La Méditerranée en danger

En faire une grande « cause écologique européenne »

Intervention sur un dégazage en Méditerranée
La récente pollution subie par la côte est de la Corse à cause du dégazage sauvage d’un navire dans le « canal de Corse », route maritime parmi les plus fréquentées d’Europe, située entre Italie et Corse pour gagner le port de Gênes, ne doit surtout pas rester impuni, et tout doit enfin être mis en œuvre pour que jamais il ne puisse se reproduire. Il en va de l’avenir écologique de cette mer si importante pour l’Humanité.

 

En réalité, tout n’est pas mis en œuvre pour empêcher cette pratique illicite qui met en danger tout un système écologique. Elle est en effet récurrente, très souvent le fait d’armateurs qui ont pignon sur port, preuve s’il en est qu’elle est en réalité largement tolérée.

De quoi s’agit-il en fait ? La salle des machines des bateaux est régulièrement nettoyée des huiles projetées par leurs moteurs diesel, le plus souvent archaïques, qui sont alimentés par le pire des fiouls lourds, et dont les vidanges génèrent des quantités importantes d’huiles usagées. Tous ces produits hautement polluants sont retenus par les cales du navire, et, à intervalle régulier, ces cales doivent être vidées lors des arrêts au port, à Gênes, Marseille, Barcelone le plus souvent pour les bateaux qui sillonnent la Méditerranée.

Mais les impératifs de rentabilité s’opposent à ces temps d’arrêt qui peuvent s’éterniser quand le trafic augmente, comme c’est le cas désormais au fur et à mesure que l’économie mondiale se relance au lendemain de la crise du Covid. Les ports étant sous-équipés en moyens, les bateaux sont parfois contraints à de longues files d’attente, et, sous la pression de leur armateur-voyou, ils reprennent la mer sans avoir réalisé l’opération de vidange de leurs cales. Avec pour consigne de « dégazer » en mer, le plus discrètement possible.

A cette pratique nul ne s’oppose vraiment, et surtout pas les autorités portuaires qui préfèrent garder leur espace à quai pour faire du « business » rentable plutôt que d’ouvrir de nouveaux sites pour « dégazer » les navires. Et c’est au su et au vu de tous que, quand tel navire reprend le large sans avoir été dépollué, chacun comprend bien qu’il n’hésitera pas à le faire une fois gagnée la haute mer.

Les complicités tacites s’étendent aux États qui ne mettent pas les moyens de surveillance et de traçage suffisants à la disposition des enquêtes. Pour brouiller les pistes, les capitaines ordonnent les dégazages de nuit, et aussi quand ils sont encore au milieu d’un trafic dense de façon à multiplier les pistes et égarer les enquêteurs. C’est pourquoi la côte est de la Corse est particulièrement concernée par ces pratiques inimaginables au 21e siècle. En quittant le port de Gênes sans avoir nettoyé ses cales, le navire-voyou est pressé de dégazer pour être le moins détectable possible. Et c’est l’environnement de la Corse qui trinque !

 

Le listing des pratiques trop longtemps tolérées en Méditerranée est impressionnant, par exemple pour les émissions polluantes des cheminées des navires, en mer comme dans les ports. Dans les mers du Nord de l’Europe, Mer Baltique, Mer du Nord, Manche, les États et l’Europe ont instauré une « zone ECA » (Emission Control Area) où ne sont plus autorisés les navires dont les moteurs sont les plus polluants. Résultat : les armateurs opérant dans ces mers du nord de l’Europe acquièrent de nouveaux bateaux aux normes, et revendent les anciens… le plus souvent aux armateurs opérant en Méditerranée. Les renouvellement de paquebots annoncés à grand renfort de publicité par les grandes compagnies italiennes grecques ou françaises, y compris celles opérant en Corse, sont le plus souvent issus de ce marché de rebut. Résultat : la Méditerranée est en train de détrôner la Mer Baltique comme mer la plus polluée d’Europe !

Depuis plus d’une décennie, les pays riverains de la Mer Baltique ont mis en place une « stratégie macro-régionale », soutenue par l’Union Européenne, pour trouver des solutions à la pollution, tant des rivages (algues vertes) que des fonds (mer peu profonde la Baltique est encombrée de nombreuses épaves dont certaines avaient des cargaisons dangereuses) et des ports. Avec des résultats véritablement probants. En Méditerranée, c’est tout le contraire et cela va de mal en pis !

Pour en sortir, il faut faire de la Méditerranée une grande cause écologique européenne. A chacune des régions bordées par notre Mare Nostrum de s’y atteler ; l’Europe pourra les y aider comme elle a accompagné les régions côtières en Baltique. Encore faut-il s’y mettre enfin ! •

François Alfonsi.