La flamme de chacun

Les responsables parisiens cherchent à éluder, à réduire, à endormir les problèmes insulaires. Ouvrir le dossier pour traiter à fond le problème corse, qui peut le croire dans l’état des rapports de forces politiques actuels?

Les deux finalistes n’ont pas Sarkozy au premier tour. Malgré les amabilités des pêcheurs de voix en tournée, ils ont confirmé le pessimisme des natios : coofficialité, statut de résident, pouvoir fiscal non recevables. Quant à la gauche hexagonale, elle est déglinguée. François Hollande, président sortant, devrit se prononcer autour du 10 décembre. Pour le moment, il est au tapis, et la courbe du chômage ne descendra pas assez pour qu’il puisse la saisir et se redresser. Dans le peloton, ceux qui ambitionnent d’être calife à la place du calife, piétinent, trépignent. Il leur faut des primaires pour lancer leur sprint. Impossible avant que le président sortant dise s’il est candidat et/ou s’il s’aligne ou non à des primaires.

À droite, un bras de fer et on verra, ce soir, si la déclaration : « Tous unis derrière le gagnant des primaires » sera reprise sans restriction. À gauche, la même déclaration suggère plutôt l’emploi du conditionnel : « il faudrait être tous unis pour battre la droite… » François Hollande met tout le monde de gauche en suspense comme lui. Cela donne une avance de quelques jours à la droite. Et de regroupement dynamique à gauche, il n’en est pas question pour le moment. En Corse, pour le premier tour, Camille a bien misé sur Fillon. L’avantage peut s’évaporer si Juppé « soutenu » emporte la finale du 2d tour. Dans ce cas, il se retrouvera sous surveillance dans le peloton des regroupés. Les natios, eux, subissent le calendrier institutionnel dont les dates intermédiaires ne sont pas bien fixées : fin des primaires, campagne pour la présidence de la République, ils devront figurer aux législatives et élire l’assemblée unique avant la fin 2017. Un sac de nœuds, di « lana corsa », mais à devoir dénouer comme tous les nœuds gênants. Pour l’heure, ils négocient avec un gouvernement dont les jours sont comptés et l’on sait qu’un gouvernement nouveau n’est pas tenu par les engagements de celui auquel il succède, sur- tout en cas d’alternance. Même si une loi pour la Corse est votée, des décrets d’application, des circulaires ministérielles pourraient en réduire la portée.

Jusqu’à ce jour, les natios font plutôt bonne figure. Le principe d’une compagnie régionale mari- time est admis, encore faut-il que le montage juridique et financier tienne sur l’eau. Pour l’heure, un effet d’aubaine bon à prendre au temps des restrictions budgétaires : économies pour les dotations à vouer aux compagnies, prix du carburant en baisse… en outre, la restriction des dotations aux régions qui aurait fait « payer » le contribuable corse plus que les autres, a été corrigée par le premier ministre. Les natios préparent les chantiers d’importance : lutte contre la précarité, implication des jeunes, le monde rural, les transports intérieurs, le chemin de fer, l’arrivée du gaz, l’application du Padduc… Avec la Sardaigne, les Baléares, Malte, ils pensent à l’avenir des îles en Méditerranée… Ils communiquent pour expliquer et convaincre. Leur crédibilité semble s’améliorer. Les « anti-natios » sont dans l’obligation de laisser courir ou de lancer quelques banderilles pour garder un peu la distance. En fait, le contexte leur est favorable. En Corse, l’effondrement des clanistes de « proximité », prend l’allure dans les prétoires des tribunaux, d’une dernière estocade. Tout le trafic des gîtes ruraux mis au grand jour par la justice, dévoile l’iceberg de tout le système claniste. « Ùn ci hè mancu più un palmu di nettu », la vieille citation populaire est confirmée. Les natios bénéficient aussi de la crise des partis traditionnels qu’ils ont au fil des ans réussi à ébranler et qui le sont surtout par la dislocation de l’édifice pyramidale des jacobins à Paris et dans les régions qui fait que leurs éléments de base sont désorientés, paumés.

Le premier tour des primaires a été un phare qui a éclairé la séquence Juppé, Sarkozy, Fillon… puis Fillon, Juppé. D’autres surprises sont à attendre… Affaiblis ou un tant soit peu revigorés, les gouvernements de la France ont à affronter des problèmes écrasants : l’emploi lié à la pauvreté, à la compétitivité, à la délocalisation, à la mondialisation. Les flux d’émigrés « économiques » difficilement contrôlables, liés à la radicalisation musulmane du Moyen Orient, d’Afrique et chez les jeunes fils d’émigrés nés français… Les responsables parisiens cherchent à éluder, à réduire, à endormir les problèmes insulaires. Ouvrir le dossier pour traiter à fond le problème corse, qui peut le croire dans l’état des rapports de forces politiques actuels ? Un bilinguisme pour la langue, la coofficialité étant le préalable à sa survie et insuffisant sans les moyens d’une politique linguistique majeure et sur le long terme (rapport sur les langues minoritaires de l’Unesco 2002/ 2003). La panoplie des lois ordinaires pour nous extirper le cancer de l’immobilier spéculatif qui ronge la Corse, à peine endigué par les associatifs (U Levante, etc. ?) « L’argent achète tout, il suffit d’y mettre le prix», l’adage populaire n’a pas vieilli. Les associatifs guerroyant qui font tout leur possible, et qu’il convient de remercier, et les natios qui dénoncent à corps et à cris, n’ont pas tous les moyens suffisants pour combattre le fléau. Le problème est politique. Il faut davantage de combattants convaincus et organisés pour avoir prise. Il leur faut l’autonomie et la reconnaissance du peuple corse pour vaincre. Tant qu’ils ne l’auront pas, la situation sera ambivalente, bâtarde, sans garantie. Ils ont conquis une capacité de continuer à freiner le déclin du peuple corse, mais ils doivent l’inverser sinon il se poursuivra jusqu’à sa fin.

Il faut agréger tous les talents, toutes les bonnes volontés, les ordonner en forces convergentes le plus démocratiquement possible. Cela commande d’être exemplaires, transparents, fraternels sans naïveté pour entrainer le plus grand nombre. L’heure s’y prête si on pense que le système jacobin plongé au cœur d’une crise planétaire est lui-même en crise grave, que les clanistes s’en rendent compte et que la petite flamme de corsitude qu’ils portent en eux peut leur permettre de se reconvertir au service de notre peuple et de traverser les épreuves en commun.