Continuité territoriale

DSP maritime en péril

Le dossier de la desserte maritime de la Corse est parmi les plus difficiles qui soient. Ses implications sociales sont lourdes, son passé est peu reluisant, avec une succession de manquements aux règles européennes basiques et les condamnations très lourdes qui s’en sont suivies, tandis que des compagnies rivales se disputent la rente de la subvention publique : tout est réuni pour compliquer la tâche de l’Assemblée de Corse qui depuis quatre ans cherche à dégager une solution durable et conforme aux intérêts de la Corse. La crise du Covid-19 est venue apporter son lot de nouveaux problèmes, ajoutant encore à la confusion.

 

Dans l’immédiat, la route de la mise en place du schéma voulu par l’Exécutif, défini en 2016, est obstruée, pour deux raisons principales.

La première tient à la procédure elle-même d’attribution du marché pour les sept prochaines années. La CdC a délibéré pour que cela se fasse à travers une « Semop », société semi-publique support d’une compagnie régionale Corse, dont l’actionnaire privé partenaire, désigné après une procédure de mise en concurrence, serait, durant sept années, l’opérateur des lignes maritimes vers Marseille, selon les Obligations de Service Public décidées par la Collectivité de Corse.

Mais la procédure d’appel d’offres a connu des ratés. L’éviction pour vice de forme de Corsica Ferries dont le dossier comprenait une offre écrite complète, mais non sa version électronique sur clef USB, a réduit la concurrence à une seule offre, celle présentée par le consortium Corsica Linea/La Méridionale. L’entente des deux acteurs de l’actuelle continuité territoriale a été laborieuse, émaillée de conflits sociaux, et leur offre conjointe s’élève au final 33 % plus chère que l’estimation de la « juste compensation » réalisée par la Collectivité quand elle a lancé son marché.

Une seule offre, beaucoup plus chère que prévu, alors que la seule concurrence qui ait accepté de concourir n’a pu défendre son offre alternative, tout cela sur fond d’enjeux financiers colossaux et de risques juridiques avérés, a conduit Gilles Simeoni à proposer de déclarer le marché infructueux « car il s’agit de l’argent des Corses », et qu’une simple négociation ne pouvait suffire à revenir dans les clous.

L’Assemblée de Corse l’a suivi et le marché, sous la forme actuelle définie par l’Assemblée d’une Semop permettant d’instituer une Compagnie Régionale et d’attribuer le marché des lignes maritimes avec Marseille pour sept années doit repartir de zéro.

 

Mais à cette difficulté, née de la trop grande exigence financière du consortium Corsica Linea/La Méridionale, sont venues s’ajouter les conséquences du Covid-19 qui a impacté lourdement les équilibres économiques de la desserte en la mettant « en service minimum » durant le confinement, puis en enregistrant une chute de trafic fret et passagers sur l’année 2020, chute dont il faudra deux ans au moins pour se remettre avant de retrouver un niveau de trafic conforme aux prévisions. Or deux ans sur sept ans c’est beaucoup, et cela remet en cause les conditions du marché telles qu’elles figuraient dans le cahier des charges de la consultation qui avait été lancée avant la crise sanitaire.

Il faut donc un nouveau cahier des charges, que l’on ne pourra valider avant d’avoir une visibilité meilleure du trafic des prochaines années selon les évolutions de la crise sanitaire, et il faut donc une période transitoire qui prolonge la situation actuelle au-delà du 31 décembre 2020.

L’Exécutif a proposé dans son rapport à l’Assemblée de prolonger d’un an, par une procédure de gré à gré, les conventions actuelles qui régissent la desserte, Corsica Linea sur Aiacciu, Bastia et Lìsula, la Méridionale sur Prupià et Portivechju.

Entretemps, les services de la Commission Européenne ont fait part de leurs réserves sur un nouveau marché de gré à gré dans le contexte de contentieux juridiques accumulés, et suggère de réaliser une mise en concurrence pour cette période transitoire d’un an, y compris par une procédure d’urgence. Puis elle renouvelle ses réserves sur la continuité d’un service passagers sur Marseille justifiant d’une subvention publique dès l’instant que ces ports sont desservis par le privé sans subvention (Corsica Ferries). Cela concerne Bastia, Aiacciu et Lìsula. Seuls seraient subventionnables Prupià et Portivechju.

Gilles Simeoni lui rétorque que la Commission a multiplié les dérogations au régime des aides d’État depuis la crise sanitaire, avec des milliards donnés par la France à sa compagnie aérienne, ou par l’Allemagne à Lufthansa et à ses ports secondaires, et que la Corse serait privée de toute latitude alors même que c’est une service public vital pour l’île qui est en jeu.

Les réunions avec l’État et la Commission vont se multiplier ces prochaines semaines, avant que le dossier revienne devant l’Assemblée lors de sa prochaine session.

F.A.