Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna

Les auditions ont commencé… déconcertantes

Les auditions de la Commission d’enquête Parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna, mise en place pour tenter de faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé le 2 mars 2022 à la prison centrale d’Arles, ont commencé. Les mensonges de l’ex-directrice de la prison, ses décisions qui ont permis à Franck Elong Abé d’agir, la solidarité choquante qui s’affiche entre responsables de l’Administration pénitentiaire, le recadrage agacé du président de la Commission Jean Félix Acquaviva, suffisent à décrire la teneur de ces travaux, mais aussi et surtout confirment les fautes choquantes qui ont été commises par l’administration, avec une concordance et une simultanéité qui interrogent… Extraits.

 

 

« Je constate que les personnes l’ayant auditionnée, notamment le député Jean Félix Acquaviva, n’ont pas manqué de mentionner très clairement, expressément, la malhonnêteté intellectuelle et les mensonges, pour dire les choses comme elles sont et comme elles ont été dites » a commenté Maître Mercinier Pantalacci, avocat de la famille d’Yvan Colonna, en parlant de Madame Puglierini, directrice de la prison Centrale d’Arles, qui avait été une première fois auditionnée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, peu de temps après le drame, le 30 mars 2022. « Ce sont vraiment des mensonges et dissimulations. Madame Puglierini a fait des déclarations mensongères lorsqu’elle a été entendue par la première commission… C’est un délit… et il appartiendra aux victimes de ces mensonges, c’est-à-dire à mon sens la famille, ceux dont je suis l’avocat, de déterminer si oui ou non nous engageons une action pénale. »

 

Rappelons que Franck Elong Abé, détenu particulièrement signalé, radicalisé, a commis 29 faits de violence en prison depuis qu’il a été remis aux autorités françaises après son arrestation en territoire de guerre en Afghanistan par l’armée américaine et qu’il a obtenu sans difficulté malgré cette dangerosité avérée et toutes les procédures qui auraient dû lui en barrer la route, un travail d’auxiliaire lui permettant une certaine liberté pouvant approcher des détenus, et particulièrement Yvan Colonna, hors la présence de gardiens qui plus est, ce qui lui a permis de commettre son crime. Qu’avant cette période de radicalisé, il était un délinquant de droit commun, condamné à 9 ans de prison, avec un parcours particulier, puisqu’il a fait l’objet de deux hospitalisations psychiatriques.

« Les prisons françaises sont des lieux de non-droits… où la loi s’arrête, n’est pas respectée. Et donc quand on dirige un établissement pénitentiaire par hypothèses, au quotidien, on couvre des turpitudes, des agissements et des illégalités. C’est le quotidien des prisons françaises… » a ajouté l’avocat auprès de notre confrère Alta Frequenza. C’est pour cette raison que la façon dont Madame Puglierini est louée pour ses services et son engagement au sein de l’administration pénitentiaire, ne peut qu’interroger…

 

Jean Félix Acquaviva, président de la Commission d’enquête parlementaire, n’a pas manqué de le rappeler à Madame Puglierini : « Vous arrivez en 2015 à la Centrale d’Arles. Vous êtes saluée comme quelqu’un d’expérience et d’extrêmement rigoureux… Vous avez déjà une longue carrière d’administration pénitentiaire derrière vous… Vous avez été décorée du grade de Chevalier de la Légion d’honneur… Vous avez aussi été auditrice de l’Institut des hautes études de Défense nationale… Et ce qui frappe c’est le contraste entre cette rigueur, cette expérience, et les conclusions de l’Inspection générale de la justice suite à votre audition du 30 mars dernier… Vous avez présidé les Commissions Pluridisciplinaires Uniques Dangerosité qui, à quatre reprises, entre février 2020 et le 24 janvier 2022, ont à l’unanimité, dans des termes qui interpellent concernant l’analyse d’Elong Abé ; notamment celle de février 2020, qui est celle deux mois avant sa sortie d’isolement, puisqu’on parle de quelqu’un qui veut mourir dans le Jihad et qui veut être grand par l’Islam…

Systématiquement, ce qui était souligné comme un rare cas, voire un cas unique par une de vos adjointes, vous allez contre les décisions unanimes de recommandations en Quartier d’Évaluation de la Radicalisation de Franck Elong Abé. Vous ne transmettez pas les comptes-rendus à votre hiérarchie de ces commissions pluridisciplinaires uniques. La seule qui a été transmise ce n’était pas de votre fait, je cite toujours le rapport de l’Inspection générale de la justice… »

Et Jean Félix Acquaviva de poursuivre le réquisitoire : « Pire encore, vous omettez de nous dire en Commission des lois, en audition libre, l’ensemble des incidents avec sanctions disciplinaires de Franck Elong Abé… Puisque vous nous avez présenté quelqu’un qui allait bien et qui était courtois, qui discutait avec le personnel, ce qui a justifié par paliers le passage de l’isolement, au quartier d’insertion, puis en détention ordinaire le 6 février 2021. Or, en même temps, je rappelle par exemple qu’on nous avait dit qu’il avait abandonné l’activité jardin et espaces verts parce qu’il était trop absent et parce qu’il a reconnu que, je vous cite, cela ne lui convenait pas. Or, s’il l’a abandonné c’est parce qu’il y a eu un incident puisqu’il a frappé un détenu. On l’a su après. Ce n’est pas ce que vous nous avez dit en commission. Donc tout cela renvoie à Pourquoi ? Pourquoi n’avez-vous pas suivi les avis unanimes des CPU ? Pourquoi vous n’avez pas transmis ces avis à votre autorité ?… Lorsque cette question vous a été posée par l’Inspection générale de la justice. Celle-ci dit, je cite, que… vous ne donnez pas d’explications de vos motivations… Pourquoi vous nous avez masqué cela en commission des lois ?… Pourquoi vous nous avez masqué ces incidents, dont le dernier je le rappelle, précède de trois semaines le fait que vous puissiez lui permettre d’être auxiliaire, donc rémunéré ? Le 12 septembre il est sanctionné, le 28 septembre il est auxiliaire ! »

Jean Félix Acquaviva interroge aussi : « Est-ce que tout cela est le fait de votre seule gestion ? Avez-vous eu des instructions de l’Administration pénitentiaire et/ou politiques pour avoir une gestion particulière de Franck Elong Abé ? » Et il pose la même question concernant Yvan Colonna. D’autres députés, dont le rapporteur, Laurent Marcangeli, interrogent dans le même sens, cachant difficilement leur malaise…

 

Les réponses de Madame Puglierini ne satisfont pas. Rappelons que, contrairement à sa précédente audition, elle a prêté serment devant la commission d’enquête, ce qui engage des poursuites en cas de mensonges ou de fausses déclarations. Concernant d’éventuelles instructions particulières de sa hiérarchie, elle répond : « Non, je n’ai eu aucune instruction particulière ni pour une de ces deux personnes détenues ni pour aucune autre. » Elle se perd ensuite dans des explications, des rappels, visiblement embarrassée, confuse et fouillant dans ses notes. Elle finit par dire : « Au niveau des préconisations, je me suis convaincue à tort d’attendre plutôt la fin de peine pour solliciter effectivement son orientation au QER, puisque les avis étaient de ce point de vue-là partagés au niveau de la CPU sur la nécessité de l’orienter pour préparer aussi sa sortie puisqu’il était libérable en moins de deux ans. Je dois dire aussi que les objectifs du QER, je l’ai dit précédemment à l’audition, c’était non seulement de pouvoir orienter les personnes détenues qui ont le profil de radicalisés. Lui, sa radicalisation ne fait pas débat, c’était le cas. Et donc comme on avait mis ce suivi en place, je ne suis pas allée plus loin à tort… En arrivant il a été directement à l’isolement. On a demandé une prolongation. Et c’est ensuite après qu’on a demandé une levée de l’isolement. En appuyant nos rapports, suivi par la direction interrégionale, et puis donc par la DAP. Cette demande de levée de l’isolement n’a pas généré non plus au niveau supérieur de demande d’affectation au QER… Et quand on a travaillé sur les demandes de travail, de la même manière, s’agissant d’un DPS, bien sûr la direction interrégionale était informée sans qu’il y ait eu d’obstacles à ce que M. Elong Abé obtienne satisfaction sur une demande de travail. »

On reste sans voix. D’autant que lors de de l’audition suivante, Laurent Ridel, directeur de l’Administration pénitentiaire, a défendu et loué à nouveau les mérites de celle-ci… « Madame Puglierini est une directrice expérimentée qui a fait l’objet d’appréciations extrêmement satisfaisantes, qu’elle a dirigé à ma connaissance de façon tout aussi satisfaisantes un certain nombre d’établissements. Je veux rappeler l’extrême difficulté de ce métier… C’est une directrice qui est une bonne directrice » a dit Laurent Ridel.

 

Jean Félix Acquaviva s’agace face à ces « louanges », « la solidarité de corps elle explose devant les éléments factuels » a-t-il rétorqué. Même chose concernant la différence de traitement entre Franck Elong Abé malgré ses violences et celui appliqué à Yvan Colonna malgré son bon comportement en prison. Laurent Ridel s’est défendu de faire du « corporatisme », et insiste : « à aucun moment concernant Elong Abé un signal d’alerte n’avait été émis » alors que le dossier de ce dernier regorge de ces alertes.

Aucun service à différents niveaux n’est intervenu, malgré notamment l’existence d’un Service national du renseignement pénitentiaire, pourvu de moyens conséquents, composé de 330 agents, « membre de la communauté nationale du renseignement » a précisé sur une question de la commission, Laurent Ridel. « Le premier cercle » de ce service disposant d’« un champ de compétences le plus élargi possible et qui ont des techniques d’investigation les plus poussées. Il s’agit du renseignement militaire, de la DGSI, de la DGSE. Et nous avons un second cercle qui fait partie de la communauté du renseignement et qui entretient des relations avec l’ensemble des services du renseignement, premier et second cercle, mais qui a un champ de compétences plus limité et qui a parfois des conditions plus restrictives de mise en œuvre des techniques du renseignement, il y a le service national du renseignement pénitentiaire, il y a aussi le renseignement territorial, le renseignement de la préfecture de Police, un certain nombre d’organismes de ce type. » On a du mal à croire qu’avec de telles coopérations, un profil potentiellement meurtrier comme celui de Franck Elong Abé ait pu échapper à la vigilance d’État et laissé seul en présence d’un autre détenu classé DPS !

Toutes les demandes de précision de la part de la commission, reçoivent les mêmes réponses, « aucun indicateur », « aucun élément », « pas de signes avant-coureurs » pouvant alerter…

 

La première semaine d’auditions, bien plus denses évidemment et nombreuses*, révèle déjà de nombreuses zones d’ombres. Comment ne pas penser que les incohérences, les mensonges, l’invocation des limites humaines… pourraient ouvrir autant d’espaces à d’éventuelles manipulations, incitations, consignes ?

Les auditions se poursuivent cette semaine. •

F.G.

 

* A été également auditionné Marc Ollier, successeur de Mme Puglierini, qui a pris ses fonctions à la Centrale d’Arles quelques jours avant l’agression sauvage qui a coûté la vie à Yvan Colonna.

Pour visionner ces auditions :
– Ollier et Mme Puglierini : https://bit.ly/3HcY0R2
– Ridel :
https://bit.ly/3knlqtS