Référendum en Turquie

La vraie-fausse victoire d’Erdoggan

Recep Tayyip Erdogan est loin d’avoir obtenu le plébiscite que ses partisans annonçaient pour le référendum sur le renforcement de ses pouvoirs.

Un score très étriqué (51% contre 49%), des contestations nombreuses sur la régularité du scrutin qui remettent la victoire du oui en cause, un pays fracturé entre rural et urbain (les trois grandes villes de Turquie, Istanbul, Ankara et Izmir ont voté « non »), un fossé encore plus profond avec le Kurdistan, une crédibilité internationale sérieusement entachée : Recip Erdoggan n’a pas de quoi fêter vraiment les résultats du référendum constitutionnel qu’il a convoqué pour renforcer son pouvoir présidentiel et personnel.

 

En convoquant ce référendum, Erdoggan avait fait le pari d’en sortir largement gagnant, pour renforcer son pouvoir. Le but était d’accroître son emprise dictatoriale sur ce qu’il reste de démocratie en Turquie, pour mener la répression au Kurdistan et pour réduire au silence toute opposition au nom de la lutte contre le groupe de son opposant en exil, Fethullah Gülen, accusé de la tentative de coup d’état du mois de juillet 2016.

Depuis ce putsch raté, les opposants sont systématiquement emprisonnés, il y a eu de véritables purges dans l’armée, dans l’appareil judiciaire, dans les structures de l’éducation, à la télévision et dans les médias, et, au Kurdistan, le parti nationaliste HDP est persécuté sans relâche. Plusieurs de ses députés et responsables sont emprisonnés au nom d’une prétendue proximité avec le PKK qui lutte les armes à la main pour le Kurdistan. Deux dirigeants principaux, l’une et l’autre députés élus au Parlement turc, Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, sont embastillés depuis novembre dernier.

C’est dans ces conditions très difficiles que le scrutin s’est déroulé au Kurdistan où le « non » l’a largement emporté. Des observateurs internationaux ont été mobilisés pour surveiller le déroulement des opérations de vote. L’Alliance Libre Européenne y était associée et une délégation emmenée par Lorena Lopez de Lacalle et Ana Miranda était mobilisée pour veiller au respect de conditions démocratiques. Ces observateurs ont constaté que, dans les bureaux de vote, le parti AKP de Recip Erdoggan a caporalisé les opérations de vote et gêné le déroulement démocratique du scrutin. Dans le même temps, l’armée occupait la rue et même certains bureaux de vote. Il flottait une ambiance de dérive autoritaire vers la dictature.

Si le oui avait été ultra-majoritaire dans le reste de la Turquie, nul doute que le durcissement répressif serait immédiat.

Mais la résistance des pôles de contestation démocratique turcs en capacité de se fédérer avec le mouvement kurde a été à nouveau démontrée à travers la performance inattendue du non. Cette convergence avait été observée il y a deux ans quand HDP avait franchi la barre délibérément éliminatoire de 10% et envoyé 80 députés au Parlement turc, privant l’AKP d’Erdoggan de la faculté de réformer à sa guise la constitution. Le referendum devait venger cet échec. Mais la victoire est à nouveau bien trop étroite pour Erdoggan.

D’autant que la situation économique s’est beaucoup dégradée. L’effondrement du tourisme, sous le coup des menaces d’attentat de Daech, mais aussi de l’image très dégradée de la Turquie vis à vis des Européens, particulièrement les Allemands qui sont sa principale clientèle, a provoqué un « trou d’air » qui inquiète les acteurs économiques. En recevant une somme substantielle de l’Union Européenne en échange du traitement sur le sol turc de la pression migratoire générée par le conflit syrien, Erdoggan est à la fois en position de force – il fait le chantage permanent à l’ouverture des frontières –, mais il est aussi de plus en plus dépendant financièrement de cette manne financière qui renfloue directement l’État turc.

La résilience de la société démocratique turque contre la dérive autocratique de ses dirigeants est donc plutôt une bonne nouvelle, même si le referendum a donné une courte majorité aux projets de Ricip Erdoggan. Il faudra être aux côtés de ces forces démocratiques. C’est pourquoi l’ALE a répondu présent à l’appel du Parti kurde HDP pour participer à un corps international d’observateurs et apporter ainsi son soutien dans le contexte de ce référendum.

 

François Alfonsi