Réserve de Scandùla

Secouer aussi l’immobilisme de l’État

La perte du Diplôme européen du Conseil de l’Europe pour la Réserve de Scàndula a provoqué un électrochoc. Il faut tout faire pour que la Réserve remplisse à nouveau tous les critères d’un espace où la nature est respectée, et la biodiversité protégée. D’ici décembre, le Secrétariat de la Convention de Berne pourra être saisi d’un nouveau dossier présentant les avancées qui justifieront de la réattribution du Diplôme européen à Scàndula.
Lors de la réunion du Comité Consultatif qui a eu lieu à Portu le 20 juillet dernier, le Président du Conseil Scientifique, le Professeur Charles-François Boudouresque, a rendu un rapport qui montre le chemin à suivre. Pour beaucoup, il dépend de l’État, ce que François Alfonsi a rappelé fortement au Ministère de l’Environnement par l’intermédiaire de son Directeur Régional en Corse. Dès la rentrée de septembre, François Alfonsi et Michèle Rivasi demanderont à être reçus par la nouvelle Ministre de l’Environnement, Barbara Pompili. D’ici décembre, chacun devra avoir fait sa part de chemin, y compris l’État.

 

Que représente la Réserve de Scàndula, notamment pour le balbuzard en Méditerranée ?

La Réserve de Scàndula est le sanctuaire du Balbuzard en Méditerranée, dont la Corse abrite la moitié de la population qui est de moins d’une centaine pour tout le bassin méditerranéen. C’est aussi depuis Scàndula que l’on a pu réussir la réintroduction du balbuzard en Toscane et sans doute en Sardaigne où des adultes nés en Corse nichent désormais. Or, depuis une dizaine d’années on observe un déclin très net du succès reproducteur qui avait été apporté par la création de la Réserve, et l’espèce est à nouveau menacée d’extinction.
Nous avons rassemblé au fil des années une base de données complète, en répertoriant tous les nids par GPS et en recensant leur occupation, s’ils ont fait l’objet de pontes, si les œufs ont donné naissance à des juvéniles et si, en fin de reproduction, on enregistre le succès à l’envol de nouveaux adultes qui pourront assurer la reproduction future de l’espèce. C’est l’observation de ces données qui nous a fait tirer la sonnette d’alarme.

Que fait-on pour lutter contre ce phénomène, et que doit-on faire ?

Nous avons approuvé la décision prise en 2019 de définir des zones de quiétude autour des nids où des couples d’oiseaux nichent, tant que leur processus de reproduction n’est pas terminé, depuis mars jusqu’à l’envol qui a lieu fin-juillet/début-août selon les années. C’est une première mesure, qui a été bien appliquée par les bateliers et qui doit être étendue à tous les autres usagers, notamment la plaisance.

Vous effectuez une surveillance de la Réserve. Qu’avez-vous observé qu’il faut réformer ?

Nous avons en effet installé à Elbu, depuis un promontoire tel que les balbuzards les affectionnent, un dispositif de surveillance qui réalise un cliché photographique de la baie toutes les 10 minutes, ce qui nous permet, en superposant toutes les observations, de démontrer à quel point ce secteur est envahi de plaisanciers au mouillage, et qui donne une idée de l’impact sur le « cadre de vie » du rapace. Certes c’est une image cumulée de tout un été, et non une réalité quotidienne. Mais quand même !
D’autre part, les ancres provoquent des dégâts importants dans les fonds marins, au point que l’herbier d’Elbu, qui était un des plus remarquables de Méditerranée, n’est plus considéré que de qualité moyenne au plan scientifique. Cette fréquentation non maîtrisée participe aussi au dérangement des oiseaux. Il y a urgence à intervenir.
Ce dispositif nous a aussi permis de mettre en évidence que les comportements irrespectueux, par exemple des vitesses excessives, étaient encore trop fréquents. Or un bateau en pleine accélération décuple son impact, tant sur les balbuzards que sur les autres espèces, dans l’eau et sur l’eau.

Interdire le mouillage dans la réserve, y aurait-il une bonne acceptation de cette interdiction selon vous ?

J’en suis persuadé et nos observations vont dans ce sens. Sur les 11065 embarcations qui ont sillonné la baie d’Elbu entre le 4 avril et le 3 octobre 2018, seuls 1308 ont jeté l’ancre, ce qui n’est qu’un peu plus que 10 %. Le mouillage est actuellement interdit la nuit : seuls six bateaux ont enfreint cette interdiction durant tout l’été. Tout indique que cette mesure de protection est urgente et qu’elle sera bien acceptée, comme la mise en place des zones de quiétude autour des nids a été elle aussi acceptée et respectée.
Tout cela est confirmé par une enquête menée auprès des plaisanciers : 79% jugent la réglementation justifiée, et 16% la jugent même d’ores et déjà insuffisante.

Vous avez aussi travaillé sur les impacts sonores, dans l’eau et sur l’eau ?

On a d’abord cherché à savoir comment le balbuzard pouvait réagir aux impacts sonores. Pour cela, des stations d’écoute ont été installées à proximité de nids, qui nous ont permis d’enregistrer les bruits des bateaux, les voix humaines et le chant des balbuzards dont on a découvert qu’ils étaient de deux types, dont un chant de « type 1 », émis en présence des bateaux, qui semble être un chant d’alerte. Ces observations nous conduisent à recommander la poursuite et le respect des zones de quiétude.
Sous l’eau, les comptages en biomasse des populations de poissons mettent en évidence « l’effet réserve », avec trois à quatre fois plus de poissons là où la réserve est intégrale. Mais, dans cette même zone intégrale, la population de certaines espèces est plus faible en août qu’en avril. Le bruit y contribue probablement, et c’est d’autant plus regrettable que le simple fait de conduire en respectant les limitations de vitesse et en évitant les accélérations brusques limiterait beaucoup cet impact.

Propos recueillis par F.A

 

Da leghje : La lettre à la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement en Corse