Immunité parlementaire des députés catalans

Retour de boomerang russe et courage belge

L’incarcération de Navalny a soulevé à juste titre une grande indignation dans le monde et tout particulièrement en Europe. C’est dans ce contexte que Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité depuis 2019 a maintenu une visite diplomatique à Moscou, visite qui a tourné au fiasco. En effet, il n’a pas hésité à exiger que son hôte, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, libère son adversaire Alexei Navalny et ouvre une enquête impartiale sur son empoisonnement. Borrell a déclaré que «Bruxelles respectait la souveraineté russe, mais que l’État de droit, les droits de l’homme, la société civile et la liberté politique étaient au cœur de ses relations avec Moscou».
La réponse de Lavrov a été cinglante: il a immédiatement blâmé l’emprisonnement de prisonniers politiques catalans au sein de l’Union européenne.

 

Le ministre russe a déclaré que la Belgique et l’Allemagne avaient contredit les tribunaux espagnols dans l’affaire du 1er octobre. «Vous remettez en question les décisions de notre système judiciaire», a pointé Lavrov lors d’une conférence de presse conjointe avec Borrell, «alors que vous appliquez au sein de l’UE deux poids deux mesures», en jetant l’opprobre sur la Hongrie et la Pologne et en tolérant l’Espagne. Il s’est également plaint que la Russie avait été accusée sans preuves d’avoir contribué au référendum catalan du 1er octobre.

«Dès le premier jour, nous avons averti l’UE que le double standard était très coûteux», a déclaré le président Carles Puigdemont en réaction aux propos de Lavrov.

 

C’est la deuxième fois en une semaine qu’un ministre critique l’État espagnol pour la situation des prisonniers politiques et des exilés. En effet, mardi 2 février, au Parlement belge, le Premier ministre, le libéral Alexander De Croo, a comparé l’Espagne pour la première fois à la Hongrie et à la Pologne en réponse au député Sander Loones qui l’avait interrogé sur les décisions de justice belges qui refusaient les euro-ordres de l’État espagnol contre les exilés au motif qu’un procès équitable n’est pas possible en Espagne si l’on était un militant indépendantiste. «Notre gouvernement croit en une forte application de l’État de droit dans tous les États membres, tant en Pologne qu’en Hongrie et en Espagne. Chacun doit respecter les valeurs européennes fondamentales en tant qu’État de droit», a-t-il déclaré. C’est la première fois qu’un Premier Ministre en activité affronte l’omerta des États européens face à la crise catalane.

Tout ceci intervient dans un moment-clé où la commission juridique du Parlement européen (JURI) a réactivé la demande de suspension de l’immunité parlementaire de trois eurodéputés indépendantistes catalans. Sans revenir en détail sur le contexte, je rappelle ici que quatre députés représentant près de 2 millions de voix ont été élus aux dernières européennes alors que trois étaient exilés (C. Puigdemont, T. Comin et C. Ponsati) et le 4e emprisonné en Espagne (O. Junqueras).  La Cour de justice de l’UE a reconnu leur statut de députés européens ce qui a permis aux trois premiers de siéger au Parlement, mais O. Junqueras est resté en prison, l’Espagne assumant sa désobéissance au CJUE.

 

Les premières comparutions devant la commission des affaires juridiques ont eu lieu en décembre dernier. Le rapporteur de cette affaire est Angel Dzhambazki, membre du Mouvement national bulgare, lui-même assez proche de VOX, le parti ultra-droite espagnol qui a été l’artisan majeur des diverses dénonciations contre les indépendantistes catalans. Si l’orateur a ce profil hostile à l’indépendance catalane, il en va de même pour le président de la commission juridique, Adrián Vázquez, de Ciudadanos, qui a manœuvré pour réactiver la procédure au plus vite et convaincre les services juridiques de le faire par voie électronique. Il faut savoir que la commission juridique a une des proportions les plus élevées de députés espagnols; on y retrouve notamment Ibán García del Blanco (PSOE), Esteban González Pons (PP), Marcos Ros Sempere (PSOE), Javier Zarzalejos (PP), ainsi qu’Adrian Vázquez. Et parmi les suppléants – qui votent en cas d’absence des membres effectifs – se trouvent Jorge Buxadé (Vox), Javier Nart (indépendant ex- Ciudadanos) et Nacho Sánchez Amor (PSOE). Tous ces partis sont ouvertement hostiles à l’indépendantisme catalan et partisans de lourdes peines de prison contre ses dirigeants.

Si la demande de l’Espagne était approuvée par la Commission JURI puis par le parlement européen, les trois députés resteraient euro-députés avec tous leurs droits et devoirs, mais ne bénéficieraient plus de l’immunité dont ils jouissent actuellement. Cela signifierait qu’ils devraient comparaître devant la justice belge, qui a une procédure ouverte sur l’euro-ordre d’extradition vers l’Espagne. Si la pétition est rejetée par le Parlement européen, la Cour suprême espagnole ne peut pas demander une autre pétition pour lever à nouveau son immunité. Il n’est pas permis d’activer plus d’une pétition contre la même personne pour la même cause.

On comprend que cette affaire ne se règlera pas facilement et que la justice belge restera encore au centre du jeu. D’où l’importance de la prise de position du Premier Ministre belge Alexander de Croo la semaine dernière. De Croo n’est pas un militant indépendantiste, bien au contraire : au Parlement européen, son parti siège avec le groupe Ciudadanos, mais de Croo est aussi un démocrate très au courant de ce qui se passe en Catalogne. Le 1er octobre 2017, Alexander de Croo, alors vice-président de Charles Michel, a répondu avec beaucoup de force aux attaques du gouvernement espagnol notamment de Mariano Rajoy contre le gouvernement belge en lui disant que le monde a été témoin «des violences policière contre des civils pacifiques pour empêcher qu’ils votent et vous voulez en plus les condamner?»

Trois ans plus tard, Rajoy n’est plus présent, Alexander de Croo est le Premier ministre de la Belgique et Charles Michel le président du Conseil européen. Les choses sont en train d’évoluer, mais ce sera long et complexe.

 

De son côté, Carles Puigdemont a lancé une procédure de demande de protection au Parlement européen car il existe des preuves solides de persécution policière (écoute téléphonique) et politique (enquête contre lui et les personnes de son entourage au sujet de son activité politique – article publié par El Mundo le 31 août 2020), bien qu’il soit protégé par son immunité d’eurodéputé (protocole sur les privilèges et immunités des élus de l’UE – article 9). Cette demande sera traitée la semaine prochaine dans le cadre de la même commission juridique du Parlement mais cette fois, ce sera Marie Toussaint (EELV) qui en sera le rapporteur.

En résumé, il existe un scénario tout à fait possible dans lequel le Parlement européen (PE) lève l’immunité de Puigdemont pour son implication dans le référendum du 1-O 2017, comme l’a demandé la Cour suprême espagnole, et, que peu après, le PE ratifie son immunité en cas de persécution… pas simple du tout.

Néanmoins, si les membres du Parlement européen suivent l’Espagne dans les deux cas, la Cour de justice de l’Union européenne pourrait être saisie. •

Marie Lefevre-Fonollosa, CoSolCat (Coordination Solidarité Catalogne)