Levée de l’immunité parlementaire des élus catalans à Bruxelles

La raison d’État contre la liberté des élus

Manifestation de soutien aux élus catalans prisonniers.
L’immunité parlementaire est un outil juridique qui assure la liberté politique de ceux que le suffrage universel a porté aux responsabilités. Ne pouvant être poursuivis dès l’instant qu’ils agissent dans le cadre de leurs mandats, les parlementaires européens sont ainsi protégés des pressions politiques et peuvent siéger en toute liberté. Le vote qui s’annonce à propos de Carles Puigdemont, Toni Comìn et Clara Ponsatì sera donc lourd de conséquences: le forcing de l’Espagne, largement soutenue par d’autres États, notamment la France, peut créer un précédent qui fragiliserait durablement la démocratie européenne.

 

Qu’on ne se méprenne pas: l’immunité parlementaire d’un élu ne le place pas au-dessus des lois. Le plus souvent la levée de cette immunité parlementaire est accordée sans restriction par le Parlement Européen, étant entendu que l’élu continue à siéger tant que la justice devant laquelle il est appelé à comparaître ne l’a pas définitivement condamné.

Les délits de droit commun le plus souvent en cause sont des faits d’abus dans l’usage des fonds publics, ou des comportements de harcèlement, etc. Le Parlement accepte alors que cette immunité parlementaire ne soit pas opposée contre le cours de la justice, et il en vote la levée.

 

L’incrimination pour des actes strictement politiques est rarissime. Le cas le plus récent est celui d’un député grec de l’Aube Dorée, mouvement fasciste dont il était un des dirigeants directement mis en cause pour avoir été à l’origine de l’assassinat d’un chanteur. Il est désormais devant les tribunaux grecs.

S’il acceptait la demande espagnole à propos des trois élus catalans poursuivis pour avoir organisé, dans le cadre de leurs mandats électifs, le referendum d’autodétermination du 1er octobre 2017, le Parlement Européen créerait un précédent. En effet, l’Espagne voit un «crime de sédition» là où les démocrates européens et le peuple catalan, qui vient de le confirmer par son dernier vote, voient un acte hautement démocratique.

La preuve est apportée désormais, par la condamnation à treize années de prison d’Oriol Junqueras et de ses compagnons, que ceux qui seraient privés de la protection de leurs mandats sont promis à des peines de prison «à la turque», probablement 15 à 20 ans de prison pour Carles Puigdemont, ce qui est sans commune mesure avec aucune autre situation en Europe, pas même en Hongrie souvent montrée du doigt.

 

Au-delà de la Catalogne, c’est toute l’Europe qui sera impactée par la décision prise le lundi 8 mars. Car l’avenir est incertain, et l’arrivée au pouvoir de dirigeants anti-démocratiques à la tête de certains États est tout à fait possible, à commencer par la France où Marine Le Pen est une prétendante crédible à la succession d’Emmanuel Macron. Si tel était le cas, un député nationaliste corse pourra-t-il encore être élu et siéger librement au Parlement Européen? Ou bien, au nom de la «jurisprudence Puigdemont» sera-t-il illico presto privé de sa protection d’élu européen?

Dans un silence savamment orchestré par les gouvernements et les médias, le vote du Parlement Européen à propos des élus catalans aura lieu dans une relative discrétion la semaine prochaine. En commission compétente (la Commission des Affaires Juridiques) le vote a été de 15 pour, 8 contre et deux abstentions. Ce vote indique une tendance négative, même si les soutiens de l’Espagne sont loin d’avoir fait le plein qu’ils espéraient, malgré la surreprésentation de leurs représentants dans cette commission.

La campagne bat son plein dans les couloirs du Parlement Européen. S’il opposait un refus à l’Espagne, son vote aurait alors un retentissement considérable. •

F.A.