Massimu Susini

Non aux dérives mafieuses

800 personnes étaient rassemblées ce 29 septembre à l’Università di Corti pour rendre un nouvel hommage à Massimu Susini.

 

 «Assassiné par la mafia » a dénoncé son oncle, Jean Toussaint Plasenzotti. Et le mode opératoire le confirme. Cachés dans les buissons, ses agresseurs, qui ont tiré aux moyens d’une arme lourde, ne lui ont laissé aucune chance. L’acte crapuleux ne fait aucun doute par sa préméditation.

Comme ne fait aucun doute l’engagement sincère au service du peuple corse du militant de 36 ans. Et donc la volonté de terroriser au-delà de la victime toute la société.

Après un hommage solennel empreint d’émotion sur le parvis de l’Université où ses camarades ont chanté Vengu versu tè, les participants ont rempli l’amphithéâtre Landry où Core in Fronte y avait conviés très largement. Absence décevante des partis ou syndicats traditionnels alors que ce débat ne concerne pas que les seuls nationalistes.

Par contre, tous les partis ou syndicats nationalistes étaient représentés. De mêmes des associations de défense de l’environnement étaient là. Et, parmi les militants, de nombreux élus, les deux présidents et le député européen étant excusés, parce qu’à l’étranger.

 

Paul Félix Benedetti introduisait ce débat difficile avec beaucoup de dignité. Douleur, émotion et colère contenues dans la voix, il a appelé au sursaut nécessaire, en présence de François Susini, père de Maxime. De nombreux intervenants se sont succédés ensuite, avec autant d’émotion, mais aussi des éclats de voix, ou des discours culpabilisateurs.

On peut regretter que ce débat n’ait pas été suffisamment posé pour être plus constructif. Mais le pouvait-il compte tenu de ce qui le provoque ? La mort d’un homme. Le pouvait-il aussi compte tenu des déceptions au sein du mouvement national ? Tout, trop, en effet, est attendu de la majorité territoriale; comme si des décennies d’errements et de clanisme, d’absence d’État de droit, de déni de nos revendications historiques, de non ou de mal développement, du choix du tout-tourisme spéculatif, destructeur de l’environnement et consommateur d’espaces, du poids du capitalisme dans une île très convoitée, de complicités voire de déviances des services de l’État jusqu’aux actions barbouzardes récurrentes, de non réaction face à l’installation d’économies parallèles, d’impunité quasi totale sur la grande criminalité, la drogue, les assassinats, permettant à la pieuvre de se développer sans entraves, d’une part, à une partie de la jeunesse de se laisser séduire par ce mythe ravageur d’autre part… comme si tout cela pouvait donc, se dépasser en quelques années du fait de l’arrivée des nationalistes aux responsabilités au sein d’une institution qui plus est sans pouvoir réel que ceux de la simple gestion administrative et budgétaire !

 

Le mal vient de loin, il est structurel, il est récurrent, car malheureusement Massimu Susini n’est pas le premier militant assassiné, et « il y en aura d’autres » ont prédit certains. Et ce débat n’est pas non plus le premier. « Il y en a eu d’autres. » Les meurtres de Robert Sozzi et Franck Muzi et les heures sombres qui ont suivi ont été rappelés.

Bref, pour en sortir, il faut comprendre que « chacun détient une part de vérité ».

Bien sûr il y a des coupables, bien sûr il y a des responsables, mais c’est aussi collectivement que le peuple corse s’est enlisé dans ce piège sans vraiment réagir, ou insuffisamment. Tous ne sont pas prêts à l’entendre ou à en convenir.

Et pourtant, qui a réagi en son temps ?

Qui a porté les premières alarmes, sans être entendu ? Souvent les mêmes qui sont invectivés aujourd’hui. « La mémoire est courte » a dit un intervenant, rappelant la faculté qu’a eu le nationalisme, pourtant extrêmement éprouvé par les deuils, à se réunir et à signer les accords de Migliacciaru. Mais qui était présent à l’anniversaire pour acter de nouveau l’impérieuse nécessité de vigilance ?

 

Il faut une riposte démocratique salutaire collective pour enrayer ou freiner le phénomène de dérive mafieuse. Il ne sert à rien de rechercher le coupable parmi ceux qui appellent au sursaut.

« Ce ne sont pas les hommes, c’est le système qui est responsable » ont dit plusieurs intervenants. Il faut donc s’attacher à identifier pour démonter les mécanismes qui nous enferrent dans cette situation mortifère.

Il faut une responsabilisation collective.

 

Parmi quelques propositions faites par la salle : être aux côtés des victimes et de leur famille. Ne plus servir ou consommer auprès d’entreprises identifiées comme « à problème ». Suspendre la possibilité de délivrer des permis de construire aux communes qui cèdent aux pressions spéculatives. Créer un Collectif anti-Mafia, Massimu Susini à Carghjese (d’autres ayant demandé à ce que les différentes initiatives de collectifs convergent et non pas divergent).

Ne pas fréquenter des mafieux, même si la Corse est une terre de proximité.

Combattre donc toute tentation de « porosité », notamment pour les élus.

Porter plainte par l’Exécutif territorial aux côtés des associations de défense de l’environnement lorsque la loi Littoral est bafouée. Demander l’introduction dans la loi d’un « délit d’association mafieuse ». Agir ensemble pour défendre et bâtir « la démocratie réelle », etc. « La peur doit changer de camp. » Le malaise en tout cas doit s’emparer de ceux qui imposent leurs vils intérêts au détriment de l’intérêt collectif, et ne reculent devant aucun moyen pour le faire.

Pour cela, pour éviter les collusions avec le monde économique ou politique qui fait d’une criminalité, une dérive mafieuse, il est important de veiller au respect, en toutes circonstances, de la démocratie. « Nous devons être intransigeants avec nous-mêmes » disait Edmond Simeoni. Cette intransigeance sur le respect du bon fonctionnement démocratique de notre société, donc de ses règles en tout domaine, est une des clés pour lutter contre l’emprise mafieuse.

D’autres débats suivront, notamment au sein de l’Assemblée de Corse. Nous y reviendrons.

Fabiana Giovannini.