, les derniers Corses ne peuvent pas être « tous morts à Ponte Novu ». Bien sûr, nous sommes comme tous les peuples avec notre lot d’héros et de délinquants. Nous ne sommes pas un peuple « élu » par Dieu le père.

Face à des puissances dominantes, obligées de plier dans un premier temps puis de s’insurger pour continuer à exister.
Influencés en bien parfois comme en mal souvent par le colonisateur du moment, toujours plus ou moins divisés par lui, mais jamais au point de se renier. Une culture de petit peuple en résistance à toutes les formes de dominations.
Or aujourd’hui il est placé depuis deux siècles devant un dilemme: être Français ou être Corse. Il ne nous laisse pas le choix de vivre naturellement notre corsitude et encore moins de la transmettre à nos enfants. Aucune nostalgie, simplement le sentiment d’une injustice à faire cesser, et à réparer. Écrasés par les armes d’un Roi de droit divin, puis laminés par un système totalitariste dit républicain. Réservoir d’hommes hier, aujourd’hui la cage avec peu d’oiseaux et les nids livrés aux voraces. Au temps de l’exil, «la Corse est pauvre à jamais », de nos jours le « développement économique» (surtout immobilier), les deux slogans pour justifier l’injustifiable.
Les émigrés, victimes économiques, impatients d’avoir la citoyenneté française, apprennent le français. Ils seront bilingues avec transmission «maternelle» à la maison, alors que les Corses ne l’ont déjà plus. La coofficialité s’impose.
Demain soir, les résultats des primaires de la droite seront connus. Les nations savent que peu importe le candidat choisi. Pour tous, pas de coofficialité et donc le déclin de la langue continuera. Rien pour empêcher l’Île d’être démantelée et défigurée, pas de statut de résidence. Pas de pou- voir fiscal réel, donc pas de moyens pour diminuer ou freiner dans l’intérêt collectif.

Un Yalta avec l’État jacobin ne peut pas avoir lieu puisqu’il n’y a pas à s’entendre contre un ennemi commun. L’ennemi c’est lui.
Mais rapprocher tous les Corses sur des points où cela est possible, convaincre de la coofficialité, ne pas se satisfaire d’un bilinguisme téléguidé. Quant à la préservation du capital nature de notre terre insulaire, il faut convaincre qu’elle est compatible avec un développement «durable». Et pour agir sans perdre du temps et avec efficacité, un vrai pouvoir fiscal doit être obtenu.

Difficile d’exiger un bilan un an après l’élection des natios à la CTC et un an avant la prochaine confrontation électorale, même si des plans, des mises en place ont été dessinés. Leurs retombées viendront plus tard.
L’argument de « proximité » pour justifier un arrangement ménageant l’avenir des élus ne tient plus. Il s’est effondré devant les révélations qu’on devinait mais dont on doutait de l’ampleur.
Les 100 millions d’euros de la dette, confirmés par la Cour des Comptes régionale, le système de «proximité» mis en accusation par la justice. Il ne concerne qu’une partie. Il est bel et bien généralisé. Si la justice commence à réagir, peu importe de savoir pourquoi aujourd’hui seulement, elle fait naître sinon un peu d’espoir, du moins un temps de patience.
Les «natios» ont bien entonné leur partie. Ce n’est qu’un tout début. Ils doivent continuer dans la transparence, dans le dialogue fraternel sans naïveté. Être convaincants, pédagogues, sans repos, donner l’exemple d’un comportement de démocratie la meilleure possible. Pour remonter le courant du jacobinisme, comme les bateliers de la Volga et inviter tous les Corses à tirer ensemble. Il n’y aura jamais de trop. Max Simeoni