Hôpital en danger

Près d’un mois de grève de la faim à Bastia

Au moment de paraître, voilà plus de trois semaines que deux membres du personnel CGT de l’hôpital de Bastia sont en grève de la faim. Elles dénoncent la situation de l’établissement au bord de la rupture : risque d’interruption d’approvisionnement en matériel car les fournisseurs ne sont plus payés depuis plus d’un an. Il faut au moins 15 millions d’euros pour sortir l’hôpital de la zone rouge. Parmi les grévistes, Josette Risterucci. Salariée de l’hôpital depuis près de 40 ans, elle est syndicaliste CGT depuis 1979, secrétaire du syndicat à l’hôpital depuis plus de 10 ans. Josette est connue pour son opiniâtreté, elle ne lâche rien. C’est une femme passionnée du service public et une militante qui a concilié durant toute sa vie son travail, sa famille et son engagement social. Elle a été élue à l’Assemblée de Corse et est de tous les combats pour la santé en Corse. Présidente depuis deux ans de la Conférence régional de santé et d’autonomie, elle répond aux questions d’Arritti.

Josette Risterucci

Votre action dure depuis plus de trois semaines, face à une indifférence qui confine au mépris, comment est le moral ?

C’est la colère qui prédomine, la ministre a reçu l’ensemble des représentants de la communauté hospitalière le 17 août lors de sa venue à l’hôpital. Nous lui avons remis un document complet sur notre analyse financière et sur les projets de l’établissement. Elle avait bien dit qu’elle ne faisait pas d’annonce, mais qu’elle donnerait suite…

Pour nous, il y avait urgence au regard de nos besoins et des projets. Elle n’avait qu’à être honnête et dire à tous qu’elle ne donnerait suite qu’en janvier 2018…

Nous sommes en colère aussi car la répartition des enveloppes financières n’a jamais été favorable au Centre Hospitalier de Bastia et cela depuis plus de 30 ans. Nous attendons tout simplement un rattrapage structurel. Donc oui c’est du mépris, mais par pour nous, pour les patients et pour tous ceux qui travaillent à l’hôpital.

 

Comment vous portez-vous ?

Nous étions 9 au début le 30 octobre.

Nous n’avons pas voulu pénaliser le fonctionnement et l’offre de soins de notre hôpital. Les agents ont donc assuré leur service, et progressivement, il n’a pas été possible de continuer la grève de la faim pour toutes, au risque de se mettre en faute professionnelle si un incident intervenait en travaillant.

L’épuisement a fait que nous ne sommes plus que deux actuellement à poursuivre le mouvement, nous avons entamé lundi la 4e semaine de grève de la faim dans l’indifférence totale du gouvernement.

 

Le gouvernement a prétexté un « droit de réserve » du fait des élections (sic)… votre réaction ?

En 40 ans d’hôpital et presque autant de militantisme, je n’ai jamais connu autant de morgue, de mépris, de méconnaissance des dossiers, c’est scandaleux, mais pas étonnant. Les ministres viennent tous en Corse l’été, font la une de l’actualité, mais n’ont pas à faire notre parcours patient… s’ils ont un problème, ils seront transférés directement ailleurs.

C’est aussi cela qui nous révolte, car nous avons tous expliqué, défendu, les contraintes liées à l’insularité pour l’accès aux soins, d’où l’inscription de la Corse dans la stratégie nationale de santé. Cela c’est du moyen et long terme, mais au CH. de Bastia nous avons un besoin urgent de trésorerie nous demandons 15 millions d’euros pour payer une partie des dettes fournisseurs (29 Millions d’euros) sur un total de 50 millions de déficit. Comment penser que l’on puisse fonctionner normalement ?

 

Les gens ne se rendent pas bien compte, racontez-nous le quotidien de l’hôpital…

Tout est fait au quotidien pour pallier les difficultés, des services administratifs aux médicaux, mais il suffit de voir l’état de certains services pour se faire une idée.

Beaucoup de projets importants ont abouti, nous avons des services performants, mais il ne faut plus attendre pour moderniser l’ensemble d’un bâtiment qui était hors normes lors de sa livraison en juin 1985. Il ne faut pas oublier l’état de la psychiatrie publique, du long séjour de Toga, des urgences, etc.. Il faut que cette modernisation soit complète tout comme l’équipement des chambres avec des douches, du mobilier, etc…

Cet été 3 salles de bloc ont été fermées à cause justement de la vétusté des locaux, nous attendons un bloc neuf depuis plus de 15 ans… Les travaux débuteront en décembre sur un projet revu à la baisse (8 salles au lieu de 11) pour les 40 ans à venir. Ça explique notre colère car nous répétons inlassablement les mêmes constats depuis trop longtemps.

 

Pourtant, des dizaines de millions ont déjà été investis dans la « survie » de l’hôpital de Bastia, que faudrait-il faire pour sauver cet outil ?

Je rappellerai que l’hôpital de Bastia a été le seul hôpital de France à accueillir 2300 blessés malheureusement le 5 mai 1992, lors de la catastrophe de Furiani, et il a su gérer. Certains hauts placés ont alors constaté l’insuffisance de nos équipements, mais tout le monde a oublié depuis.

Oui, il y a eu des investissements pour des services de pointe, mais le projet de base est à la hauteur de 70 millions d’euros (sans la psychiatrie et le long séjour), nous avons toujours demandé et défendu un financement à 100 % de ces travaux comme cela a été acté pour la construction de l’hôpital d’Aiacciu.

Bizarrement, toujours refusé.

Le recours à l’emprunt en l’état de notre trésorerie et de l’incapacité d’autofinancement est illusoire et impossible, c’est écrit dans les rapports des commissaires aux comptes (juillet 2017), ce n’est pas la CGT qui l’invente. Et cela nous le disons depuis 5 ans…

Votre regard sur « la santé de la santé » en Corse ?

Je pense que nous pouvons être bien soignés en Corse si les projets régionaux de santé sont suivis, évalués, et accompagnés des moyens financiers tant sur le plan sanitaire que médicosocial.

La pénurie de médecins ne touche pas que la médecine libérale, généralistes ou spécialistes, elle est identique pour les hôpitaux. Le recours à l’intérim médical comme nous le vivons actuellement est scandaleux, le coût aussi. Le défi est d’être attractif, beaucoup essayent, d’où l’importance de projets territoriaux cohérents.

J’estime qu’il est urgent de développer encore plus les consultations spécialisées en Corse en partenariat avec la région PACA. Nous voyons tous le nombre de patients qui prennent l’avion tous les matins. Beaucoup pourraient être pris en charge en Corse, ce serait moins de fatigue pour le patient, moins de dépenses pour les familles.

Nous traitons les urgences vitales, nous avons des SAMU, des services de secours performants, nous nous devons d’avoir des plateaux techniques modernes. Nous sommes la seule région de France à ne pas avoir de CHU ce qui implique des hôpitaux équipés de services tels que les réanimations, la cardiologie, la neurochirurgie, la néonatalogie, etc., qui ne seront jamais « rentables » au regard du mode de financement de la tarification à l’activité.

 

Vos revendications aujourd’hui ?

En premier lieu maintenir les financements de l’assurance maladie créée il y a 70 ans, un modèle de protection sociale dont nous pouvons être fiers, et non voter des milliards d’euros d’économie comme cela a été fait ces derniers jours. Et ainsi vouloir achever l’assurance maladie.

Obtenir pour notre hôpital ce que nous attendons depuis 15 ans : de la trésorerie, 15 millions d’euros pour tenir jusqu’en avril 2018, le financement à 100 % de nos travaux.

Un véritable accès aux soins pour tous par le maillage territorial des différents établissements (presque tous déficitaires…), de ne pas nous demander de faire des projets régionaux de santé sans moyens financiers… sans médecins… et respecter la démocratie sanitaire, la parole et la place de l’usager ce qui est un droit.

On ne peut pas, depuis Paris, dire «on a donné trop à la Corse, les hôpitaux sont sous perfusions permanentes », sans savoir ce que réellement nous vivons au quotidien. Il faut prendre en compte les contraintes financières de l’insularité aujourd’hui pas dans 10 ans, nous ne tiendrons pas en l’état. Il est aussi urgent d’être réaliste et justement faire le point financier de ce qui a été donné et à qui ? Pour quels projets, quels résultats ?? Quels besoins exprimés, votés, et non couverts.

Malgré l’épuisement, la fatigue, nous ne sommes pas résignés, ce mépris nous renforce et nous détermine davantage pour défendre l’accès aux soins pour tous, combattre ses inégalités financières, la précarité est aussi dans le renoncement aux soins plus qu’on ne le pense. D’où l’importance de défendre l’hôpital public plus que jamais.