Giscard l’a dit. Avez-vous mieux à proposer ?

Dans mon article «On attend le Premier Ministre ? », imprimé la veille et distribué le premier jour de sa visite, ma réponse est claire. Il ne vient pas pour dialoguer mais pour poursuivre le rapport de force politique entre les valeurs du jacobinisme de la République centralisatrice et colonialiste et les aspirations d’un Peuple nié mais qui veut être reconnu dans ses droits. En fait, il s’agit de la même politique, la même depuis toujours que le Pouvoir central adapte selon les évolutions du contexte.

Il n’y a pas si longtemps, fort de l’emprise du clan, le Pouvoir central n’a-t-il pas demandé à des maires d’interdire des soirées de chants corses (Lugu di Nazza, Carghjese) au nom de l’ordre public? Il a évolué en fonction du soutien des Corses pour se parer d’un enseignement bilingue entièrement contrôlé par l’État (création de postes, programmes, horaires…). Il a toujours refusé la coofficialité et, avant le Padduc, écarté les motions votées à l’Assemblée de Corse par des majorités non nationalistes. Il a résisté à la pression des linguistes des instances internationales.

Ceux du Conseil de l’Europe d’abord. Pendant 9 ans, il a tenté d’empêcher la sortie de la Charte des langues minoritaires qu’il ne veut pas ratifier mais qu’en période électorale certains ministres promettaient (dont François Hollande).

Ceux de l’Unesco ensuite, qui ont fait un rapport en 2002-2003 sur les conditions de vitalité des « langues régionales ou minoritaires » du monde entier, l’accent mis sur la transmission à l’enfant dans sa famille, et plus récemment de l’ONU, qui ont invité le gouvernement français à les soutenir en ce qui le concerne.

 

La langue est un problème politique.

Elle est le résultat de tout ce qui a fait l’Histoire de ceux qui la pratique (guerres, dominations, échanges, structures sociales, économie, cultures…). Elle est l’identification et l’identité de la communauté qui la parle. «Morta a lingua, mortu u Populu ! »

L’État jacobin isolé a voulu mettre un obstacle juridique difficile à franchir sans son consentement : la Constitution, dont l’article 2 décrète que « le français est la langue de la République». Jusquelà il n’en avait guère besoin pour marginaliser ses langues régionales qui ne pouvaient que décliner et disparaître. Le bilinguisme contrôlé n’est qu’un alibi mensonger.

 

Le réservoir d’hommes pour les guerres et l’Empire colonial est à l’étiage en 1962. La Corse compte alors 160.000 habitants selon l’Insee.

Aux Accords d’Evian à cette date, le FLNA refuse au Général De Gaule la poursuite des essais nucléaires dans le Hoggar comme d’ailleurs l’exploitation en commun du pétrole de Tamanrasset découvert depuis peu. Pour les essais, pris de court, il envisage l’Argentella… L’île dépeuplée, non développée, est toute désignée pour un développement touristique massif que les Plans d’Action Régionale de 1958 anticipaient en perspective avec le reflux colonial et l’idée de l’Europe à construire. La Somivac, qui a servi à accueillir les Pieds Noirs au détriment des agriculteurs corses, la Setco, qui devait ériger une centaine d’hôtels de luxe. Elle en fit quatre mais le projet fût repris en très grand par la Datar. La divulgation par l’ARC de son projet qu’elle voulait secret prouvait qu’elle comptait noyer les insulaires par la construction en 10 ans de 250.000 lits et l’apport de 70.000 techniciens du tourisme.

Échec ? Non, car la partie continue. L’État a substitué un développement plus larvé mais tout autant mortifère. Le dégrèvement de 30 % pour les constructions locatives ont vu les résidences secondaires proliférer en moins de 10 ans. Au développement dirigiste, l’État a substitué un développement bancaire privé. Mais le résultat ne sera pas changé : la disparition du Peuple sur sa terre livrée à la spéculation immobilière par une défiscalisation qui amène les dérives mafieuses. Et ce sera toujours la faute des Corses.

De nos jours, n’est-ce pas eux qui vendent leurs terres et leurs maisons… Un procureur de la République n’a-t-il pas déclaré que les Corses avaient un gène du crime ?

Le transfert de population s’accélère.

En 1962, 160.000 habitants.

En 2006, 44 ans plus tard, elle en a 294.118. Soit 134.118 habitants.

En 2019, elle en a 330.448, soit 136.330 habitants en 13 ans.

 

L’État français, avec Macron Président, s’est trouvé face à une majorité «absolue» de natios. Il cherche le KO des « simples élus locaux… qui ne font pas la loi », avec le cérémonial anniversaire de l’assassinat du Préfet Erignac.

Le contexte hexagonal des gilets jaunes, les grandes régions à mettre en place dont certaines s’émeuvent, la réforme des retraites…, l’obligent à ralentir et à éviter la confluence des mécontentements et l’emballement. La Préfète maintient la tension jusqu’à ce que le Premier Ministre se dégèle lors de sa venue. Il signe avec les natios une convention pour l’indépendance énergétique de l’île en 2050. Dans 30 ans donc. Certes, il faut du temps mais d’ici là les aléas des financements et des contextes peuvent ralentir ou empêcher cette indépendance énergétique. Les alternances à l’Elysée peuvent facilement se dédire. Et même si indépendance énergétique il y a, dans quelle situation sera le Peuple Corse au rythme des transferts de population ? Bref, à qui cela profitera ?

Le temps travaille contre le Peuple Corse. Sa source rurale pour sa culture et sa langue se tarie. Les nouveaux venus emplissent une Corse littorale d’allure banlieusarde ou de pied-mont dans les sites remarquables pour résidences secondaires.

 

Les natios qui se disputent des mandats pour être réélus dans des institutions insuffisantes en voulant à tout prix reconduire des alliances électorales sont coupables par incompétence et aveuglement.

Sans un parti organisé et gagnant la confiance du plus grand nombre, au contact du monde du travail et des milliers de précaires, la base de la résistance démocratique faisant défaut, nos élus instaurent volens nolens un système de nomenclature stérile.

L’absence d’opposition du moment les anesthésie. Les jacobins peuvent, de Paris et par les Préfets, en jouer et entamer leur crédit.

La politique du Pouvoir central est adaptée dans le temps mais toujours la même. Giscard l’a bien résumée dans sa formule « il n’y a pas de problème corse, il y a des problèmes en Corse » Donc pas problème politique, des problèmes économiques, sociaux, de transports, etc., du ressort de l’État, pragmatiques pour l’essentiel. C’est la chanson « du développement économique avant tout » ressassée sans fin.

Max Simeoni.