I messaghji d'Edmond Simeoni

Turmenti

« Francia sait parfaitement que nous ne renoncerons pas et qu’elle a mis en place une escalade qui atteindra non seulement les biens des autonomistes mais leur personne pour tenter de nous faire réagir de façon irresponsable » dénonçait Edmond Simeoni après l’affaire Bastelica-Fesh le 6 janvier 1981. Bien des années plus tard, pour un blog « Pari[s] sur la Corse »* il évoquait, en 2017, cette « vie de tourments » qu’est la vie militante et les impasses où conduit l’absence de dialogue. Encore une fois, ces réflexions livrées il y a 4 ans restent d’actualité. Extraits.

 

« Nous avons subi des dizaines d’attentats de groupes terroristes, nous avons eu des problèmes de protection des familles. Il faut dormir avec des précautions, sans arrêt changer d’endroit, penser aux enfants, faire très attention. Les menaces téléphoniques et par lettres sont monnaie courante… « On sait où tu habites, on va venir couper les enfants en morceaux »… C’est très très difficile. J’ai toujours pensé aux enfants et surtout à ma femme car elle était toujours en première ligne et elle a toujours fait face. À mesure que l’on prend de l’âge, on se met à la place de l’autre et on comprend toutes les souffrances et les inquiétudes, l’anxiété : à chaque instant, on ne sait pas si le type va revenir ou pas, à quel moment on va l’arrêter… Ce sont des vies de tourment, de souffrance. Il ne faut pas croire que la passion est telle qu’elle occulte tout. Même dans les moments de passion, il ne m’est jamais venu à l’idée de faire du terrorisme aveugle. Je suis médecin, donc du côté de prévenir et guérir, mais j’ai de toute façon toujours eu un tempérament pacifique et une aversion profonde pour la violence. J’aime les chantiers qui sortent de terre, les maisons qu’on construit, les relations sociales. Je n’aime pas les murs détruits. Ça me semble irrationnel de tuer, il y a une forme d’autisme et de folie là-dedans. (…) J’ai toujours eu le souci de ne pas faire couler le sang. Je n’y suis pas arrivé à Aleria et je le déplore. Mon premier souci a toujours été d’éviter que tout le monde chez nous ne s’en aille dans la violence. J’ai toujours évité que ça dégénère dans les manifestations, j’ai désamorcé des choses, j’ai dissuadé des gens… Quand nous avons été victimes d’attentats, j’ai dit aux gens qui voulaient se venger par les armes que s’ils le faisaient, je ne les dénoncerai pas mais je dirai qu’en pensant servir la Corse, ils la ruinent car ils mettent le doigt dans l’engrenage où on veut les amener. Ça peut sembler paradoxal, mais je suis très inquiet pour la Corse. À mon avis, l’État pousse aujourd’hui à la constitution de ce qu’ils appellent un « front républicain », qui consiste à rassembler tout le monde sur une donnée simple : si vous ne votez pas pour nous mais pour Simeoni, vous votez pour l’indépendance et contre la France. Ils cherchent l’effet maximaliste de rupture.

Mais ce qui m’inquiète, ce n’est pas l’opposition politique, c’est que ce front républicain trouve une certaine écoute du côté des services de l’État et j’ai peur qu’on ne glisse dans l’engrenage qui existait il y a quelques années. Ce qui a aggravé la situation en Corse, c’est que l’État n’a pas été impartial. Il était juge et partie, et du mauvais côté : il a tordu le cou à la loi pour nous combattre, même quand on combattait légalement. Je l’avais dit à François Hollande : si vous espérez que ça s’arrête, alors qu’il y a eu 11 000 attentats, des dizaines d’années de prison distribuées, des centaines de morts, des décennies de lutte… Quelques réformes, un peu d’argent et ils croient que ça va se tasser. La seule solution est de se mettre autour d’une table avec des gens responsables qui ne veulent pas rompre avec la France, qui savent qu’elle a des intérêts légitimes à préserver qui seront préservés, et que nous avons simplement des droits qui découlent de l’Europe, de l’identité, de l’aménagement du territoire… » •

Extraits d’une interview réalisée par Audrey Chauvet à l’occasion du festival du film politique de Portivechju.