Marchés fonciers et immobiliers

Le rapport qui confirme les alarmes nationalistes

Quand, en France, l’inflation des prix du foncier s’est élevée à +68% ces 10 dernières années (2006-2017), en Corse, le prix moyen au m2 d’un terrain à bâtir augmente de +138% ! L’un des principaux enseignements est que la grande majorité des Corses, et notamment des jeunes Corses, ne peuvent pas accéder à la propriété dans leur l’île.

Particulièrement sur les zones littorales.

Éléments de contexte La pression foncière a toujours été un sujet d’inquiétude et de revendications pour les nationalistes corses. La terre, lien charnel à l’histoire et la culture, fonde notre peuple et son originalité dans le concert des nations européennes.

Souvent, le discours des nationalistes corses a été jugé faussement alarmiste.

Il n’en est rien. Les indicateurs sont au rouge depuis longtemps. À notre arrivée aux responsabilités, en décembre 2015, cette question foncière a été une priorité, comme elle l’avait été durant les 50 années de luttes précédentes et notamment lorsque nous étions dans l’opposition au moment de l’élaboration du Padduc ; on se souvient des plaidoiries de l’actuel président du Conseil Exécutif, Gilles Simeoni, sur le sujet foncier en général.

Pour étayer nos analyses, et répondre à une exigence que nous avions voulu du Padduc, un Observatoire Foncier Logement Urbanisme (Oflu), a été mis en place au sein de l’Agence de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de l’Énergie de la Corse (AUE) en 2016, alors que je présidais l’AUE1, et la volonté d’aller plus loin encore a été affirmée avec la mise en oeuvre d’une Mission d’Observation des Marchés Fonciers et Immobiliers validée par l’Assemblée de Corse dans une délibération en date du 27 juillet 2017. Aux termes d’une année d’études, notamment avec l’appui du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) octroyé par les ministres Emmanuelle Cosse et Jean- Michel Baylet dans le cadre de nos échanges avec Paris (rapport du CGEDD « Lutter contre la pression foncière et la spéculation immobilière »), il a été en effet décidé de créer une instance d’animation et de suivi afin de produire et de diffuser des connaissances dans tous les domaines intéressant le Padduc, et notamment les questions relatives aux marchés fonciers et immobiliers, comme enjeux de première importance pour le développement urbain, l’aménagement du territoire, la lutte contre la spéculation, les équilibres démographiques, et tous les enjeux liés à la terre, et donc au peuple corse.

Compte tenu de l’existence de nombreux observatoires (observatoire du Développement Durable animé par l’État, Oflu de l’AUE, Office de l’Environnement de la Corse, Corsica Statìstica hébergé à l’Adec, analyses du Girtec, de la Safer, du Conservatoire du Littoral, ou de l’Office Foncier)2, la mise en place d’une Charte pour coordonner et organiser l’action entre tous les intervenants dans ce domaine est apparue indispensable. Ce dispositif appelé «Observation des Marchés Fonciers et Immobiliers » vient donc de rendre son premier rapport.

Et il est alarmant.

Les principaux enseignements de l’étude « L’augmentation du prix du foncier en 10 ans de 138% est considérable » a dit l’actuel président de l’AUE, Jean Biancucci, qui présentait cette étude lors d’une conférence de presse à Aiacciu ce 12 juillet 2019. « L’Assemblée de Corse est en attente de ces éléments chiffrés. On en a souvent parlé. Il y a eu souvent des débats. On est au coeur du sujet aujourd’hui avec les éléments nécessaires qui nous permettent peut-être d’envisager des solutions ».

«Concrètement ce qu’il faut comprendre à travers ces données c’est qu’il y a aujourd’hui des zones où le foyer moyen ne pourra plus accéder à la propriété.

Globalement sur les sites allant de 0 à 500 m du bord de mer les prix s’élèvent jusqu’à 4.000€/m2. Le revenu d’un couple moyen sur l’île entre 30 et 39 ans, actif et désireux de devenir propriétaire est de 32.000 euros par an.

Ce couple ne pourra plus acheter dans certaines communes » alerte encore Jean Biancucci.

La pression foncière est donc un fait qui ne peut pas être contesté. L’étude de ces 10 dernières années (2006-2017) porte sur un peu moins de 21.000 ventes de maisons et d’appartements et 6,6 milliards d’euros de transactions qui se concentre sur près de 10% seulement des communes de Corse.

 

On constate « une étonnante corrélation entre baisse des prix et éloignement à la mer » dit le rapport de l’Exécutif qui confirme « l’attractivité du littoral insulaire et son rôle de premier plan à la fois dans le dynamisme et la valeur du marché ».

Cette pression est en effet essentiellement constatée sur le littoral :

en montant cumulé, la zone comprise entre 0 et 5 km de la mer concentre à elle seule 60 % des ventes en nombre et près de 80% en valeur.

Parallèlement, le revenu disponible brut par habitant est stable entre 2008 et 2015. Et la capacité d’emprunt des ménages ne leur permet donc pas d’accéder à la propriété sur le littoral, et sur les territoires les plus urbanisés ou les plus touristiques (Pays ajaccien, Pays de Balagne, Extrême Sud, Alta Rocca, Pays Bastiais).

Cette augmentation du prix du foncier est quatre fois plus élevée en Corse que sur le Continent. Les mutations à titre onéreux (hors donations, successions, etc.) entre personnes physiques ou morales portant sur les quatre catégories de biens étudiés (terrains à bâtir, maisons, appartements et locaux industriels et commerciaux) sont en augmentation de manière significative et cette augmentation est plus rapide que celle du Produit Intérieur Brut. Et ce, malgré la baisse observée entre 2010 et 2014, du volume des transactions liées à la crise économique de 2008-2009 qui a frappé la Corse avec retard.

On observe aussi une divergence progressive entre l’évolution de la taille moyenne du terrain et celle de son prix.

La surface moyenne des terrains a diminué entre 2006 et 2017 de 36 % alors que le prix moyen augmentait de 51 % (en France, ce constat est plus atténué -28 % pour le prix du terrain contre +23% pour son coût). Cet écart s’explique par la hausse du prix du m2.

Quand en France celui-ci augmente en moyenne de 68% entre 2006 et 2017 (46€/m2 à 82€/m2), en Corse, il augmente de +138 % ! (de 34€/m2 à 81€/m2).

« Le coût du foncier a augmenté en moyenne deux fois plus vite que le coût du logement sur le continent (68 % contre 34%), et quatre fois plus vite sur l’île (138% contre 36%) » alarme le rapport de l’Exécutif de Corse.

«En Corse, la demande en foncier bâti ou à bâtir est bien plus forte que l’offre, c’est bien sur cette première composante qu’il est nécessaire d’agir » commente encore le rapport. « La volonté politique de la Collectivité de Corse, associée à des barrières règlementaires et législatives appropriées, doit permettre d’éviter que le foncier soit libéré de manière inconsidérée et illimitée ».

On attend donc avec impatience le débat de l’Assemblée de Corse, prévu lors de cette session des 25 et 26 juillet prochain. Des mécanismes de régulation des marchés fonciers et immobiliers doivent être mis en oeuvre pour permettre à tous l’accès au logement, et à la propriété.

Le Padduc avait listé différentes solutions (Arritti s’en était fait abondamment l’écho), qui réclament de nouvelles compétences pour la Collectivité de Corse.

Le rapport adopté le 27 janvier 2017 sur une « politique opérationnelle en matière de foncier, de logement et d’aménagement durable à l’échelle territoriale » offrait lui aussi de nombreuses pistes de travail.

Enfin, on va assurément reparler du statut de résident et du besoin d’arracher une autonomie de plein exercice et de plein droit pour notre île. Il ne reste guère que Paris pour continuer, hélas, à y mettre un frein.

 

Fabiana Giovannini.