L'Europe doit soutenir ceux qui l'ont soutenue !

Brexit

Le vote du Brexit est survenu avant l’été. Deux nations sur quatre ont exprimé leur désaccord avec le vote majoritaire du Royaume Uni et ont choisi de rester en Europe: l’Écosse et l’Irlande du Nord. Le mardi 8 novembre le député R&PS breton Paul Molac organisait à l’Assemblée nationale, dans le cadre du groupe d’amitié franco- irlandais, un débat sur les conséquences du Brexit pour l’Irlande du Nord et l’Écosse. François Alfonsi, président de l’ALE, était sollicité pour contribuer au débat.

Le meeting a été rehaussé par la présence d’Allistair Mac Dowell député nord-irlandais du SPLP, parti d’Irlande du Nord dont la figure de proue est John Hume qui a été prix Nobel de la Paix en récompense de son rôle dans le processus de paix qui a conduit l’Irlande du Nord, grâce aussi à l’Europe et à son programme PEACE, sur les chemins de la paix et du développement.

Les intervenants d’Irlande du Nord, tous issus des milieux catholiques, sont unanimes : l’Irlande était entrée dans une ère nouvelle depuis les accords du vendredi saint de 1998, et le vote du Brexit est une menace pour son avenir. La majorité protestante du territoire a certes voté majoritairement pour le Brexit comme le reste du Royaume Uni, mais dans une proportion moindre car le résultat final, 56,4% contre le Brexit, montre que le vote pro-européen a dépassé le clivage traditionnel de la société nord-irlandaise. Le Sinn Fein, le parti républicain proche de l’IRA, qui est désormais majoritaire au sein de la communauté catholique, a changé de position en 15 années d’exercice des responsabilités à la tête des institutions nord irlandaises. Encore très anti-européen jusqu’à ces dernières années, il évolue dans le contexte du Brexit vers un nouveau positionnement demandant que l’Irlande du Nord reste européenne et puisse continuer à se rapprocher de l’Irlande pour ne former qu’une seule entité territoriale et humaine.

Comment préserver l’ancrage européen de l’Ulster qui permet le rapprochement entre les deux Irlande jusque-là divisées par la politique de Londres? Comment préserver l’espace de prospérité qui s’est développé de part et d’autre de l’ancienne frontière qui, jusqu’à il y a peu, n’avait rien à envier au mur de Berlin? L’Irlande cherche une alternative au Brexit. L’Écosse aussi est très pro-européenne, et le résultat de 62% de votes «remain» l’a encore démontré. Nicola Sturgeon, premier Ministre du gouvernement écossais a dès le lendemain du résultat sillonné l’Europe pour proclamer que l’Écosse n’accepterait pas de sortir de l’Europe contre la volonté de son peuple. Elle a remis sur la table la question de l’indépendance et annoncé son intention de provoquer un nouveau référendum d’autodétermination si Londres voulait l’en- traîner hors de l’Europe. Comment cela pourrait évoluer? La question du référendum est sur la table, mais ce ne peut être qu’une option ultime, car dans un cas comme dans l’autre, les risques sont grands. En Irlande du Nord la question de quitter le Royaume Uni pour rejoindre une Irlande indépendante continue de diviser en profondeur un territoire où cette question, il y a à peine vingt ans, provoquait encore une véritable situation de guerre civile. Il faudra bien plus d’une génération pour cicatriser les plaies du très sanglant conflit nord- irlandais, et la situation pourrait à nouveau déraper. Sans compter que les protestants sont majoritaires et qu’un vote « grégaire » de leur communauté, inévitable en situation de tension, pourrait se retourner contre les républicains.

En Écosse aussi, la question du référendum fait hésiter les cadres du SNP. La défaite lors de celui de 2014 était prévue, mais le gain politique avait été très fort puisque le droit de l’Écosse à l’autodétermination a été officiellement acquis. Mais un nouvel échec serait redoutable et pourrait, comme au Québec, se révéler fatal et hypothéquer pour très longtemps la perspective d’indépendance de l’Écosse.

Aussi, ayant réussi à s’imposer dans le cercle de négociation entre l’Europe et le Royaume Uni pour mettre en place le Brexit, Écosse et Irlande du Nord vont essayer de développer des scénarios alternatifs. Car l’Europe est pragmatique, et ses fonctionnaires ne manquent pas d’imagination pour trouver des solutions a priori très improbables.
Par exemple un État membre de l’Union Européenne – le Danemark – continue d’exercer sa souveraineté sur des territoires qui ne sont pas européens, le Groënland et les Iles Feroe. Un «processus inverse» peut être imaginé: pour- quoi ne pas envisager que des territoires sous souveraineté britannique ne puis- sent rester au sein de l’Union Européenne? De 28 États, l’UE passerait à 27 États + 2 « autorités territoriales », celles de l’Écosse et de l’Irlande du Nord, un peu comme il existe une «autorité palestinienne». Certes Écosse et Irlande du Nord seraient représentées à un niveau sub-étatique, mais elles siègeraient dans les Conseils européens, et la Wallonie a montré récemment, en bloquant le traité commercial avec le Canada, que, même sans les pleins pouvoirs d’un État, on peut peser sur l’Union Européenne.

Londres a-t-il les moyens de s’opposer à un compromis irlandais et écossais? Oui, si l’Europe y consent. Mais si l’Europe fait l’ouverture institutionnelle nécessaire, l’Écosse et l’Irlande du Nord pourraient alors rester européennes malgré le Brexit. La question n’est pas qu’institutionnelle, elle est aussi politique: si l’Europe ne soutient pas les attentes de ceux qui la soutiennent, elle doit s’attendre à ne plus être demain soutenue par personne! Et à échouer face aux montées populistes qui se liguent contre elle.

Le Brexit, et particulièrement l’avenir de l’Irlande du Nord et de l’Écosse, est aussi un test majeur pour l’Europe.