Salute

Bianca Fazi : « On nous a traité d’alarmistes, nous étions simplement alarmants »

Le couvre-feu est décrété en Corse depuis ce vendredi 23 octobre à minuit. La situation s’est de nouveau tendue dans les hôpitaux et la faiblesse de notre système de soins d’urgence ne pourrait pas y faire face si elle devait s’aggraver encore. Ce qui est à prévoir compte tenu des nouvelles contaminations enregistrées ces dernières semaines. C’est mécanique, car pour bon nombre de malades lorsque les soins à domicile ne seront plus possibles, la situation s’aggravant, il faudra prévoir leur hospitalisation, voire, leur placement en réanimation. Or les lits et les médecins réanimateurs n’ont pas augmenté depuis ! Cette impréparation à l’échelle nationale, si elle pouvait s’expliquer lors de la première vague et du démarrage de l’épidémie, n’est plus acceptable aujourd’hui. Bianca Fazi, conseillère exécutive en charge de la santé en Corse, a exprimé sa colère à peine contenue sur le plateau de notre confrère France 3 Via Stella. Elle était interrogée par Stéphane Usciati. Extraits.

 

 

 

Ce couvre-feu est-il nécessaire ?

Bianca Fazi : Apparemment oui, puisque le gouvernement en a décidé ainsi, moi je ne parlerais pas tellement en termes de couvre-feu, je parle en termes de tensions sur les systèmes hospitaliers. Nous avions en amont anticipé, on nous a traité d’alarmistes, nous étions simplement alarmants. On nous a refusé un green-pass, donc tout l’été on a laissé rentrer 1,7 million de personnes qui ont transité en Corse. Fin août, on se retrouvait déjà avec une incidence élevée, début septembre avec une tension déjà sur les hôpitaux, notamment sur Aiacciu, avec 80% de patients qui venaient de l’extrême-sud, donc d’une zone très touristique. On a laissé évolué cette situation…

 

Vous dites « on a laissé », vous parlez du préfet de Corse ? du gouvernement ?

Oui absolument, je parle du gouvernement. D’ailleurs j’aimerais bien que l’on ne soit pas dans un déni d’observation, ni dans un déni de dialogue comme on assiste actuellement avec le préfet de Corse, que l’on n’a pas rencontré pendant trois mois. Je suis un petit peu en colère parce que je trouve cela vraiment dommage de ne pas avoir des réunions. Non pas que l’on soit en demande d’avoir tout le temps des réunions avec la Préfecture, mais avoir des réunions de cellules de crise et exprimer ce que l’on ressent, avoir une solidarité face à cette crise, de tous les élus de l’île, de toute la population. Nous sommes une petite population, on doit nous protéger, on doit protéger une île. Et on peut le faire, parce qu’on a des entrées par des flux maritimes et aériens. On sait qu’il faut des tests. Et les tests, il faut qu’ils soient faits avant et non pas en arrivant dans un aéroport où c’est déjà trop tard, où ça pèse sur un système de santé qui est fragile. Et donc on rajoute une couche sur quelque chose qui est déjà défaillant. Je trouve que l’on n’a pas fait les choses qu’il fallait faire.

 

Pour vous le couvre-feu arrive trop tard ?

Pour moi il arrive trop tard. Je suis intimement persuadée que l’on nous prépare à un nouveau confinement. Parce qu’on annonce des petites mesures. Cet été on a eu les masques dans certaines zones, pourquoi pas partout ? Ensuite on a eu les mesures, il ne faut pas se réunir à plus de 6, 10 personnes, etc. Alors oui il y a des gens qui ont joué parfaitement le jeu. Il y a des gens qui ont respecté les mesures sanitaires. Mais on savait très bien que l’on allait arriver à une situation où l’on ne pourrait pas gérer, c’est ce qui se passe actuellement. J’en profite pour vous dire que la situation va se tendre dans les 10 jours, parce que ça fait quatre semaines qu’il y a des contaminations, automatiquement il va y avoir plus de malades, et plus de malades médicalement en réanimation. Il ne faut pas attendre qu’il y ait plus de morts et plus de malades en réanimation pour se dire tient on va réagir. Il fallait le faire avant.

 

Est-ce qu’on sait comment durant les deux dernières semaines l’épidémie a progressé de façon quasi fulgurante, le taux d’incidence a été multiplié par quatre en deux semaines sur l’île ?

Si vous voulez c’est logique, à partir du moment où il y a de plus en plus de gens qui sont positifs, qui ne sont pas forcément malades, mais qui sont asymptomatiques ou pas d’ailleurs, et qui donc communiquent et transmettent le virus, forcément on a un impact. D’ailleurs on a un impact sur les personnes de plus de 60-65 ans, on a beaucoup d’hospitalisations sur ce public malheureusement. Automatiquement cela augmente, et entre la semaine 41 et 42, on a vu le nombre de contamination doubler, forcément on aura un impact sur le nombre d’hospitalisation.

 

Est-ce qu’il faut envisager des mesures de confinement ciblées, par catégorie d’âges, de personnes à risques, de catégories socioprofessionnelles ?

C’est dur de peser sur les personnes à risques par exemple de s’auto-confiner. Je trouve que c’est injuste de faire peser y compris sur notre population qui est par définition plus âgée, pourquoi on va encore les confiner, et pourquoi ce sont elles qui vont payer un relâchement dans lequel le gouvernement n’a pas été à la hauteur, parce que quand on a déconfiné, on a eu je trouve des paroles plutôt rassurantes. Là j’ai entendu le Premier Ministre qui disait je n’ai jamais dit que le virus ne circulait plus, mais c’est ce qu’on laissait entendre. C’est pour ça que je vous dis que quand on a interpellé et demandé y compris ce green-pass, on nous a traité de Cassandre, d’alarmiste, je ne sais quoi. Mais en fait on était dans la prévention. J’insiste sur le terme « prévention ». C’est ce qu’on ne sait pas faire en France. Mais en fait il fallait qu’on explique aux gens, qu’on soit pédagogues et leur dire non ça n’est pas terminé.

 

Pour conclure, vous, conseillère exécutive, représentante de l’Assemblée de Corse, aujourd’hui qu’est-ce que vous attendez ?

Déjà une de nos responsabilités évidemment de la part de la population, est que l’on fasse attention à nos plus anciens. Et j’attends des mesures de la part du gouvernement y compris en termes de lits, en termes de ressources humaines, parce qu’on n’a pas encore de réponses, comment allons-nous faire des évacuations sanitaires s’il faut le faire ? La France entière est impactée, on le voit, je regardais la carte l’autre jour, il n’y a que la Bretagne qui pour l’instant est un petit peu épargnée. Où allons-nous faire nos évacuations car l’Europe entière est impactée également. •

 

Bilan Covid19 au 27 octobre 2020

Monde. 43.633.558 cas déclarés dans le monde depuis le début de l’épidémie. 1.161.422 décès.

France. 1.165.278 cas déclarés. 35.018 décès. 2321 clusters. Nouveau record battu le 26 octobre avec 52.010 cas détectés en une journée.

Corse. L’ARS ne communique plus le chiffre des cas déclarés depuis le début de l’épidémie. 75 décès. 3564 nouveaux cas recensés depuis début septembre. 67 personnes hospitalisées dont 11 en réanimation.
Le taux d’incidence (nombre de nouveaux cas sur sept jours pour 100.000 habitants) a augmenté de façon fulgurante, bien que le taux de dépistage ait ralenti. Il explose le seuil d’alerte qui est de 50/100.000 habitants avec un taux de 262,3 cas en Haute-Corse, et de 238,3 cas en Corse du Sud. Le nombre d’hospitalisations continuent d’augmenter.