Îles Feroé

« Nous sommes un petit pays mais nous sommes une grande nation »

Une mission d’étude de l’Alliance Libre Européenne (EFA Party) était aux Îles Féroé du 23 au 26 mai. Fragmentées en 18 îles sur 1400 km2, comptant 53.399 habitants, les Féroé sont un territoire autonome rattaché au Danemark. L’ALE a besoin de s’élargir pour conserver son statut de parti européen, et cherche à renforcer sa représentation au niveau des États. De plus un « Forum des îles » a été créé en son sein lors de son Assemblée Générale à Las Palmas (îles Canaries) le 14 mai dernier, suite à l’action notamment des eurodéputés du groupe ALE. L’objet de cette mission était donc de voir s’il était possible de nouer contact avec le parti féroïen qui se rapproche le plus des valeurs de l’ALE, le parti République (Tjóðveldi), parti progressiste dans l’opposition mais qui pourrait arriver prochainement aux responsabilités. Plusieurs rencontres étaient au programme, avec le président du Tjóðveldi, Høgni Hoydal, des élus (Bjarni Kárason Petersen et Ruth Vang) du løgting, le parlement des Féroé, le cabinet du ministre des affaires étrangères du gouvernement autonome, mais aussi la visite d’une pêcherie ou de diverses institutions, ainsi que la tenue d’une conférence sur l’autodétermination en présence d’élus féroïens… la délégation a pu ainsi approcher les réalités de ce petit pays, seulement par la taille.

 

À 1028 km à vol d’oiseau de Copenhague, la capitale danoise, 1562 du Groenland, 638 de l’Islande, ou encore 1344 km d’Oslo, capital de la Norvège, les Féroé (Føroyar en langue féroïenne) sont loin de tout au cœur de l’océan Atlantique nord. Rochers volcaniques où ne pousse en abondance que de l’herbe et ruissellent partout cascades et torrents, l’archipel offre des paysages somptueux de falaises abruptes qui plongent dans l’océan et de fjords immenses qui le découpent de toute part, formant des îles où il serait difficile de communiquer si le génie humain et des investissements considérables ne les avaient reliées entre elles par de longs tunnels, parfois de plusieurs kilomètres. C’est le paradis des moutons, animal emblématique, et de nombreuses espèces d’oiseaux, dont le fameux macareux moine, ou « perroquet de mer ». Y nichent ou migrent plus de 300 espèces d’oiseaux marins, mais aussi des phoques gris et des cétacés. Si la principale richesse du pays est la pêche*, miser sur le tourisme, en croissance constante, est un grand atout pour le pays. Il y pleut beaucoup, mais le soleil y perce souvent. La typicité de ses villages et de leurs maisons traditionnelles aux toits d’herbe qui remontent à l’ère viking, confèrent un charme supplémentaire à la magie de la découverte de ce peuple hospitalier qui a dû s’adapter à un environnement difficile. Ancrés dans l’espace nordique, les Féroé ont une économie prospère (lire p6), une université, une prison, une presse, leur langue est parlée par près de 80.000 personnes dont une diaspora de 30.000 Féroïens vivant au Danemark. Leur capitale est la ville de Tórshavn où se situe le plus vieux parlement du monde.

 

Le Løgting ou parlement féroïen est considéré en effet comme la plus ancienne assemblée parlementaire au monde avec l’Althing en Islande. Il est mentionné justement pour la première fois dans un journal islandais vers l’an 1200, mais son origine remonterait aux premières colonisations nordiques vers l’an 800.

Situé à Tórshavn, toutes les décisions importantes y étaient prises et cette organisation a subsisté dans l’histoire, quelle que soit les tutelles subies, de la Norvège au Danemark.

L’assemblée compte 33 membres. Sept partis y sont représentés divisés en deux grands courants, d’une part la question de l’indépendance ou de la poursuite du rattachement avec le Danemark, d’autre part une ligne idéologique classique entre droite et gauche.

 

Tjóðveldi (La République), ce parti qui intéresse l’ALE, a été fondé en 1948 et prône une République indépendante pour les Îles Féroé. Il défend des valeurs démocratiques à tous les niveaux de la société et l’autodétermination du peuple féroïen. Il fait partie de l’Alliance de gauche verte nordique (NGLA), une fédération de partis écologistes progressistes en Europe. Il compte actuellement 6 députés au parlement du Løgting et est présidé par Høgni Hoydal qui a réservé un accueil chaleureux à la délégation de l’ALE. Son parti de la jeunesse, Unga Tjóðveldio adhère déjà à l’ALE jeunes (EFAy). Tjóðveldi a compté jusqu’à il y a peu (2019) un siège au Folketing (parlement danois) parmi les deux réservés aux Îles Féroé. L’an prochain, il pourrait entrer au gouvernement féroïen actuellement détenu par les unionistes de droite. C’est un parti qui défend l’écologie et donc qui est le plus réservé quant à la pratique culturelle très controversé du Grindadráp (chasse aux cétacés)**. En tout état de cause, pour toute chose, c’est au peuple féroïen de décider selon Tjóðveldi. « La bataille culturelle pour l’indépendance est déjà gagnée. C’est l’argent danois qui est le dernier obstacle à l’indépendance » explique Høgni Hoydal, persuadé que les îles peuvent se passer de la tutelle danoise.

 

Le Løgting compte six autres partis. Javnaðarflokkurin, parti social-démocrate, littéralement « parti de l’équité » en féroïen. Plutôt unioniste tout en se disant « neutre » sur la question de l’indépendance, il est idéologiquement proche de Tjóðveldi. Il a été fondé en 1925 et se positionne clairement à gauche. Il compte 7 députés au Løgting et est annoncé en forte progression pour les prochaines élections qui se dérouleront en 2023. Il a un siège au Folketing danois. Son leader actuel, Aksel V. Johannesen a été Premier ministre dans la précédente mandature (2015-2019).

Framsókn est un petit parti libéral centriste fondé en 2011. Il prône des valeurs sociales et l’indépendance nationale et a 2 représentants au Løgting.

Sambandslokkurin (parti de l’union) fondé en 1906, est un parti libéral-conservateur qui soutient la coopération avec le Danemark, prône des valeurs chrétiennes et l’adhésion à l’Union européenne. Il compte 7 députés au Løgting et son leader est l’actuel premier ministre, Bárður Steig Nielsen. Il est en coalition avec trois autres partis, le Sjálvstýri (autonomie gouvernementale) qui compte un représentant au Løgting. Situé au centre droit, il a été fondé en 1909 et est unioniste même s’il aspire à plus de pouvoir de manière progressive ; le Fólkaflokkurin (parti populaire), fondé en 1939, parti le plus important du Løgting avec 8 députés, pro-indépendance de droite ; et le Miðflokkurin (parti du centre, 2 représentants au Løgting) parti plus récent fondé en 1992, partagé entre l’indépendantisme et l’unionisme, tout comme le Sjálvstýri.

 

Actuellement c’est donc une coalition de centre-droit qui domine le Løgting. Les majorités alternent souvent et peuvent rassembler indépendantistes et unionistes. C’est plutôt le clivage droite-gauche qui fait la différence de majorité. Les socio-démocrates sont donnés vainqueurs pour le prochain scrutin de 2023 et pourraient composer un gouvernement avec Tjóðveldi. Ce qui intéresserait fortement l’ALE. Le désir d’indépendance des Féroïens ne cesse de croître depuis la fin de la seconde guerre mondiale et s’est encore accru dans les années 80. Malgré un fléchissement dans les années 90 du fait d’une crise dans l’industrie de la pêche entraînant des difficultés au niveau social, l’économie féroïenne est florissante au point de vouloir se passer des subventions de l’État danois. Pour Høgni Hoydal, leader de Tjóðveldi, les Féroé marchent inexorablement vers leur indépendance. Ce qui lui fait dire avec fierté « nous sommes un petit pays, mais nous sommes une grande nation ! »

Fabiana Giovannini.

 

* Principalement le saumon, la morue ou le maquereau. Avec une forte croissance des navires de pêche, 1200 salariés en mer, 300 sur terre. L’industrie de la pêche permet un des meilleurs PIB au monde (2,7 milliards d’euros, 50.349 euros par habitant) et seulement 0,9% de chômage avec un taux d’activité de 16 à 66 ans, de 90,3%.

** Le grindadráp (chasse aux cétacés) est ancré dans la culture féroïenne mais commence à faire débat tant son atrocité révolte dans le monde entier. La vente de viande est interdite, y compris pour et dans les restaurants, le résultat de la pêche n’est autorisé que pour la consommation personnelle des pêcheurs et des habitants présents. Malgré l’attachement à cette tradition qui rappelle que les cétacés ont assuré la survie de la population durant des siècles, le gouvernement féroïen entend sortir progressivement de cette pratique. Une pétition de 1,5 million de signataires de toute l’Europe a été remise au gouvernement féroïen qui est également sous la pression de l’Union Européenne.