I messaghji d’Edmond Simeoni

Démission

Le 6 mai 1994, Edmond Simeoni décidait, « en son âme et conscience » de démissionner de son mandat à l’Assemblée de Corse. Une décision qui suivait l’assassinat de Robert Sozzi en juin 1993, et sa revendication par le FLNC Canal Historique lors des Ghjurnate Internaziunale en août de la même année, et qu’il avait fermement condamné.
En mettant fin à son mandat quelques mois plus tard, il témoignait de la profondeur et de l’honnêteté de son engagement. Extraits.

 

 

« Par un long et inexorable processus de dégradation, la Corse a glissé dans le gouffre et chacun a sa propre version des responsabilités qui, et c’est remarquable, sont toujours celles des autres et jamais les siennes propres.

Après avoir créé Corsica Nazione d’autres partenaires et moi-même avons, au mois de mars 1992, pris des engagements publics devant le peuple, avalisés ensuite par 22.000 électeurs. Aujourd’hui, je ne suis plus en mesure de les respecter ; aussi, l’honnêteté la plus élémentaire, la nécessité impérieuse d’une clarification et le devoir m’imposent, après une réflexion largement partagée et longuement murie depuis plus d’un an, de démissionner de Corsica Nazione et, logiquement du mandat de Conseiller territorial.

Le travail effectué à l’Assemblée de Corse pendant deux ans par notre groupe – fraternel, solidaire et compétent – avec le concours efficace des mouvements parties prenantes de Corsica Nazione (A Cuncolta, l’UPC, I Verdi Corsi) fut bénéfique puisque nous avons apporté une contribution démocratique importante et reconnue à l’étude des dossiers lourds qui conditionnent l’avenir de notre pays (…) Par contre, nous avons montré notre incapacité collective à nous hisser à la hauteur des défis de l’heure ; par idéologisation excessive, nous n’avons témoigné aucun intérêt pour les problèmes concrets de la population et à l’exclusion du Statut fiscal et de la route « a Balanina », nous n’avons initié aucune lutte sur le terrain. De lourds contentieux antérieurs entre certaines composantes de la famille nationaliste n’ont pas autorisé l’ébauche de contacts ; mais nous-mêmes n’avons pas ouvert le dialogue avec les différentes forces vives représentatives, dans leur diversité, de la société corse, témoignant ainsi de notre conception restrictive donc erronée de la Nation et nous condamnant à terme à la stérilisation et à l’isolement.

De plus et surtout, fait déterminant, notre proximité avec le FLNC « canal historique » n’a pas permis – et j’ai tout tenté en vain – de rendre compatibles les démarches de Corsica Nazione et du mouvement clandestin ; certes les deux logiques sont structurellement différentes mais, de plus, les positions se sont à mon sens révélées inconciliables sur les problèmes vitaux pour l’avenir de la Corse. L’avenir tranchera.

Le peuple corse ne doit pas être découragé par ces divergences, car par rapport à l’Histoire, il s’agit d’une simple péripétie, très relative ; de plus il a, ici et hors de l’île, les moyens matériels et moraux propres à assurer sa survie puis son développement ; à la condition expresse qu’il se responsabilise enfin collectivement, qu’il commence à se comporter en citoyen et non plus en sujet, parce que, sur ces différents aspects le passif est catastrophique. C’est certainement le fond du problème et c’est ce qui rend complexe la recherche et la mise en place d’une solution dans notre Pays.

Pour ma part, j’entends rester fidèle aux engagements de ma vie militante et naturellement à ceux souscrit en 1992 ; solidaire de celles et ceux qui ont souffert et qui souffrent de leur engagement patriotique et en particulier les prisonniers politiques et leurs familles, j’ai la volonté farouche, décuplée, de combattre le système étranger et local d’aliénation jusqu’à sa défaite car il est antinomique de la liberté, de la démocratie et de la dignité de notre terre.

Je vais donc poursuivre, à ma place, ma démarche publique par les moyens et sur les terrains de mon choix, choix dicté par ma conscience et par ma conception démocratique, pacifique, humaniste, ouverte et sociale de l’intérêt national.

(…) Je garde confiance en l’émancipation du peuple corse (Corses d’origine et Corses d’adoption) et de la Nation demain rétablie dans ses droits ; je mesure certes, les difficultés considérables, qu’il y aura à restituer leur sens véritable aux mots, à changer les mentalités et les comportements et plus encore à réhabiliter le travail, la morale, l’éducation, la rigueur, la tolérance et le droit.

Là, sont les seuls gages de la survie de la Corse qui, j’en suis sûr pour ma part, vaincra et vivra, libre et enfin elle-même. » •