Gagner des élections ne suffit pas

La bataille électoraliste a commencé. Premiers tirs pour sonder la réplique des adversaires et mesurer les effets sur l’opinion et le corps électoral. Pour sonder aussi les associés des coalitions électorales (Per à Corsica) qui ont eu la majorité « absolue » ou de celles à venir probables.

 

C’est dans un cadre de bataille électoraliste que Femu a Corsica débute sa structuration avec un an de retard dû à la crise entre les autonomistes d’Inseme et du PNC, après avoir voté à l’unanimité la fusion avec des statuts lors du Congrès d’octobre 2017, l’a refusée avec comme arguments la richesse des différentes sensibilités, du fédéralisme qui ratisse plus large, pour finalement avancer une construction à deux partenaires strictement égaux. Ce qui n’est pas accepté par Inseme qui prend l’initiative de réaliser la « fusion », donc Femu, « en laissant la porte ouverte ». Et c’est par une logique électoraliste que le PNC réplique en mettant en avant « Pè a Corsica » comme cadre des actions en commun, bref un cadre pour une répartition des mandats et des fonctions dans les institutions (mairies, communautés, CdC, députés…).

Par contre, Pè a Corsica peut aller de soi avec les indépendantistes de Corsica Lìbera, le FLNC ayant mis de côté l’action clandestine.

Encore qu’une ébauche d’une série de plasticages non revendiqués ajoute un élément de trouble. Le Parquet n’a pas cru bon pour le moment de recourir à sa filière antiterroriste…

 

L’enfumage électoraliste insulaire a lieu dans le brouillard des jaunes et des blacks-blocs sur les Champs Élysées. Le Président écourte ses vacances d’hiver pour prendre les mesures afin de le dissiper.

Il annule sa venue chez nous, l’urgence pour lui est ailleurs. La Corse attend et espère depuis deux siècles et demi… Contexte difficile pour l’État comme pour la majorité « absolue » qui doivent échanger pour fixer les traits de la nouvelle Assemblée Unique.

Ainsi la structuration de Femu a Corsica a lieu dans des conditions peu favorables pour ne pas dire catastrophiques. Elle ne peut se faire que de haut en bas. C’est les élus sur le toit qui doivent mettre en place les fondations, c’est à dire la base militante, qui fonctionne bien, qui a une production politique efficace, conforme à son idéal politique et à son choix de rigueur démocratique.

Aucune des organisations natios n’ont un tel fonctionnement.

Chez les indépendantistes le FLNC avait tout le pouvoir, les contre pouvoirs compris, il était « le lieu de synthèse » de la Lutte de Libération Nationale (LLN). Il est aisé de comprendre que la reconversion en un mouvement démocratique, à ciel ouvert est une difficulté importante, faire une organisation démocratique avec des militants « révolutionnaires » est une gageure quand l’objectif de la lutte reste aléatoire.

Pour les autonomistes, plus « modérés » cela peut paraître plus à la portée, or il n’en est rien.

Leurs élus ont la pression des enjeux électoraux proches, des fonctions qu’ils exercent, des projets qu’ils conçoivent. Le temps est compté. Le tempo d’une mise en place d’une base est plus lent, la réflexion et l’analyse critique en commun s’imposent pour créer la cohérence, un sentiment partagé d’appartenance et de volonté d’action, pour se dynamiser collectivement…

 

Quels sont les traits d’un mouvement démocratique ?

– Une AG qui a le pouvoir de définir la ligne politique et qui tranche en dernier recours toutes les tensions, tous les problèmes qui n’ont pas pu être résolus dans les autres instances du mouvement. Le règlement intérieur définit les conditions qui garantissent son fonctionnement démocratique (réunions ordinaires et extraordinaires, délais de convocation, participants, militants ou simples adhérents, ordre du jour, présidence des débats, présentations et votent des motions, commissions statutaires, procédure de modification des statuts, découpage des régions, etc). L’AG se réunit au moins une fois l’an.

 

– Un organe central (comité central ou cunsigliu supranu…) concerné par l’adaptation pour l’action de la ligne définie par l’AG, entre deux AG. Il se réunit souvent, chaque mois ou plus souvent, ou selon les besoins ressentis par son bureau, il est composé par des militants élus dans chaque base régionale qui ensuite élisent un président et un bureau de quelques membres, cet organe central est habilité à décider de la participation aux élections et du choix des candidatures individuelles ou proposées par les régions.

Le nombre des régions du territoire est prévu par les statuts.

Les militants y sont rattachés pour militer. Des sections à l’intérieur des régions peuvent être créées après en avoir fait la demande motivée au cunsigliu.

La qualité de militants est un acte volontaire. Il s’accompagne, après le paiement d’une cotisation, de l’adhésion et de l’engagement à respecter les décisions prises.

 

– Le sécrétaire général (l’exécutif) est élu par l’AG avec son bureau et sur un programme d’application de la politique qu’elle a définie.

 

– Les élus du mouvement peuvent se concerter dans un collège des élus. Ils renoncent à toute fonction interne de l’organisation, ils assistent, s’ils le veulent, à toutes les réunions des militants, où ils peuvent intervenir mais sans droit de vote.

Leurs mandats appartiennent au mouvement, quand ils en sont privés pour n’importe quelle raison, ils retrouvent leur statut de militant. Les élus versent par principe une partie de leurs indemnités au trésorier du mouvement.

La double appartenance à une autre structure politique n’est pas acceptée.

 

– Une commission des conflits aura le souci de traiter ceux de caractère uniquement personnel, toutes autres tensions d’ordre politique font partie du débat interne selon les procédures statutaires.

 

Un mouvement démocratique se construit de bas en haut. Sa base au sein du Peuple est à même de recueillir les informations alimentant les structures qu’elle s’est donnée pour en faire la synthèse en vue des stratégies ou des tactiques les plus efficientes.

Un tel mouvement a des débats transparents (ordre du jour, procès verbal ou compte-rendu avec procédure de validation, temps de paroles, etc.) qui concernent toutes les instances, Sections, régions, cunsigliu, secrétariat général, élus, AG et commissions…

Il est certes démocratique, mais se veut d’action en vue d’un projet qui est historique, le sauvetage du Peuple Corse sur sa Terre. Au service de cette cause, il fonde sur l’organisation de l’intelligence collective, l’engagement et la responsabilité de ses militants.

Les autonomistes n’ont pas su saisir l’opportunité de l’initier dans de meilleures conditions.

Les natios en général se sont laisser griser par leurs progrès électoraux rapides, leur majorité « absolue », le vide soudain d’opposants et un calendrier électoral chargé, les commandes de la CdC prises en main mais avec des adhérents qui n’ont été que des électeurs… La pression du calendrier à rendez-vous successifs mobilise plus les élus avec le désir d’être réélus. La mise en place de la structure militante de Femu peut apparaître comme devant servir d’abord les compétitions électorales proches. Elle donne un petit air de cooptation à partir de grands élus ou d’une course à l’échalote pour les municipales et ou les communautés de communes.

Oui, la reconversion du succès électoral « massif » en un mouvement démocratique est une quadrature du cercle à résoudre pour assurer l’avenir de notre Peuple sur sa Terre. Il faudra du temps pour la construire et pour la rendre efficace. Le temps historique n’a rien à voir avec les fébrilités électoralistes. Mais le temps perdu joue contre un Peuple mal en point qui a peu de réserves vitales. On doit se persuader que gagner des élections ne suffit pas.

Max Simeoni.