Gilles Simeoni après la visite du Président de la République

« J’ai réitéré notre conviction forte, absolue, que la question corse est une question fondamentalement politique »

Après la visite en Corse du Président de la République, Emmanuel Macron, le Président du Conseil Exécutif, Gilles Simeoni, a livré ses premières impressions de la visite présidentielle durant l’émission Cuntrastu sur Fr3 Via Stella. En voici des extraits. Les questions sont reformulées par notre rédaction.

 

 

Le voyage du président de la République semble cette fois s’être déroulé dans une ambiance cordiale. Avez-vous senti qu’il a modifié sa vision de l’île ?

Il est trop tôt pour le dire. Ce qui est certain, c’est que sur la forme son voyage a tranché de façon très forte avec ses venues précédentes dans l’île et particulièrement avec son discours et ses attitudes du 6 et 7 février 2018. Il y avait une volonté d’écoute, de dialogue, de respect. Cela a toujours était le cas de notre côté, cela a été manifesté cette fois-ci du côté du Président de la République. Sur le fond, nous restons opposés sur l’analyse. J’ai réitéré bien sûr, notre conviction forte, absolue, que la question corse est une question fondamentalement politique et qu’elle doit se traiter à la fois par des réponses politiques, sociales, économiques, culturelles et symboliques. Sur cela, nous n’avons pas avancé en l’état.
Par contre il y avait une autre urgence absolue, l’urgence économique et sociale. Il était de ma responsabilité de Président du Conseil Exécutif de Corse de dire que la Corse risque de connaître dans les semaines et les mois à venir des soubresauts économiques et sociaux d’une gravité sans précédent. Et que dans ce contexte il convient que la Corse, ses institutions bien sûr, mais également ses forces vives – Chambres consulaires, syndicats, acteurs de terrains – la Corse d’un côté et l’État, discutent pour dégager des moyens et des solutions adaptées.

 

De votre côté aussi le ton a changé. En 2018, il y avait eu une manifestation à Aiacciu, et en 2019 vous aviez boycotté le grand débat de Cuzzà ?

Dans un contexte qu’il faudrait rappeler également. De notre côté il y a toujours eu une volonté claire de dialogue, exprimée d’ailleurs par toutes les composantes de la majorité territoriale, et c’est d’ailleurs le mandat qui nous avait été donné par le suffrage universel. La démocratie, le dialogue, mais également des choix politiques très clairs, et la frustration, l’incompréhension et quelque fois disons-le aussi, la colère, sont venues de ce que l’attitude du président de la République a paru exprimer une forme de mépris et de refus par rapport à cette attente.

 

Qu’est-ce qu’il a annoncé finalement ? Politiquement, il n’y a pour ainsi dire rien de nouveau ?

Je ne pense pas que les choses puissent radicalement changer au détour d’une visite présidentielle. Il y a un ton nouveau, il y a un dialogue qui s’est instauré et il y aura maintenant le temps des actes dans les semaines et les mois à venir ; à 18 mois de la présidentielle, à six mois des territoriales, c’est un calendrier électoral qui risque de primer sur le fond politique, mais je considère par exemple dans le domaine économique et social que l’urgence est telle qu’il est impératif de déconnecter les échéances électorales de la nécessaire mobilisation de moyens exceptionnels au service de l’économie et du social.

 

Vous avez confiance ?

La confiance se construit. Pour l’instant nous sommes au tout premiers pas d’une relation que pour ma part je souhaite apaisée, constructive. J’ai dit au Président de la République, vous connaissez mes convictions. Je reste persuadé qu’il y a un peuple corse, que ce peuple corse a des droits, que le sens de l’histoire c’est que ces droits soient reconnus et que par exemple au plan institutionnel cela doit se traduire par un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice. Une fois que l’on a dit cela, et que chacune des parties a précisé ce qu’elle considère être essentiel et non négociable, il faut essayer d’avancer sur ce que l’on peut concrétiser, la question des prisonniers politiques par exemple.

 

Sur ce point, avez-vous eu des assurances, en particulier en ce qui concerne le commando Erignac ?

La rencontre s’est faite en deux temps. Un tête-à-tête entre le président de la République et moi-même et dans un deuxième temps un entretien à trois. Nous avons eu avec Jean Guy Talamoni une position commune sur cette question, celle de dire que nous ne demandons rien d’autre que l’application du droit. La réponse du Président de la République a été de dire que cette affaire est chargée d’un poids symbolique et politique très fort. On sait, dans la préfectorale, par exemple, dans les grands corps de l’État, et pour la famille du préfet Erignac, et c’est bien normal, combien cette question est sensible, mais cela ne doit pas empêcher qu’elle soit traitée par application du droit. Si le droit est appliqué de façon équitable et loyale, les trois condamnés seront rapprochés. La question de la levée du statut de DPS qui conditionne ce rapprochement relève du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, le Président de la République nous a invités à nous rapprocher de lui pour poser la question. Nous le ferons certainement ensemble avec Jean Guy Talamoni, les avocats des personnes concernées le feront également. Si on applique le droit ce sera déjà pour les condamnés et leur famille un geste important, mais ce sera aussi un signe politique que l’on revient dans une relation de dialogue et de confiance.

 

Est-ce que vous avez parlé de la loi de décentralisation 2021, est-ce que vous en attendez quelque chose ?

Ça fait partie des points qui ont été abordés. La question économique et sociale, la perspective d’une solution politique globale, mais également les grands dossiers, et parmi ceux-ci les dossiers stratégiques, les transports, l’énergie, les déchets, le foncier. J’ai dit par exemple qu’indépendamment du débat sur le statut de résident, qui ne peut pas être tranché en l’état puisqu’il implique une révision constitutionnelle, c’est que nous ne pouvons pas rester en l’état d’une situation qui est objectivement insupportable – 150 % d’augmentation des prix du foncier, situation de spéculation, de dépossession. Les Corses le constatent au quotidien. Impossibilité d’accès aux terrains, notamment pour les agriculteurs, impossibilité d’accès au logement, maisons de villages qui se vendent à des étrangers. J’ai dit au président de la République, vous êtes obligé de constater que les instruments du droit commun ne suffisent pas à juguler cette spirale mortifère. Il faut donc avancer sur ce terrain, y compris par des modifications législatives : la fiscalité incitative pour l’accès à la propriété ou la construction de logements principaux ou de logements sociaux – par exemple la TVA ; dissuasive sur toutes les opérations à caractère spéculatif ou éloigné de nos priorités ; application du droit – je pense par exemple au contournement de la loi. Et il a dit de ce côté-là qu’il était prêt à avancer. Nous verrons dans les prochaines semaines. De notre côté, nous ferons des propositions, nous en avons fait une dans le domaine de la transmission du patrimoine, sur proposition d’Alain Spadoni que j’avais sollicité. Nous allons consulter largement. C’est un exemple, l’idée c’est d’avoir des dispositifs adaptés : transfert d’une partie de la compétence en matière de droit de succession à la Collectivité de Corse, crédit d’impôt qui incitera au maintien des biens familiaux dans les familles, tout en relançant la consommation et le BTP dans l’intérieur de l’île. C’est un système vertueux que nous proposons, nous verrons si le président de la République et le gouvernement sont prêts à avancer dans le cadre de ce dossier. Ce sera un test important.

 

Pour revoir Cuntrastu dans son intégralité : ici.