Afghanistan

L’effondrement d’un pouvoir artificiel

U.S. Marines with the 24th Marine Expeditionary Unit (MEU) process evacuees as they go through the Evacuation Control Center (ECC) during an evacuation at Hamid Karzai International Airport, Kabul, Afghanistan, August 28, 2021. U.S. Marine Corps/Staff Sgt. Victor Mancilla/Handout via REUTERS. THIS IMAGE HAS BEEN SUPPLIED BY A THIRD PARTY. TPX IMAGES OF THE DAY
Comme une poutre rongée par les termites qui ne laissent rien voir de leur travail destructeur derrière la couche superficielle apparente, les piliers du pouvoir en place à Kaboul ont cédé brutalement et totalement. Encore plus qu’une déroute, c’est une sorte « d’évaporation » de ce pseudo-État à laquelle on a assisté en quelques jours.

 

Tout était factice et fantoche, aussi bien les dirigeants maintenus au pouvoir par la coalition internationale que les instruments de leur État, à commencer par leur armée qui s’est auto-dissoute dès l’instant que la résistance afghane a commencé à négocier directement avec les États-Unis.

Les composantes de la société afghane qui sont menacées par cette arrivée au pouvoir des Talibans dont on sait le mépris pour les libertés fondamentales, sont désemparées et gagnées par la panique comme le montrent les scènes filmées de l’évacuation en catastrophe des milliers d’entre eux qui cherchent à fuir. Mais la plupart ne réussiront pas à le faire et ils devront se résigner à survivre dans une société qui est appelée à retourner aux démons de l’intégrisme islamiste. Pour les Afghan(e)s, ce sera « nuit et brouillard » pour de longues années !

Cependant, l’Histoire de l’Afghanistan ne va pas s’arrêter au 15 août 2021, et, tout talibans qu’ils soient, les nouveaux maîtres du pays seront bien obligés de composer avec la réalité qu’ils auront désormais à gérer.

 

Car la société afghane est complexe !

Les réalités ethniques y sont toujours aussi présentes, dans ce pays mosaïque aux territoires historiquement, culturellement et linguistiquement bien séparés. Les deux ethnies principales, les pachtounes dont les talibans sont l’émanation, les tadjikes sunnites et hazaras chiites, qui partagent la même langue persane et étaient autrefois regroupés dans le « Front Uni » du commandant Massoud, sont de taille équivalente et s’opposent depuis des décennies, tandis que de nombreuses autres minorités nationales existent dans ce pays montagneux et cloisonné. Il faudra bien que les Talibans composent avec ces réalités nationales bien ancrées.

Il leur faudra composer aussi avec leur environnement international. La manne financière occidentale représentait 80% du budget de l’État afghan, fonctionnaires, soldats, infrastructures, etc. Les Talibans, de leur côté, ont été financés par « l’impôt révolutionnaire » prélevé sur le commerce de l’opium dont l’Afghanistan assure 80 % de la production mondiale, essentiellement en territoire pachtoune. Ces flux financiers sont indispensables dans une société où la pauvreté est très grande et l’économie très faible. Or ces ressources financières sont très fragiles, à commencer bien sûr par les canaux de l’aide américaine qui ont été aussitôt fermés, tandis que la Banque Mondiale a gelé tous les avoirs de l’État afghan dont le nouveau pouvoir devra négocier la restitution.

Que seront devenus les soldats de l’armée afghane, et leurs armes dont ils avaient été dotés et même sur-dotés par l’Occident ? Beaucoup ont sans doute été récupérés par les groupes talibans au fur et à mesure des redditions des bataillons de l’armée afghane. D’autres armes sont certainement stockées par ceux qui s’apprêtent à être pourchassés pour les avoir combattus à la demande du régime pro-américain. Sans « solution politique », une grande instabilité est à prévoir.

Or l’avenir économique de l’Afghanistan passe par une stabilité politique retrouvée. Car les richesses de ce pays sont grandes, surtout en richesses minières désormais très recherchées dans le monde comme le lithium ou les terres rares. Mais les investisseurs potentiels, même s’ils sont russes ou chinois, exigeront la stabilité avant tout, notamment dans les territoires éloignés où ces richesses se trouvent.

Les Talibans seront aussi bien obligés de s’extraire de leur économie mafieuse de l’opium pour financer désormais un État et non plus seulement une résistance. Ils devront composer aussi avec les ethnies non pachtounes, même si les horreurs de la guerre ne sont certainement pas terminées, surtout en territoire hazara doublement stigmatisé, ethniquement, et religieusement comme chiite. Cependant, mis « sous observation » par les opinions publiques internationales, le nouveau régime au pouvoir à Kaboul sera bien obligé d’en tenir compte.

Enfin, les vingt années passées, si elles ont échoué politiquement, ont laissé en héritage un pays où l’éducation s’est généralisée, y compris pour les femmes, et qui est connecté au monde via internet et à travers une diaspora désormais très nombreuse. Le retour à l’obscurantisme de la fin des années 90 n’en sera que plus difficile.

L’avenir de l’Afghanistan s’écrira probablement encore longtemps en lettres de sang et de souffrances. Car il lui faudra se libérer lui-même de ses propres démons de l’intégrisme islamiste que quarante ans de guerre, vingt ans contre l’Union Soviétique puis vingt ans contre les États-Unis, ont installé au pouvoir, en ce 15 août 2021. •

François Alfonsi.

 


Le chaos après la débâcle

Cet article a été écrit avant qu’un attentat suicide à l’aéroport de Kaboul ne cause la mort de 150 personnes, dont 13 soldats américains. S’en est suivi l’envoi de roquettes par les auteurs de ce carnage délibéré, ennemis intimes du nouveau pouvoir des Talibans, à savoir la branche locale de l’État Islamique, pour tenter d’empêcher que continue la noria des avions qui évacuent américains, européens et leurs alliés afghans. Alors que la foule continue quand même à converger vers l’aéroport, les alarmes se succèdent qui prédisent de nouveaux attentats sanglants.

Le chaos s’installe. Si nul ne semble contester la domination talibane sur tout le territoire, y compris dans la capitale Kaboul, la réalité violente d’une société en guerre depuis des décennies déstabilise déjà ceux qui s’étaient imposés comme les nouveaux dirigeants du pays. •