Gilles Simeoni

« Il ne peut pas y avoir d’autres chemins que celui de la démocratie »

Gilles Simeoni était l’invité de 20 minuti sur RCFM ce lundi 14 octobre. Voici les principaux extraits de cette interview, réalisée par Patrick Vinciguerra, qui a fait le tour de l’actualité avec le Président de l’Exécutif de Corse.

 

Gilles Simeoni :

D’abord, un mot de solidarité avec les Catalans condamnés à de très lourdes peines de prison. Cette condamnation est une honte pour l’Espagne. Jusqu’à 13 ans de prison pour avoir organisé un référendum – fut-il illégal – c’est un véritable scandale. C’est une régression pour l’Espagne, c’est une régression pour la France qui a cautionné ce procès, et c’est une régression pour l’Europe qui ne l’a pas dénoncé.

 

Dix homicides depuis le début de l’année, des incendies à répétition… la création de deux collectifs antimafia, un nouveau FLNC… Vous avez affirmé que le seul chemin pour la Corse est celui de la démocratie réelle, sous-entendez-vous qu’il y a un risque de sortir de ce chemin ?

Plus que jamais, avec une conviction inébranlable, je dis et je répète qu’il ne peut pas y avoir d’autres chemins que celui de la démocratie, comme méthode et comme objectif… C’est un message qui va vers ceux qui ne respectent pas la démocratie. Ceux qui incendient, ceux qui menacent, ceux qui assassinent. Il y a toujours eu des forces occultes ou criminelles dans toutes les sociétés.

L’important c’est qu’elles restent à la marge, et qu’elles n’en deviennent jamais le centre. Si aujourd’hui cette tendance devait exister en Corse, alors oui il faudrait que l’État qui a les compétences régaliennes, les exercent pleinement et de façon loyale. Ceci, pendant des décennies, n’a pas été le cas… Justice et police ont souvent été instrumentalisées, uniquement déployées contre les nationalistes, quelquefois même avec des manipulations barbouzardes. Et puis il y a la responsabilité de la société corse.

Elle doit secréter ses propres anticorps qui vont permettre de lutter sur le court, moyen et long terme. C’est un chemin qui est long, qui est difficile, mais il ne peut pas s’accommoder de réactions qui soient, de légitime défense ou de retour à la clandestinité. Je le dis avec une force absolue notamment vis-à-vis de la jeunesse. Celles et ceux qui croient, qui font semblant de croire, qui laissent croire, qu’il peut y avoir un chemin d’espoir dans le recours à la violence, fut-elle présentée comme défensive, ou dans le recours à la clandestinité, sont des gens qui n’ont pas compris, qui ne veulent pas comprendre les terribles leçons que nous infligées les décennies passées.

Je dis à tous les Corses, mais particulièrement aux jeunes, il ne peut pas y avoir d’autres chemins que celui de la démocratie. Ce qui ne veut pas dire le renoncement, et j’ai entendu Paul Félix Benedetti citer Gandhi de façon incomplète, «entre la lâcheté et la violence, je choisis la violence ». Sauf que Gandhi disait «s’il n’y avait que deux choix, entre la lâcheté et la violence, je choisirais la violence ». Or il y a un autre choix, c’est celui du courage. Le courage de la paix, le courage de la démocratie, le courage de dire non aux forces criminelles ou mafieuses, et le courage de proposer aux Corses et notamment à la jeunesse un chemin qui soit celui de la démocratie, de la liberté, de l’émancipation, de l’espoir et de la vie.

 

Vous présidez la Collectivité de Corse, principal donneur d’ordres en Corse, avec parfois des marchés de plusieurs dizaines de millions d’euros, qui forcément aiguisent des appétits, subissez-vous des pressions ?

Tout donneur d’ordre, aujourd’hui en Corse, peut subir ou subit des démarches qui peuvent aller de la sollicitation plus ou moins amicale, à la pression explicite. Il faut répondre à cela par une logique totalement vertueuse.

C’est-à-dire fixer des règles, les faire appliquer, veiller à ce que, en permanence, les instructions que l’on donne en la matière soient strictement respectées et, puis ensuite, que la police et la justice fassent leur travail.

À ce jour, je n’ai eu ni pression ni menace, si je devais en recevoir j’y ferai face avec la sérénité que confère la certitude d’être sur le chemin de l’honnêteté, que m’ont demandé de prendre et de suivre les Corses à travers leurs votes et le suffrage universel.

 

Vous avez annoncé une session de l’Assemblée de Corse consacrée à la violence, elle aura lieu quand ?

Dans les toutes prochaines semaines. Il est important que cette session soit utile et efficace. Qu’elle serve à autre chose qu’uniquement des constats qui ont depuis longtemps été faits, ou à des déclarations de principe. C’est la raison pour laquelle elle doit être préparée en concertation étroite avec les collectivités, et élargie à l’ensemble des forces politiques, y compris celles qui ne sont pas représentées au sein de l’Assemblée de Corse, et à l’ensemble des forces vives de ce peuple.

 

Autre dossier brûlant, les déchets.

La préfète de Région dans un courrier vous demandait de trouver des solutions rapidement pour éviter une crise sanitaire et environnementale majeure. Le ton était plutôt comminatoire, mais sur le fond n’a-t-elle pas raison ?

Nous avons tous raison de dire que la situation actuelle est grave et peut devenir rapidement une situation de crise majeure Il faut trouver ensemble des solutions efficaces. Ce constat étant posé, vous avez relevé que je me suis abstenu de réagir à chaud au courrier abondamment diffusé de madame la préfète. En premier lieu, sur la forme, cette façon de procéder n’est pas normale.

Lorsqu’on écrit à un interlocuteur, on ne distribue pas la lettre. Et je pense qu’on voulait qu’elle fuite du côté de la rédactrice. Deuxièmement c’est une lettre qui est mal dirigée, la préfète s’adresse au président du Conseil Exécutif, comme si c’était à lui d’organiser la collecte ou le traitement de déchets.

Je ne cherche pas à dédouaner la Collectivité de Corse, le problème des déchets, on en sortira tous ensemble, ou on en pâtira tous. Mais, si demain il y a des difficultés de collecte, ce n’est pas de la compétence de la Collectivité. En revanche, notre responsabilité c’est d’aider les intercommunalités. Si le Syvadec a une difficulté pour trouver des sites, ce n’est pas notre compétence mais, on va aider le Syvadec parce qu’on en a tous besoin. Nous avons élaboré un plan avec lequel tout le monde est d’accord, y compris la préfète, les intercommunalités, et le Syvadec…

 

Un plan qui, depuis 2016, n’a pas avancé d’un pouce…

Il a avancé de façon significative, notamment sur le tri. Je vous rappelle que, y compris de façon très pragmatique, j’ai proposé, pour le compte du Conseil Exécutif, d’envisager un scenario qui n’était pas celui privilégié, notamment par le Syvadec. J’ai proposé, d’aller vers des centres de stockage de dimension plus réduite à l’échelle de quelques territoires…

Pour l’instant, malheureusement, il n’y a pas de retours. Pour autant, faut-il changer de cheval au milieu de la course, ce que s’apprête à faire la préfète ? Moi, je dis non.

Je le dis encore une fois très clairement… la gestion des déchets en Corse doit relever de la maîtrise de la puissance publique. À un moment où l’on s’interroge sur les flux d’argent, sur les situations de monopoles, sur les équilibres à trouver, notamment dans la gestion des déchets en Corse et ailleurs, il faut la maîtrise publique. Parce que nous sommes une île et que nous ne pouvons pas nous remettre entre les mains d’un, deux ou trois opérateurs privés…

 

Pas de Ghjuncaghju, pas de Vighjaneddu2, comment convaincre d’autres de dire oui, je pense notamment à Moltifau ?

Nous avons un plan qui est très clair.

S’il faut le renforcer, s’il faut mettre d’autres moyens, ce seront les objectifs de la réunion que je compte solliciter avec toutes les parties prenantes. Nous disons il faut limiter l’entrée des déchets en Corse. Économie circulaire, proposition de loi qui sera portée par nos trois députés et j’espère le quatrième, Jean- Jacques Ferrrara. Deuxièmement il faut un tri généralisé et nous allons aider les intercommunalités parce que nous savons leurs difficultés. Troisièmement des usines de sur-tri. Quatrièmement du stockage, il faut que ce soit la puissance publique, à l’échelle que nous déciderons. Si nous ne le faisons pas, c’est la porte ouverte pour la gestion par des intérêts privés, antagoniques ou qui peuvent devenir antagoniques, de l’intérêt général et de la vision stratégique que nous portons. Donc il faut se mobiliser, et ce n’est pas à travers des petits coups bas ou des calculs d’apothicaires – confer les lettres qui fuitent ou renvoyer la responsabilité vers la Collectivité de Corse, y compris lorsque cela n’est pas de son fait – qu’on y parviendra.

Nous restons déterminés à agir, à avancer, avec tout le monde, en ayant conscience que c’est un problème extrêmement difficile, qui n’a jamais été solutionné en 40 ans. Depuis quatre ans nous y travaillons et nous avons des perspectives de sortie.

 

Un nouveau PLU est passé à la trappe la semaine dernière, celui de Prupià et partiellement celui de Siscu, suite à un recours d’U Levante, que répondez-vous à Michèle Salotti qui en quelques sorte vous accuse de complicité passive ?

J’ai beaucoup d’amitié pour Michèle Salotti à titre personnel et beaucoup de respect pour le travail considérable qui est mené par elle et par son association.

Ceci étant, je le dis et le répète. Ils sont dans une logique associative, nous sommes dans une logique institution nelle. Beaucoup de maires nous reprochent d’être trop exigeants, d’être trop durs avec leur projet de PLU et leur vision de l’aménagement du territoire.

Nous essayons de défendre l’intérêt général.

 

Certes, mais vous pouvez vous constituer partie civile et ne pas leur laisser le sentiment d’être abandonnés en rase campagne. U Levante est seul à subir la pression…

U Levante n’est pas abandonné en rase campagne. U Levante ne subit pas seul la pression, nous avons toujours été aux côtés de cette association comme des autres et nous continuerons à l’être, et notamment lorsqu’il y a des pressions.

Nous étions au tribunal pour le Misincu, ce qui est une première pour une Collectivité, et je n’exclus pas de l’être, y compris dans des cas, ou des infractions ou des manquements à la règle, notamment au Padduc, seraient caractérisés.

Mais une fois encore, je ne veux pas me laisser attraire dans un jeu institutionnel qui n’est pas celui qui est actuellement organisé par la loi. Le contrôle de légalité c’est l’État. Si l’État n’exerce pas le contrôle de légalité, il est défaillant. Si l’État souhaite, comme nous le souhaitons, que nous puissions exercer le contrôle de légalité, on change la loi et on nous donne les moyens d’exercer le contrôle de légalité.

 

La rumeur vous annonce en bonne place sur la liste que conduira sans doute Pierre Savelli à Bastia, vous confirmez ?

Je pense qu’à Bastia comme ailleurs l’heure n’est pas venue à composer les listes. L’heure est aux projets… Je me consacre tout entièrement à la défense de l’intérêt général. Lorsque viennent les dossiers de Bastia à la Collectivité de Corse, je les regarde avec attention, mais je traite Bastia comme je traite toutes les communes et toutes les régions de Corse… Si je devais être présent sur une liste à Bastia, ce serait une manifestation de mon attachement pour cette ville… À Bastia comme ailleurs, il faut construire des démarches qui soient articulées avec nos fondamentaux, des démarches de respiration démocratique, qui fassent converger des forces de femmes et d’hommes autour d’une logique de projet. Ce que l’on a commencé à faire il y a 10 ans, à l’époque dans l’opposition… plus que jamais c’est ce cap-là qui est le bon.

 

Toujours à Bastia, Corsica Lìbera a une nouvelle fois appelé à l’union, avec des mots assez durs à l’encontre de Femu…?

La situation de la Corse de façon générale, et a fortiori depuis quelques semaines, est compliquée. Elle peut même devenir de plus en plus grave, et notre responsabilité de citoyens, de militants, mais également de responsables aujourd’hui en charge de conduire les affaires et les décisions de la Corse, nous impose de garder la lucidité… Cette conférence de presse avait un ton très dur, des critiques très fortes, notamment contre le discours de Lupinu. Dans le discours de Lupinu, je n’ai fait que répéter, avec sincérité et sérénité, ce que nous avons dit aux Corses en 2015, qui les a conduits à nous mettre en situation de responsabilité. Et ce que nous leur avons répété ensemble en 2017. Ce qui les a conduits à renforcer leur confiance. À savoir que nous étions fidèles au fil historique du combat qui est le nôtre pour la défense de ce peuple.

Mais qu’en même temps, cette Corse que nous voulons, nous allons la construire avec tous les Corses qui ont envie d’avancer. Je reste persuadé que c’est ce chemin qu’il faut continuer à prendre.

Si mes partenaires considèrent que ceci est un reniement. Je leur laisse la responsabilité de cette critique. Je considère que c’est l’exacte continuation et l’exacte mise en application des engagements que nous avons pris entre nous et devant les Corses.

 

L’absence d’union qui se profile pourrait-elle altérer les relations au sein de la majorité territoriale ?

Il y a un certain nombre de difficultés aujourd’hui, les Corses le savent. Je suis président du Conseil Exécutif. J’ai conduit la liste que nous avons constituée ensemble. Au nom de cette liste, j’ai pris des engagements. Les Corses nous ont fait confiance. Nous devons donner des signes qui permettent aux Corses d’être certains qu’ils ont eu raison de nous faire confiance.

 

Quel regard portez-vous sur la situation à Portivechju où Jean Christophe Angelini du PNC et Corsica Lìbera… discutent apparemment avec la majorité sortante de Georges Mela ?

Premièrement, je n’ai pas été associé à cette décision et à ces discussions. Je ne sais pas ce qu’est leur contenu, je ne vais donc pas me prononcer sur le fond.

Deuxièmement, si j’étais taquin, je dirais que d’un côté on me reproche de ne pas être suffisamment fidèle aux fondamentaux, et de l’autre on envisage de façon apparemment surprenante une union au premier tour avec Georges Mela. Troisièmement avec tout le respect que j’ai pour Georges Mela, je ne me prononcerais pas à ce stade, mais je pense qu’il faut construire des démarches larges, certainement, essayer de les construire à partir des partenaires de la majorité territoriale, en élargissant beaucoup, et en essayant d’être dans une cohérence d’ensemble.