I messaghji d’Edmond Simeoni

Crucivìa

«Ce n’est pas parce que l’île sera peuplée de drapeaux à tête de Maure qu’elle sera à l’abri d’une situation à la sicilienne» confiait un jour Edmond Simeoni au Journal Le Parisien… Régulièrement, il intervenait sur le péril mafieux du fait d’une Corse de mille et une beautés convoitée par tous les appétits. Il évoquait toujours la menace comme concomitante du sous-développement et surtout de la perte de démocratie.
En 1995, alors qu’il publiait le livre «Corse, la volonté d’être», témoignage de l’immense espoir qui l’habitait, il plaçait la Corse à un carrefour de choix.
25 ans ont passé, et bien que le nationalisme se soit guéri de la violence clandestine, bien qu’il soit installé au sein des institutions de la Corse, nous sommes toujours au même carrefour des choix et les mêmes menaces nous guettent. Voilà qui doit nous faire réfléchir encore. Extraits.

 

«Après ces trente dernières années de luttes dans l’île, une période riche, agitée, remplie d’espoirs, de déceptions et d’erreurs comme toutes les aventures humaines, s’achève. Il serait artificiel de vouloir la prolonger de façon linéaire, car nous sommes déjà arrivés, depuis longtemps, sur un butoir.

Les acteurs politiques, pris dans une logique qui leur est propre, ont tendance – la passion et le cadre militant aggravent ce travers – à être polarisés sur la perception figée d’un problème, isolé de son contexte; le risque est alors grand de ce construire un univers de certitudes, coupé des réalités et de choisir des orientations qui conduisent à l’impasse.

Les cinquante années écoulées ont bouleversé le monde sur tous les plans. La Corse doit en tenir compte. Elle est aujourd’hui dotée, pour la première fois de son histoire contemporaine, de nombreux éléments de cohérence politique, certes insuffisants, mais qu’il serait démagogique de minimiser. Il faut ajouter, dans le domaine des investissements, une contribution financière de quatre milliards de francs pour la période 1994-1999 dont 1,7 milliard d’origine communautaire. On conviendra qu’il y a là amplement manière à travailler pour les prochaines années.

Ainsi, en 1995, il existe, pour schématiser à l’excès deux directions possibles:

– La voie de tous les dangers: la démocratie continue de se dissoudre, l’économie s’affaiblit, la désagrégation sociale s’amplifie et se creuse; la manne financière renforce les appétits et les factions; «le capital nature» de l’île, le vide démographique attireront inévitablement les convoitises, la grande spéculation et la Corse sera prête alors pour la mise en place définitive d’un système mafieux que l’anémie et la démission du corps social empêcheront de conjurer.  Donc une Corse perdue, sans appel.

– La voie de l’espoir à laquelle je crois avec force, est longue, ardue et repose essentiellement sur la volonté des Corses et des amis de la Corse; c’est le pari de l’intelligence du cœur, de la conscience. Progressivement, nous réapprenons la démocratie, la morale, la responsabilisation, le travail, la paix, la solidarité; nous traitons les problèmes urgents, préparons les réformes indispensables; l’économie se réveille, le lien social se tisse, la culture se fortifie, les générations futures vivent dans la liberté et dans la dignité.

Utopie? Mais qui pourrait se résoudre à admettre le naufrage comme inéluctable alors qu’en Afrique du Sud, au Proche-Orient, en Irlande du Nord, des hommes s’attachent à construire la paix et préparent des rapprochements, là où depuis des générations ne prospéraient que la haine ou le refus de l’autre? À qui peut-on faire croire, que notre problème si minuscule, si circonscrit, sans enjeu géostratégique majeur, ne peut pas trouver une solution raisonnable, transactionnelle et conforme à l’intérêt des parties, consacrant ainsi une réconciliation interne et externe que tout commande, au plus vite?

Nous devons donc cesser de promener sur notre société un regard complaisant ou morbide; nous sommes tout simplement une collectivité humaine ni pire ni meilleure que les autres; nos difficultés, relatives au regard des drames de l’humanité tels que le sous-développement, les guerres, sont-elles réellement insurmontables? Nous disposons pourtant des clefs de l’avenir. Nous sommes arrivés à l’heure des choix. Sans échappatoire possible.» •