Catalogne, Conseil de l’Europe

Prisonniers catalans libérés, Espagne condamnée

Concernant la Catalogne, deux dates resteront dans les mémoires en cette fin juin 2021.
Le 21 juin, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une résolution visant la Turquie et l’Espagne à propos de poursuites judiciaires contre des « responsables politiques pour des déclarations faites dans l’exercice de leur mandat ». Le 23 juin, Oriol Junqueras, Raul Romeva, Jordi Turull, Josep Rull, Carmè Forcadell, Dolors Bassa, Jordi Cuixart, Jordi Sanchez et Joaquim Forn ont été libérés de prison après trois ans et demi passés en détention, alors que leurs condamnations s’étalaient entre 9 et 13 ans de prison.

 

Ce n’est pas fortuit si le Conseil de l’Europe a dénoncé simultanément dans sa résolution 2381 la Turquie et l’Espagne. Tout d’abord les quantums de peines attribués à des opposants politiques poursuivis pour leur action politique (en l’occurrence la défense du peuple kurde en Turquie et la défense du peuple catalan en Espagne) sont similaires : plus de dix ans de prison dans les deux cas contre les principaux inculpés. Nulle part ailleurs en Europe de telles peines sont prononcées, pas même en Russie où Navalny a été condamné arbitrairement à deux ans et demi de prison par les tribunaux de Vladimir Poutine.

Ainsi, le 21 juin 2021, la Résolution 2381 du Conseil de l’Europe invite les autorités espagnoles :

– « à réformer les dispositions pénales relatives à la rébellion et à la sédition de manière à ce qu’elles ne puissent pas donner lieu à (…) des sanctions disproportionnées pour des infractions non-violentes » ;

– « à envisager de gracier, ou de libérer par toute autre manière, les responsables politiques catalans condamnés pour leur rôle dans l’organisation du referendum anticonstitutionnel d’octobre 2017 et des manifestations pacifiques de grande envergure qui l’ont accompagné, et envisager de mettre un terme aux procédures d’extradition des responsables politiques catalans vivant à l’étranger recherchés pour les mêmes motifs » ;

– « à abandonner les poursuites encore en cours également à l’encontre de fonctionnaires de rang inférieur (…) ;

– « à s’abstenir d’exiger des responsables politiques catalans détenus qu’ils renient leurs opinions politiques profondes en échange d’un régime carcéral plus favorable ou de la possibilité d’être graciés » ;

– « à entamer un dialogue ouvert et constructif avec l’ensemble des forces politiques de Catalogne ».

Le 23 juin 2021, malgré l’opposition farouche de la droite et de l’extrême droite espagnoles, Pedro Sanchez a pris enfin la décision de gracier les détenus politiques catalans pour qu’ils quittent définitivement la prison. Sa décision a fait suite à la résolution adoptée par le Conseil de l’Europe, et l’État espagnol sera obligé de renoncer à la demande de « repentance » exigée par le système judiciaire.

Autre extrait de la résolution sur la Catalogne, dans un considérant :

« Les dispositions pénales relatives à la rébellion et à la sédition (…) ont été adoptées en réponse aux fréquentes tentatives de prise de pouvoir par l’armée dans le passé. Leur application aux organisateurs de manifestations pacifiques a donc suscité des interrogations. De nouvelles interprétations ont ainsi été nécessaires, comme celle de la notion de « violence sans violence » élaborée par le ministère public, en vertu de laquelle le nombre même des manifestants exerçait une pression psychologique sur les policiers qui y étaient confrontés. »

Cette résolution « ébouriffante » a été votée par 70 voix pour, 28 contre et 12 abstentions. 120 membres sur 324 étaient présents. Les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sont désignés par les parlements nationaux des 47 États membres, à savoir les 27 de l’UE, le Royaume Uni, plusieurs micro-Etats de l’Europe (Monaco, Liechtenstein, San Marino, Andorre), les Etats d’Europe hors UE comme la Norvège, l’Islande, la Suisse ainsi que la Russie, l’Ukraine, la Serbie, la Macédoine, l’Albanie, la Bosnie, le Monténégro, la Moldavie, et aussi les Etats au sud du Caucase comme la Turquie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Chaque Etat dispose d’un nombre de représentants qui varie selon sa taille : dix-huit pour l’Allemagne, la France ou la Turquie, deux pour Andorre ou Monaco.

Dès lors il est intéressant de détailler le vote, sur ce rapport présenté par un représentant d’Andorre. Seulement deux allemands étaient présents sur 18 (2 votes pour), et quatre français sur 18 (4 pour). Mais il est surtout intéressant de relever les 28 votes contre :

– 9 espagnols sur les 11 présents (sur 12)
– 6 azéris sur 6
– 9 turcs sur les 10 présents (sur 18)
– 1 italienne de Fratelli d’Italia (extrême droite)
– 1 serbe (sur 3)
– 1 finlandais (extrême droite)
– 1 roumaine (extrême droite)
– 1 Royaume Uni

Soit un cocktail Espagne/Turquie/Azerbaïdjan/Extrême Droite. Il n’y manque que Manuel Valls ! •

François Alfonsi.

 

 

Résolution 2381 à propos de la Turquie (extraits)

L’Assemblée invite les autorités turques :
– « à libérer de toute urgence Selahattin Demirtas, exécutant ainsi l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la décision du Comité des Ministres » ;
– « à réexaminer toutes les affaires de responsables politiques ou même condamnés en raison de déclarations faites dans l’exercice de leurs mandats politiques (…) » ;
– « à s’abstenir de poursuivre systématiquement les responsables politiques pour des infractions liées au terrorisme dès lors qu’ils mentionnent le peuple kurde ou la région kurde en soi ou qu’ils critiquent l’action des forces de sécurité dans cette région » ;
– à reconnaître comme élus les six candidats maires qui ont obtenu le plus grand nombre de voix (…) mais qui se sont vus refuser le mandat de maire, et réintégrer trois maires qui ont été suspendus. » •

 

Téléchargez la résolution du Conseil de l’Europe.